L'origine du monastère de Silos est très incertaine. Quelques auteurs le font remonter jusqu'au roi Récarède, qui l'aurait fondé en 593, sept ans après la conversion de ce prince à la foi catholique. Mais nous ne possédons aucun document ancien qui nous autorise à lui assigner avec certitude une date aussi reculée. Le seul texte invoqué par les partisans de cette opinion est un passage des Annalia Gothorum, œuvre aujourd'hui perdue d'Alphonse de Carthagène, évêque de Burgos (1). Malheureusement l'affirmation du savant prélat est trop récente et trop dénuée de preuves pour mériter quelque crédit. Il n'est pas douteux toutefois que Récarède n'ait fondé plusieurs monastères; mais l'auteur contemporain (2) qui nous fait connaître ce détail ne les a point nommés, et, bien que Silos soit situé au centre de l'ancien royaume wisigoth, il nous est impossible de tirer des renseignements trop discrets de l'annaliste aucun argument direct en faveur d'une origine aussi lointaine. Tout porte à croire cependant que la fondation de l'abbaye précéda l'invasion musulmane et l'effrondement de l'Espagne chrétienne. Elle existait déjà depuis longtemps au commencement du xo siècle, à l'époque où Fernan Gonzalez reconquit sur les Maures la vallée de Silos et toute la région environnante. La charte de 919, la première du présent recueil, ne peut laisser aucun doute à cet égard. On ne saurait, d'autre part, admettre que le monastère ait pris naissance pendant que les Arabes étaient maîtres du pays. La chose eût été possible dans le midi de la Péninsule, où nous voyons en effet des communautés religieuses se former et atteindre même un certain degré de prospérité sous le gouvernement des émirs ou des califes de Cordoue. Ceux-ci les toléraient d'autant plus volontiers que les tributs exceptionnels auxquels se trouvaient soumis les Mozarabes étaient pour eux une source considérable et assurée de revenus, sans que la présence de ces chrétiens pût compromettre sérieusement la sécurité de leur empire. (1) D'après Ambrosio Gomez, El Moisen secundo, p. 105. (2) Joannis Biclarensis chronicon, dans Florez, Esp. sagr., t. VI, p. 385. Mais il en était tout autrement sur les frontières du nord, toujours exposées aux incursions des armées chrétiennes, et où l'entente des Mozarabes avec l'ennemi du dehors fût devenue une menace et un danger de tous les instants. Là, d'ailleurs, le contact continuel des soldats de Mahomet et des champions de la croix rendait leur haine réciproque trop vive pour leur permettre une tolérance qui aurait été sans aucun doute également funeste aux deux partis. La position de Silos dans un pays frontière, qui fut pendant près de trois siècles le théâtre des luttes les plus acharnées entre les chrétiens et les Arabes, était particulièrement défavorable. Bien plus, le voisinage immédiat de la forteresse de Carazo, un des principaux boulevards de la puissance des émirs au delà du Duero, rend tout à fait invraisemblable et même impossible la fondation de notre monastère à cette époque. Il faut donc lui donner une origine plus ancienne et le faire remonter jusqu'au temps des Wisigoths. Ceci nous ramène à la tradition déjà ancienne des moines de Silos, qui considéraient comme leur fondateur le premier roi catholique de la monarchie espagnole. Mais voici, à défaut de textes précis, un témoignage tout nouveau, dont la valeur vient appuyer les conjectures qui précèdent. Lors des fouilles récentes pratiquées dans le chœur de l'église de Silos, les ouvriers ont mis à découvert un large chapiteau d'une facture assez grossière, mais qui dénote un travail bien antérieur à la restauration de l'abbaye par le comte Fernan Gonzalez. De l'avis d'archéologues compétents, il a dû appartenir à la basilique primitive, remaniée et agrandie par saint Dominique dans la seconde moitié du xe siècle. Un autre chapiteau du même genre a été retrouvé plus récemment encore. Il a été transporté dans un coin de la salle des archives, à côté des chartes de l'abbaye, au silence desquelles il vient suppléer à sa manière. Il est inutile de rechercher ce que devinrent les habitants de Silos au moment de la terrible invasion qui, en quelques années, soumit toute l'Espagne chrétienne à la domination arabe. Ce serait perdre son temps à de simples hypothèses. L'histoire documentée de Silos commence en l'année 919, date de la restauration de l'abbaye par Fernan Gonzalez et de la charte octroyée en cette circonstance par le célèbre et vaillant comte de Castille. Cette histoire, nous l'avons publiée ailleurs. Contentonsnous de donner ici le catalogue des abbés, tel que les documents authentiques nous ont permis de le reconstituer. LISTE DES ABBÉS DE SILOS. PLACENTIUS, premier abbé connu, 919. GAUDENTIUS, 929-943. DIDACUS, 950. GAUDENTIUS (1). BELASIUS, 978-979 MUNIO OU MUÑOZ DE DUEÑOS SANTOS, 1019. NUÑO DE GETE, 1023. DOMINICUS (Saint Dominique de Silos), 1041–1073. FORTUNIUS, 1076. MARTINUS (?). IOANNES, 1108-1143. () Voy. Esp. sagr., t. XXVII, p. 402. (*) L'existence d'un abbé de ce nom, après D. Fortunius, nous est révélée par une note d'un moine contemporain, le prieur Pierre, qui se dit le parent de D. Nunnus (consanguineus Nunni abbatis). Cette note, datée de l'an 1109, se trouve au verso du folio 275 d'un manuscrit de l'Apocalypse de Beatus, aujourd'hui au PASCASIUS, 1170-1184. IOANNES GUTIERRE, 1187-1202. DOMINICUS, 1213-1228. MARTIN, 1229-1237. RODRIGO YENENGUEZ (DE GUZMAN), SANCHO PEREZ (DE GUZMAN), 1276- SEBASTIAN (DE MADRIGAL), 1283. FERNANDO IBAÑEZ, 1298-1322. JUAN, 1325-1347. FERNANDO, 1351. PEDRO (DE ARIOLA), vers 1360. MARTIN, 1403-1430. JUAN, 1431-1455. FRANCISCO DE LA TORRE SANDINO, 1455 1480. PEDRO DE ARROYUELA, 1480-1490. 1504. FRANCISCO GONZALEZ DE CURIEL, 15041507. LUIZ DE SOTO [1507-1511.- Abbés commendataires : le cardinal Galleoto Franciotti della Rovere, en 1508, et le cardinal Sixto Gara della Rovere, en 1511]. LUIZ MENDEZ, 1512-1529. MARTIN DE SALAMANCA, 1530. ALVARO DE MANZANOS, 1530-1531. ANDRES DE CORTAZAR, 1531-1546. BARTOLOME DE SANTO DOMINGO, 1546 1553 et 1556-1559. GREGORIO DE SANTO DOMINGO, 1553 1556 et 1559-1561. JOSEPH MENDEZ, 1562-1565. JUAN DE BOBADILLA, 1568-1571. DIEGO DE ROA, 1602-1604 et 16061607. RODRIGO DE PERALTA, 1607-1610. FRANCISCO DE VALDIVIA, 1610-1613 et 1625-1629. PEDRO DE MONTE, 1613-1617. MANUEL ANGLES, 1621-1625. 1641-1642. GERONIMO DE NIEVA, 1637. MATEO DE ROSALES, 1642-1645. DIEGO MONTE, 1653-1657. DOMINGO GUTIERREZ DEL CAMPO, 16591665. PEDRO RUIZ NEGRETE, 1665-1669. BERNARDO ORDOÑEZ DE VARGAS, 16691673 et 1677-1681. JUAN DE VILLAMAYOR, 1673-1677JUAN DE CASTRO, 1681-1685; 16891693 et 1697-1701. MELCHOR DE MONTOYA, 1685-1689 et 1705-1709. JUAN DE FRANCIA, 1693-1697. JUAN DE HERRERA, 1713-1720. BALTAZAR DIAZ, 1729-1733; 1749 1753 et 1765-1769. BERNARDO DE ALEGRIA, 1733. FULGENCIO DE OJEDA, 1745-1749. ISIDORO GARCIA, 1793-1797 et 1798 RODRIGO DE ARIETA, 1797-1798. DOMINGO DE SILOS MORENO, 1814- ANTONIO CALONGE, 1818-1820. TORCUATO CARBAYEDA, 1828-1832. Au moment où s'achève l'impression du Recueil des chartes de Silos, nous avons la douleur d'apprendre la mort de l'illustre et infatigable érudit qui a bien voulu nous prêter son concours pour mener à bonne fin cet ouvrage. M. Eugène de Rozière, membre de l'Institut de France et sénateur, portait le plus grand intérêt à notre publication. Non content de prendre l'initiative des démarches qui ont valu à ce travail l'honneur d'être imprimé aux frais de l'État, il n'a pas reculé devant le rude labeur d'en revoir lui-même chacune des épreuves. Ceux qui connaissent les scrupules scientifiques du docte académicien et le soin extrême qu'il apportait à ce genre de travail, devineront aisément à quel point cette collaboration désintéressée nous a été précieuse. Nous pensions déjà avec bonheur à la joie qu'il éprouverait en recevant le premier exemplaire d'une œuvre pour laquelle il avait tant fait. Nous le déposons sur sa tombe avec l'expression de notre très vive gratitude. D. MARIUS FÉROTIN, O. S. B. 24 juin 1896. |