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le sens véritable des traités, et prévenir, s'il se peut, toute occasion d'erreur, à cet égard. J'examinerai, notamment, si, dans une négociation récente, il y a contravention actuelle ou possible à la foi des conventions. Pour discuter avec une parfaite intelligence et résoudre avec une exacte certitude cette question de haute jurisprudence, il faut d'abord jeter un coup d'œil sur les événements qui ont précédé l'acte de paix, afin de saisir l'esprit et la portée des négociations; il faut pénétrer les intentions des parties contractantes, afin d'avoir l'interprétation des textes; il faut enfin rechercher dans l'exécution des actes diplomatiques, et dans les faits accomplis avec l'aveu des nations intéressées, la pensée véritable et juste du traité.

§ I. DU DROIT DE SUCCESSION A LA COURONNE,

EN ESPAGNE.

La royauté fut d'abord élective en ce pays, pendant la période des rois goths, jusqu'à l'invasion arabe. Après la conquête de l'Espagne par les Arabes, la race gothique ou chrétienne se maintint, comme on sait, dans les Asturies, et la royauté continua d'y être élective, mais seulement dans les mâles d'une famille héroïque. L'élection fut restreinte aux membres de cette noble race, pendant trois siècles. La couronne étant ainsi devenue comme la propriété d'une famille, on fut conduit à faire plus. On appliqua le droit commun des successions, en matière civile, à la transmission de la couronne ou du pouvoir politique, par

l'effet d'une confusion que provoquait l'ancienne loi wisigothique ou romaine, loi permanente et fondamentale des chrétiens d'Espagne, et qui admettait les femmes à l'égal partage des biens, avec les mâles, à la différence de la loi salique, qui, dans le royaume des Francs, avait exclu les femmes du partage de l'aleu ou de la terre héréditaire. L'application du droit privé au droit politique conduisit ainsi à des résultats inverses, dans les deux pays. Une cause, particulière à l'Espagne, jointe aux causes générales qui, partout ailleurs que dans la royauté de France, introduisirent la succession des femmes dans les fiefs, produisit des effets dont le développement fut encore favorisé par la disposition géographique de la Péninsule, et la coutume de la succession des femmes s'établit dans l'héritage de la couronne, à l'instar de la succession dans l'héritage domestique.

Cette loi de succession resta à l'état de coutume pendant plus de deux siècles, jusqu'à l'époque où Alphonse-le-Sage la consigna dans son fameux livre intitulé: Las siete Partidas (environ l'an 1260). Après avoir établi et motivé les droits du fils aîné dans la famille, le Roi s'exprime ainsi (1):

« Quoique, suivant l'ancienne coutume, les pères aient ordinai>>rement le soin de faire une part à leurs enfants puînés, ce» pendant les hommes sages et habiles, considérant le bien com>> mun de tous, et comprenant que le partage de la succession des >> royaumes ne se pouvait faire sans causer leur destruction, suivant » la parole de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a dit que « tout royaume >> divisé tomberait en ruine,» ont cru qu'il était juste que la souve» raineté du royaume passât au fils aîné seul, après la mort de son » père. Et tel a toujours été l'usage, dans tous les pays du monde où » la souveraineté a été transmise par la voie du sang, et principale

D

(1) Voy. le texte, aux pièces justificatives, no 1.

>> ment en Espagne. Pour éviter donc une foule de maux qui sont ar>> rivés et pourraient arriver encore, ils ont établi que la succession » du royaume passerait toujours en ligne directe. Et, pour cette raison, >> ils ont voulu que, s'il n'y avait point d'enfants mâles, la fille aînée » succédât à la couronne. Et ils ont ordonné que, si le fils aîné mou» rait avant d'avoir pu hériter, et qu'il laissât de sa femme légitime » un fils ou une fille, que lui ou elle eût l'héritage, et nul autre. » Mais, à défaut de tous ceux-là, le plus proche parent devrait héri>> ter du royaume, étant capable pour cela, et s'il n'a rien fait qui » doive le lui faire perdre. Le peuple est donc tenu d'observer toutes » ces lois; car autrement le Roi ne pourrait pas être parfaitement » gardé, si le peuple ne gardait ainsi le royaume. Et, en conséquence, » tout homme qui agirait contre ces lois se rendrait coupable de tra>> hison manifeste, et mériterait la peine encourue par tous ceux >> qui méconnaissent l'autorité du Roi. »>

Le livre des Partidas obtint force de loi positive en 1338, par un acte royal du Roi Alphonse XI. Cette loi reçut une nouvelle confirmation, en 1505, dans l'assemblée générale des cortès réunie dans la ville de Toro. Une résolution, décrétée dans cette assemblée, reproduit textuellement la loi d'Alphonse-le-Sage (1); Charles-Quint s'y conforma exactement dans son testament, daté du 6 juin 1554 (2); et Philippe IV ayant réuni en un corps ou recopilacion les lois de la Castille, en 1640, donna une nouvelle sanction à la loi d'Alphonse (3).

On avait fait au quinzième siècle une tentative pour introduire la loi salique en Espagne; mais elle avait échoué. Voici comment un ancien historien espagnol raconte cette histoire :

(1) Voy. les Commentarii in leges Taurinas, d'Ant. Gomez; Geneva, 1628, in-fol. (pag. 186).

(2) Voy. Dumont, Corps diplomatique, supplém., tom. II, part. 1, pag. 141.

(3) Nueva recopilacion de las leyes de Castilla; Madrid, 1640, in-fol. (loi 14, tit. vi, liv. v).

«< En 1475, qui fut la première année du règne de >> Ferdinand et d'Isabelle, il y eut à Ségovie quelque » contestation entre le Roi et la Reine, pour savoir qui >> des deux devait succéder aux royaumes de Castille >> et de Léon; la Reine, comme fille du Roi Jean II, » ou le Roi, comme fils de Jean, Roi d'Aragon, des>>cendant par les mâles de Jean Ier, Roi de Castille et » de Léon. Ceux qui tenaient le parti du Roi voulaient >> introduire en Castille et en Léon une loi nouvelle, » semblable à cette loi salique des Français qui exclut >> les femmes du patrimoine royal. Le parti de la >> Reine, qui était celui de la justice, soutenait son » droit par les lois du royaume et par les anciennes >> histoires... La sentence fut prononcée en faveur de » la Reine Isabelle (4). »

Ce que n'avait pu faire Ferdinand-le-Catholique, Philippe V l'accomplit en partie, immédiatement après que le traité d'Utrecht eut fixé la couronne dans sa race. Il abolit l'ancienne succession cognatique, d'après laquelle, dans la même ligne, l'aîné était préféré aux cadets, et les mâles aux femmes; dans des lignes différentes, les femmes de la ligne directe ou la plus proche l'emportaient sur les mâles de la ligne plus éloignée; et il la remplaça par la succession agnatique, qui devait empêcher un beau royaume de sortir de sa famille. Cependant, par respect pour les traditions et maximes espagnoles, il admettait, à défaut de tous les mâles, de quelques ligne et degré qu'ils fussent, la succession des femmes jusqu'à épuisement. C'était une loi semi-salique qui donnait la préférence aux

(1) Garibay, Compendio historial, etc., tit. 1, liv. xvm.— J'emprunte cette indication à M. Laboulaye, De la condition des femmes, pag. 496.

descendants mâles sur toutes les femmes et leurs descendants, bien que les femmes et leurs descendants fussent de meilleur degré et de ligne plus proche. Cet acte fut approuvé dans une assemblée générale des cortès, et, loin qu'aucune puissance de l'Europe y fît objection, il parut que son application était liée aux prévisions du traité d'Utrecht, comme nous le montrerons plus tard (1).

En 1789, et par des motifs demeurés secrets, mais qui tendaient peut-être à l'établissement d'une influence étrangère, en Espagne, on songea au rétablissement de la loi des Partidas. La chose demeura, pour lors, à l'état de proposition. Une pétition présentée au Roi Charles IV, par les cortès, ainsi que le projet de rédaction d'une pragmatique nouvelle de la part du Roi, n'ont été imprimés qu'en 1830, et la Novisima recopilacion ou Compilation officielle des lois existantes en Espagne, publiée par ordre du Roi Charles IV lui-même, en 1805 (2), reproduisit le décret de Philippe V, de l'an 1713, sans aucune observation ni correction.

La constitution de 1812, décrétée par les cortès, abrogea formellement l'auto accordato de Philippe V, et le retour aux lois des Partidas y fut proclamé. On

(1) Voy. cet acte traduit, aux pièces justificatives, no 2. Le texte est au tome II de la Novisima recopilacion de las Leyes de España, pag. 4 et suiv. (Madrid, 1805-29, 6 tom. in-4o).

(2) Novisima recopilacion de las Leyes de España, dividida en XII libros en que se reforma la recopilacion publicada por el señor don Felipe II, en el año de 1567, reimpresa ultimamente en el de 1775, y se incorporan las pragmaticas, cedulas, decretos, ordenes, y resoluciones reales, y otras providencias no recopiladas, y expedidas basta el de 1804. Mandata formar por el señor don Carlos VI. Empresa en Madrid, año 1805-29, 6 vol. in-4o.

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