Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CRITIQUE INTERNE.

VI.

Parcourez-vous les XXIII chapitres des Theoremata, c'est en vain que vous cherchez le programme que nous venons d'établir d'après les passages a) et b).

De plus, bien loin de se présenter, ainsi que Scot le dit par avance, comme le prolongement naturel du traité De primo Principio, le traité De Theorematibus en est proprement la négation et la destruction.

Tout le long des cinq chapitres du traité De primo principio, c'est un déroulement méticuleux et très serré de déductions, où, par la seule force de la dialectique naturelle, il prouve, d'une part, l'existence de la Cause Première, et, d'autre part, sa vie, son intelligence, sa volonté, vie qui n'est rien autre chose que l'Etre Absolu lui-même. Qu'il nous suffise de rappeler les conclusions de cette seconde catégorie.

-

De primo Principio, c. 4 (Vivès, t. IV, p. 762). Conclusiones: 1o) Prima Natura in se est simplex. 2o) Quidquid intrinsecum est Summae Naturae, est summe tale. 30) Omnis perfectio, simpliciter et in summo, inest necessario Naturae Summae. 40) Primum Efficiens est intelligens, et volens. 5o) Primum Causans, quidquid causat, contingenter causat. 6o) Primam Naturam amare se, est idem Naturae Primae. 70) Nullum intelligere potest esse accidens Primae Naturae. 80) Intellectus Primi intelligit actu semper, et necessario, et distincte, quodcumque intelligibile, prius naturaliter quam sit illud in se. - 9o) Primum Principium est infinitum, et a a finito incomprehensibile. 100) Primum Principium est omnino simplex, non habens partes essentiales, nec quantitativas, nec alicui conceptui componibiles. 11o) Quod est tantum unum Principium

Primum ».

[ocr errors]

Et, à la fin du chapitre IV, Duns Scot, récapitulant ces déductions rationnelles, s'adresse directement à Dieu dans une page, la plus belle peut-être qu'il ait écrite, où il déclare entre autres choses:

Ibid., c. 4, n. 36 (Vivès, t. IV, p. 786): « Tu vivus vita nobilissima, quia intelligens et volens. Tu beatus, imo essentialiter beatitudo, Archivum Franciscanum Historicum. AN. XI.

2

quia tu es comprehensio tui ipsius. Tu visio tui clara, dilectio iucundissima et, licet in te solo beatus, et tibi summe sine aliis sufficias, tu tamen omne intelligibile simul actu intelligis. Tu omne causabile contingenter et libere simul potes velle et, volendo, causare; verissime ergo es infinitae potentiae. Tu incomprehensibilis, infinitus; nam nihil omne sciens est finitum; nihil potentiae infinitae est finitum; nihil est supremum in entibus, nec finis ultimus est finitum; nec per se existens simplex penitus est finitum ».

Or, si l'on se reporte au traité De Theorematibus on y lit, par exemple:

Théor. 14, nn. 1-4 (Vivès, t. V, p. 39): Non potest probari Deum esse vivum; non potest probari Deum esse sapientem, vel intelligentem; non potest probari Deum habere aliquam operationem manentem in se».

Théor. 17, no 15 (Vivès, t. V, p. 56): « Non potest probari Deum carere omni accidente».

C'est dans presque tous les Théorèmes que Scot, si cet ouvrage était sorti de sa plume, se contredirait outrageu

sement.

a) Théor. 3 (Vivès, t. V, p. 8): << Universale primo intelligimus ».

aa) De rer. Principio, q. 15, no 3 (Vivès, t. IV, p. 548): De me autem experimento intrinseco, et infallibili sensu experior actus tales meos esse, utpote me velle, deliberare, et similia. Et ideo talis cognitio arguitiva de anima mea est certissima, sicut dicit Augustinus in auctoritate supra citata: imo est principium certitudinis, quam de omni alio habeo, et centrum immobile veritatis, circa quod volvitur et cui innititur mobilitas et fluxus omnium aliorum quae aestimantur, vel opinantur, et etiam eorum quae creduntur, quantum est ex parte

nostra ».

b) Theor. 9, n. 5, p. 17: « Creato et increato nullus idem conceptus per se communis erit ».

bb) Quodl., q. 3, n. 2 (Vivès, t. XXV, p. 113): « Distinguendum est de hoc nomine res. Sicut autem colligitur ex dictis auctorum, hoc nomen res potest sumi communissime, communiter et strictissime. Communissime, prout se extendit ad quodcumque quod non est nihil ».

c) Theor. 22, n. 11: Non simpliciter perfectius est quod per se, quam quod per aliud », etc.

cc) De primo Principio, cap. 3, concl. 12 (Vivès, t. IV, p. 757): «Aliqua natura est eminens simpliciter prima secundum perfectionem ».

Dans le Théorème XV l'on voit une série de propositions qui paraissent s'apparenter fort bien avec la doctrine du De primo Principio.

d) Theor. XV (Vivès, t. V, p. 51): « In essentialiter ordinatis est dare Primum quod sit unicum et coaevum illi coordinationi. In omni genere causae est ordo essentialis. In genere causae efficientis est dare unicum Primum efficiens, quod nunc est in rerum natura. Omne efficiens perfectius effectu, vel aeque perfectum. Deus est perfectius omni effectu ».

dd) De primo Principio, cap. 3 (Vivès, t. IV, p. 750): « Concl. 2. Aliquod effectivum est simpliciter primum. Concl. 35. Alicui naturae et eidem actu existenti inest triplex primitas in triplici ordine essentiali efficientiae, finis et eminentiae ».

Les deux groupes de propositions d) et dd) se ressemblent, direz-vous. Oui, certes, mais passez aux Scolies; les propositions dd) ne sont pas approuvées, mais criblées et censurées, et donc la doctrine des propositions d) l'est aussi fatalement.

L'opposition doctrinale, radicale et absolue, est ce qui frappe d'abord, lorsque du traité De primo Principio l'on passe au traité De Theorematibus. Mais, si l'on se reporte au programme que Scot s'était méticuleusement tracé, si l'on cherche les sujets qu'il devait aborder, le ton démonstratif qu'il devait employer, l'on ne trouve dans le De Theorematibus que l'absence de tout cela.

La critique de cet ouvrage, qui se fait le plus facilement du monde, nous montre en lui la négation directe du projet d'ouvrage dont le traité De primo Principio, dans l'hypothèse présente, nous apporterait la preuve.

Il reste la ressource de prétendre, par exemple, que le De Theorematibus soit un ouvrage de Scot et que le De primo Principio ne soit pas de lui. Mais une telle prétention tombe devant le témoignage de deux contemporains, de Jean Baconus (ou de Baconthorp) et Guillaume d'Ocham.

a) Joannes Baconus († 1346) Super quatuor Sentent. lib., edit. 1526, 1. 2, d. 1, q. 1, a. 4, fol. 127v: « Ad idem arguit alius sic. Scotus, tractatu De primo principio, concl. 5: In omni productione » etc.

b) Guillelmus d'Ocham, Quodl. 7, q. 19: Utrum probari

possit per simplicitatem quod Deus est infinitus intensive?.. Scotus, in tractatu De primo Principio, quod sic ».

Et, de plus, la doctrine du De primo Principio se retrouve textuellement dans les Quaestiones Metaphysicae, par exemple, livre XI, qq. 22-29.

Conclusion: la critique interne du traité De Theorematibus s'oppose tout à fait à ce qu'il soit considéré comme la réalisation du projet dont Scot nous entretiendrait dans le De primo Principio. Et Scot n'aurait pu, tel que Maurice de Port l'a édité, composer jamais un tel ouvrage, sans se mettre en contradiction flagrante et directe avec lui-même dans les points les plus graves. Et que l'on ne parle pas d'évolution de la pensée, évolution naturelle et fatale en tout homme; il s'agit ici d'une contradiction complète et radicale en des points essentiels que, dans ses autres ouvrages, Duns Scot a constamment tenus.

Et, ainsi, quelque lecture que l'on fasse du traité De primo Principio, l'on se voit très empêché de fonder sur lui l'authenticité des XXIII chapitres. Ou bien, par la mention: usque ad tractatum de creditis, Scot se réfère tout simplement au traité des croyances, c'est à dire à sa théologie, et, par suite, à son Commentaire des Sentences, qu'il se propose d'écrire: et voilà l'authenticité des XXIII chapitres absolument écartée:

«

Ou bien, par cette mention: usque ad tractatum de creditis», Scot se référerait à un traité spécial ne visant que certains points de croyance déterminés: les XXIII chapitres édités par Wadding sous le titre Theoremata ne sauraient être ce traité-là; et, donc, c'est en pure perte que l'on aurait abandonné la lecture naturelle et logique d'une phrase pour s'arrêter à une lecture beaucoup moins naturelle, beaucoup moins obvie.

VII.

Que si, tout au contraire de ce qu'affirme Sbaralea, la mention du traité De primo Principio ne peut absolument pas s'entendre des XXIII chapitres, que reste-t-il, d'après le même auteur, qui nous garantisse leur authenticité? La

citation de Joannes Canonicus, et cette citation-là seulement: < Theoremata citantur ab ipsomet Scoto in tractatu De primo Principio, capitulo 4, concl. 10, et a Ioanne Canonico, lib. 1 Physic., q. 3».

Et voici le raisonnement de Sbaralea. Il faut croire au témoignage des contemporains, et Joannes Canonicus fut contemporain de Scot. L'un des textes édités par Maurice, Cavellus et Wadding sous le nom de Théorèmes de Scot, l'un de ces textes est cité par Joannes Canonicus. Donc la totalité des XXIII chapitres de la compilation nommée Theoremata Scoti ne peut être qu'une œuvre authentiquement sortie de la plume du Subtil Maître.

Cette argumentation a, certes, l'avantage d'être fort catégorique et très sommaire. Accordons, pour l'instant, le principe qu'il faut croire au témoignage des contemporains. A quel point, dans quelle mesure exacte Joannes Canonicus doit-il être considéré comme le contemporain de Duns Scot? Tout ce que l'on peut dire de certain, c'est qu'il florissait dans la première moitié du XIV° siècle. Duns Scot est mort en 1308. Or de 1308 à 1350 nous avons 42 ans, marge assez vaste pour qu'elle puisse contenir bien des choses.

Mais où Sbaralea dépasse tout à fait les bornes, c'est quand il prétend que, Joannes Canonicus ayant une fois cité l'un des textes édités par Maurice Cavellus et Wadding, les XXIII chapitres de leur édition sont de ce seul fait authentiques?

Admettons-le une minute. Sbaralea doit rendre raison, tout d'abord, des quatre faits que voici.

1) Comment expliquer que nulle part Scot ne se réfère au traité des Théorèmes, alors surtout que, d'après les éditeurs, les dits Théorèmes seraient l'armature de toute son argumentation philosophico-théologique ?

2) Comment expliquer que, dans ces Théorèmes, Scot se soit mis en opposition radicale avec l'enseignement constant qu'il tient tout le long de ses œuvres, et surtout dans le De primo Principio?

3) Comment expliquer que dans nombre de points ces Théorèmes de Scot concordent tout à fait avec les doctrines particulières d'Ocham, l'adversaire intraitable du Subtil Maître?

« AnteriorContinuar »