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Mais le sénat ne peut être saisi que par les représentans ; et les représentans ne peuvent accuser devant lui que des fonctionnaires publics. Ainsi le sénat a une compétence plus restreinte que la cour des pairs de France, et les représentans ont un droit d'accusation plus étendu que nos députés.

Mais voici la plus grande différence qui existe entre l'Amérique et l'Europe en Europe, les tribunaux politiques peuvent appliquer toutes les dispositions du Code pénal; en Amérique, lorsqu'ils ont enlevé à un coupable le caractère public dont il était revêtu, et l'ont déclaré indigne d'occuper aucunes fonctions politiques à l'avenir, leur droit est épuisé, et la tâche des tribunaux ordinaires commence.

Je suppose que le président des États-Unis ait commis un crime de haute trahison.

La chambre des représentans l'accuse, les sénateurs prononcent sa déchéance. Il paraît ensuite devant un juri, qui seul peut lui enlever la liberté ou la vie.

Ceci achève de jeter une vive lumière sur le sujet qui nous occupe.

En introduisant le jugement politique dans leurs lois, les Européens ont voulu atteindre les grands criminels, quels que fussent leur naissance, leur rang ou leur pouvoir dans l'État. Pour y parvenir, ils ont réuni momentanément, dans le sein d'un grand corps politique, toutes les prérogatives des tribunaux.

Le législateur s'est transformé alors en magistrat ; il a pu établir le crime, le classer et le punir. En lui donnant les droits de juge, la loi lui en a imposé toutes les obligations, et l'a lié à l'observation de toutes les formes de la justice.

Lorsqu'un tribunal politique, français ou anglais,

a pour justiciable un fonctionnaire public, et qu'il prononce contre lui une condamnation, il lui enlève par le fait ses fonctions, et peut le déclarer indigne d'en occuper aucune à l'avenir; mais ici la destitution et l'interdiction politiques sont une conséquence de l'arrêt et non l'arrêt lui-même.

En Europe, le jugement politique est donc plutôt un acte judiciaire qu'une mesure administrative.

Le contraire se voit aux États-Unis, et il est facile de se convaincre que le jugement politique y est bien plutôt une mesure administrative qu'un acte judiciaire.

Il est vrai que l'arrêt du sénat est judiciaire par la forme; pour le rendre, les sénateurs sont obligés de se conformer à la solennité et aux usages de la procédure. Il est encore judiciaire par les motifs sur lesquels il se fonde; le sénat est en général obligé de prendre, pour base de sa décision, un délit du droit commun. Mais il est administratif par son objet.

Si le but principal du législateur américain eût été réellement d'armer un corps politique d'un grand pouvoir judiciaire, il n'aurait pas resserré son action dans le cercle des fonctionnaires publics, car les plus dangereux ennemis de l'Etat peuvent n'être revêtus d'aucune fonction: ceci est vrai, surtout dans les républiques, où la faveur des partis est la première des puissances, et où l'on est souvent d'autant plus fort qu'on n'exerce légalement aucun pouvoir.

Si le législateur américain avait voulu donner à la société elle-même le droit de prévenir les grands crimes, à la manière du juge, par la crainte du châti

ment, il aurait mis à la disposition des tribunaux politiques toutes les ressources du Code pénal. Mais il ne leur a fourni qu'une arme incomplète, et qui ne saurait atteindre les plus dangereux d'entre les criminels. Car peu importe un jugement d'interdiction politique à celui qui veut renverser les lois elles

mêmes.

Le but principal du jugement politique, aux ÉtatsUnis, est donc de retirer le pouvoir à celui qui en fait un mauvais usage, et d'empêcher que ce même citoyen n'en soit revêtu à l'avenir. C'est, comme on le voit, un acte administratif auquel on a donné la solennité d'un arrêt.

En cette matière, les Américains ont donc créé quelque chose de mixte. Ils ont donné à la destitution administrative toutes les garanties du jugement politique; et ils ont ôté au jugement politique ses plus grandes rigueurs.

Ce point fixé, tout s'enchaîne; on découvre alors pourquoi les constitutions américaines soumettent tous les fonctionnaires civils à la juridiction du sénat, et en exemptent les militaires dont les crimes sont cependant plus à redouter. Dans l'ordre civil, les Américains n'ont pour ainsi dire pas de fonctionnaires révocables : les uns sont inamovibles, les autres tiennent leurs droits d'un mandat qu'on ne peut abroger. Pour leur ôter le pouvoir, il faut donc les juger tous. Mais les militaires dépendent du chef de I'État, qui lui-même est un fonctionnaire civil. En atteignant le chef de l'Etat, on les frappe tous du même coup (1).

(1) Ce n'est pas qu'on puisse ôter à un officier son grade, mais on peut lui enlever son commandement.

Maintenant, sion en vient à comparer le système européen et le système américain, dans les effets que chacun produit ou peut produire, on découvre des différences non moins sensibles.

En France et en Angleterre, on considère le jugement politique comme une arme extraordinaire, dont la société ne doit se servir que pour se sauver dans les momens de grands périls.

On ne saurait nier que le jugement politique, tel qu'on l'entend en Europe, ne violę le principe conservateur de la division des pouvoirs ; et qu'il ne menace sans cesse la liberté et la vie des hommes.

Le jugement politique, aux États-Unis, ne porte qu'une atteinte indirecte au principe de la division des pouvoirs; il ne menace point l'existence des citoyens, il ne plane pas, comme en Europe, sur toutes les têtes, puisqu'il ne frappe que ceux qui, en acceptant des fonctions publiques, se sont soumis d'avance à ses rigueurs.

Il est tout à la fois moins redoutable et moins efficace.

Aussi les législateurs des États-Unis ne l'ont-ils pas considéré comme un remède extrême aux grands maux de la société, mais comme un moyen habituel de gouvernement.

Sous ce point de vue, il exerce peut-être plus d'influence réelle sur le corps social en Amérique qu'en Europe. Il ne faut pas en effet se laisser prendre à l'apparente douceur de la législation américaine, dans ce qui a rapport aux jugemens politiques. On doit remarquer, en premier lieu, qu'aux ÉtatsUnis le tribunal qui prononce ces jugemens est composé des mêmes élémens et soumis aux mémes in

fluences que le corps chargé d'accuser, ce qui donne une impulsion presque irrésistible aux passions vindicatives des partis. Si les juges politiques, aux ÉtatsUnis, ne peuvent prononcer des peines aussi sévères que les juges politiques d'Europe, il y a donc moins de chances d'être acquitté par eux. La condamnation est moins redoutable et plus certaine.

Les Européens, en établissant les tribunaux politiques, ont eu pour principal objet de punir les coupables; les Américains, de leur enlever le pouvoir. Le jugement politique, aux États-Unis, est en quelque façon une mesure préventive. On ne doit donc pas y enchaîner le juge dans des définitions criminelles bien exactes.

Rien de plus effrayant que le vague des lois américaines, quand elles définissent les crimes politiques proprement dits. « Les crimes qui motiveront la con» damnation du président (dit la constitution des États-Unis, section 4, art. 1er) sont la haute trahi» son, la corruption, ou autres grands crimes et dé>> lits. » La plupart des constitutions d'États sont bien plus obscures encore.

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Les fonctionnaires publics, dit la constitution du Massachusetts, seront condamnés pour la conduite coupable qu'ils auront tenue et pour leur mauvaise administration (1). Tous les fonctionnaires qui auront mis l'État en danger, par mauvaise administration, corruption, ou autres délits, dit la constitution de Virginie, pourront être accusés par la chambre des députés. Il y a des constitutions qui ne spécifient au

(1) Chap. 1, sect. 2, 58.

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