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INTRODUCTION.

LA Chronique du Religieux de Saint-Denys est publiée ici pour la première fois. Il est étonnant qu'elle n'ait pas été imprimée beaucoup plus tôt, car elle est fort connue, et depuis longtemps elle a été consultée, souvent même transcrite, par les historiens qui ont écrit le règne de Charles VI. En effet, sans cette chronique, il y aurait de grandes lacunes dans les annales de cette époque.

L'auteur est demeuré inconnu. Il était religieux de l'abbaye de Saint-Denys; il le dit au commencement de son livre, et le rappelle souvent. Il avait écrit une histoire de Charles V qui n'est pas venue jusqu'à nous. C'était un véritable chroniqueur, et non pas un historien: il transcrivait les événements à mesure qu'ils se passaient. On voit, par l'exorde de sa Chronique de Charles VI, qu'il la commençait lorsque ce roi était encore enfant et venait de monter sur le trône. Il avait déjà terminé l'histoire du règne précédent quand ce règne finissait à peine, et il se flattait qu'elle servirait de leçon et de modèle au jeune roi, ne prévoyant pas que le successeur de Charles-le-Sage serait Charles l'insensé.

Ce religieux écrivait donc à titre d'office. Il en était chargé par son supérieur l'abbé de Saint-Denys. Peut-être sa chronique était-elle destinée à servir de notes et de matériaux pour

a

composer plus tard ces grandes Chroniques de Saint-Denys, qui étaient presque une institution de la monarchie française, nos rois confiant ainsi le soin et la garde de leur renommée comme de leurs cendres à cette abbaye, qui semblait le chef-lieu de la religion en France. Plus d'un témoignage contemporain indique comment, en plusieurs circonstances, un religieux suivait la cour en qualité d'historiographe et de chroniqueur. L'auteur du livre se représente souvent comme témoin oculaire des événements qu'il raconte. Il était au port de l'Écluse, lorsque le roi, après y avoir réuni tous les préparatifs d'une immense expédition contre l'Angleterre, y attendait de jour en jour son oncle le duc de Berri, et le pressait par des messages répétés de ne point manquer la saison favorable au départ. « Michi et universis resi« dentibus in castris et de rerum statu sciscitantibus asserebant « ducem ipsum nil amplius affectare, » etc. (Page 452.)

En 1393, le même duc de Berri lui ordonne de tenir note exacte de tout ce qui se passe aux conférences de Lelinghen, pour l'écrire dans sa Chronique.

En 1412, il est au siége de Bourges. Deux ans après, il couchait sous la tente du sire d'Aumont porte-oriflamme, qui voulait bien le recueillir au milieu du désordre et des misères d'une armée.

M. de Sainte-Palaye a recueilli une foule de curieux témoignages qui attestent le caractère officiel des grandes Chroniques de Saint-Denys, et la présence habituelle d'un religieux historiographe auprès du roi. Il cite le passage suivant d'une chro

nique d'Écosse, qui atteste que c'était même une pratique gé

nérale :

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Il fut ordonné dans plusieurs pays, et ainsi que je l'ai ouï

dire, en Angleterre, qu'il y aurait, dans chaque monastère de <«< fondation royale, un religieux chargé d'écrire selon l'ordre

des temps tout ce qui se passait sous chaque règne dans l'éten<< due du royaume ou du moins dans le monastère. Chacun de « ces ouvrages était présenté au premier chapitre général qui << se tenait après la mort du roi, et l'on y choisissait les plus << habiles d'entre les assistants pour en faire l'examen et en com<< poser une espèce de chronique ou de corps d'histoire, qui «< était ensuite déposé dans les archives du monastère, où il << avait une parfaite authenticité. »

«

Ainsi se passaient sans doute les choses à Saint-Denys, du moins depuis que Suger, abbé de Saint-Denys, avait lui-même veillé à la composition de toutes les chroniques depuis l'origine de la monarchie, et rédigé celle de son temps.

Nous reconnaissons en effet que toute la première partie du règne de Charles VI, dans les grandes Chroniques de SaintDenys, est un extrait de l'œuvre du Religieux. Il est vraisemblable que son histoire de Charles V, qui ne nous est pas parvenue, a de même été le texte primitif d'où le Chapitre avait fait extraire la chronique de ce règne.

On trouve encore une autre preuve de cette façon de procéder dans ce qui est rapporté de Louis XI. Jean Castel, religieux de Saint-Denys et abbé de Saint-Maur, avait été historiographe,

comme notre anonyme; et l'on sait même que ses émoluments étaient de deux cents livres par an. Il mourut en 1479, et le roi voulut voir ce qu'il avait écrit. Mathieu de Nanterre, président au Parlement, et Jacques Louet, garde du trésor des chartes, se transportèrent, par son ordre, à l'abbaye de Saint-Denys, où les manuscrits de Jean Castel étaient enfermés dans un coffre à deux clefs. C'était, sans nul doute, sur ces notes qu'après la mort du roi le Chapitre devait faire rédiger la chronique.

Une fois la chronique approuvée par le Chapitre, il semble qu'elle n'avait plus rien de secret. Elle était donnée en communication à qui demandait à la lire et même à la transcrire. M. de Sainte-Palaye cite beaucoup de passages des treizième et quatorzième siècles, qui prouvent que tous ceux qui ont écrit l'histoire en prose ou en vers, voire même les auteurs de romans historiques, alléguaient pour obtenir confiance, l'autorité des Chroniques de Saint-Denys.

Plus tard la publicité est encore plus évidente. Les vingt premières années de la Chronique de Juvénal des Ursins sont presque transcrites à Saint-Denys, et conséquemment sont un extrait de notre Religieux.

Berry, Chartier, la Chronique scandaleuse, se retrouvent presque en entier dans les grandes Chroniques. Quelquefois on les a copiées; d'autres fois elles ont extrait ou transcrit ces mémoires contemporains. Dès lors l'histoire était entrée dans le domaine

commun.

Il est regrettable de ne point connaître le nom du Religieux,

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