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tistes, il ne peut avoir été fait d'après nature; tout au plus son auteur a-t-il eu en main quelque document graphique pris sur le vif, peut-être par Antonio del Rincon.

Tout comme le tableau de Côme, la copie faite par Cristofano dell' Altissimo nous est parvenue. On peut la voir à la Galerie des Offices, à Florence. On constate avec un peu de surprise que le copiste s'est permis de modifier la physionomie de Colomb. Le visage est moins plein et un peu plus allongé; le nez est plus aquilin; l'œil est moins ouvert, plus enfoncé dans l'orbite; les sourcils sont plus fournis; les cheveux sont plus courts et, semble-t-il, moins blancs, ce qui donne à penser que Cristofano a voulu rajeunir son modèle. La Legenda ne porte que ces deux mots: CHRISTOVS

COLOMBO.

Toutes ces variantes, alors que l'artiste, était chargé de faire une simple copie, sont assez inquiétantes; elles révèlent combien peu les maîtres d'alors étaient soucieux de l'exactitude, et nous sommes en droit de nous demander si le tableau de Côme, en admettant qu'il n'ait pas été fait d'imagination, a lui-même reproduit fidèlement, sans la deformer, l'image que son auteur pouvait avoir sous les yeux.

Le tableau de Florence n'en a pas moins joui d'une réputation aussi étendue que durable. Jefferson en possédait une copie, aujourd'hui conservée dans la bibliothèque de la Société historique du Massachusetts, et en 1893, Nestor Ponce de Leon écrivait encore: « C'est le plus ancien portrait de Colomb qui soit parfaitement authentique» (1). Quant au tableau de Côme, il a servi de prototype à nombre d'œuvres plus ou moins importantes, parmi lesquelles on peut citer: le portrait du Belvédère (Vienne), exécuté en 1579 par ordre de Ferdinand Ier d'Autriche; le portrait florentin dit de Yanez, à la Bibliothèque nationale de Madrid; la gravure de Tobias Stimmer insérée dans la troisième édition des Eloges de Paul Jove (2); une gravure de Crispin de Pass (3); le portrait

(1) Nestor Ponce de Leon, op. cit., p. 8.

(2) Elogia virorum bellica virtute illustrium, Bâle 1575.

(3) Dans l'ouvrage, Effigies Regum et Principum quorum vis ac potentia in re nautica seu marina prae caeteris spectabilis est, Cologne 1598.

de la mairie de Cogoleto, près de Gênes; enfin, le dernier en date, mais non en valeur, le portrait de la mairie de Rouen.

Jusqu'à la fin du XVIe siècle, le portrait de Côme passa pour la seule effigie authentique de Colomb, et tous les artistes soucieux de figurer avec quelque vraisemblance les traits du grand navigateur ne manquaient pas de s'en inspirer. Mais, en 1596, parut à Rome, dans un recueil de portraits de grands capitaines (1), une gravure d'Aliprando Capriolo qui, bien que présentant avec le portrait de Côme d'indéniables analogies, en différait cependant sur plusieurs points essentiels. Elle nous offre un Colomb beaucoup plus jeune, aux cheveux demi-longs tombant sur les oreilles, qu'ils cachent presque entièrement. Sur le pourpoint vient se draper une grande cape rejetée sur l'épaule.

Capriolo a malheureusement omis de faire connaître la source à laquelle il avait puisé, mais l'importance de son interprétation a de suite été reconnue, si bien qu'à partir de 1596 deux courants se manifestent dans l'iconographie colombienne: certains artistes continuent à s'inspirer du portrait de Côme; d'autres, plus nombreux peut-être, suivent Capriolo. C'est de celui-ci que procèdent: la copie du comte Roselly de Lorgues, à une époque inconnue; la gravure de Giuseppe Calendi, en 1809 (2); la gravure de la traduction française de Navarrette, en 1828 (3); le portrait du Musée de la Marine, à Madrid, en 1838; le portrait offert en 1862 par le sculpteur Cevasco à la municipalité de Gênes.

En dehors des portraits que nous avons cités jusqu'ici se rangent les portraits apocryphes, soit que leur auteur ait conçu une œuvre d'imagination, soit qu'il ait voulu peindre

(1) Ritratti di cento capitani illustri con li lor fatti in guerra brevemente scritti, intagliati da Aliprando Capriolo, e dati in luce da Filippo Thomassino e Giovan Turpino, Rome 1596.

(2) Notizie storiche e bibliografiche di Cristoforo Colombo di Cuccaro nel Monferrato, Rome 1809, p. 180.

(3) Relation des quatre voyages de Christophe Colomb, Paris 1828.

un personnage dans lequel on a cru voir, un jour ou l'autre, Christophe Colomb.

A la première catégorie appartient la belle gravure d'André Thevet (1), dont se sont inspirés Montanus (2), et Larmessain (3). Une peinture flamande du XVIe siècle, acquise en 1833 par le musée de Versailles, a eu plus de fortune encore: elle a fourni à Théodore de Bry une gravure célèbre (4) qui, combinée avec la gravure de Crispin de Pass dont nous avons parlé, se retrouve dans un médaillon du Palais municipal de Gênes. Mentionnons enfin une peinture espagnole de peu de valeur, qu'on peut voir au palais du Sénat, à Albany (Etats-Unis) et qui passe pour le plus ancien portrait de Colomb qui soit dans la grande République américaine.

Quant aux portraits auxquels le nom de Colomb a été appliqué sans preuve suffisante, le premier en date paraît être un Lorenzo Lotto qui figure dans la collection W. Ellsworth, à Chicago. Ce tableau, fortement restauré au milieu du XIXe siècle, nous montre un personnage dont la main droite présente la carte marine publiée par de Ruysch en 1508, et dont la gauche, qui tient un sablier, s'appuie sur un livre d'Aristote. Colomb étant mort en 1506 n'a pu connaître la carte susdite, mais est-ce bien lui dont Lotto a voulu fixer les traits?

On peut en dire autant du beau Parmigianino du Musée national de Naples, dans lequel on tend à voir Gilberto Pio da

(1) Les vrais portraits et vies des hommes illustres grecz, latins, et payens recuillis de leur tableaux, livres, medalles antiques et modernes, par André Thevet angoumoysin, premier cosmographe du Roy, Paris, Kervert, 1584, t. II, p. 522.

(2) De Neuwe en onbekende Wereld of Besschryving von America en 't Zuydland, Amsterdam, Meurs, 1671.

(3) Academie des sciences et des arts, contenant les vies, et les eloges historiques des hommes illustres... avec leurs pourtraits tirez sur des originaux au naturel... par Isaac Bullart, Bruxelles, Ioppeus, 1682, t. II, p. 265.

(4) Elle se trouve dans un volume paru en 1595 à Francfort: America pars quinta, sive insignis et admiranda historia de reperta primum occidentali India a Christoforo Columbo. Ce volume fait partie d'une grande collection de voyages, publiée de 1590 à 1634: Collectiones peregrinationum in Indiam orientalem et Indiam occidentalem.

Sassuolo, qui vécut de 1502 à 1570. De même pour l'Antonio Moro de la collection Gunther, à Chicago, et pour le portrait du Musée civique de Vicence (fin du XVIe siècle ou début du XVII) qui nous présentent un personnage moustachu, dont la tête est couverte de cheveux courts, alors qu'au temps de Colomb les gentilshommes portaient des cheveux demi-longs, coupés horizontalement, et se rasaient la moustache.

Un grand portrait en pied de ce type est conservé aux Archives des Indes, à Séville; c'est de lui que procèdent le portrait de Marian Manella (XVIIe siècle) possédé par le duc de Berwich y Liria, la gravure insérée en 1794 par Cristoforo Cladera dans son ouvrage sur les découvertes maritimes des Espagnols (1) et le portrait en pied de la collection du duc de Berwich-Alba.

Signalons enfin pour mémoire le portrait offert en 1796 à la municipalité de la Havane par le duc de Veragua. L'inscription: POR CASTILLA Y POR LEON NVEVO MVNDO AYO COLON ne suffit pas à transformer un familier de l'Inquisition en découvreur de l'Amérique.

«

Comme on le voit, Achille Neri avait raison d'écrire en 1894: Si l'on ne tient pas compte des apocryphes, les portraits de notre navigateur se réduisent à deux types: celui de la galerie de Paul Jove et celui qu'a gravé Capriolo. C'est d'eux que dépendent tous les autres ». Mais le judicieux critique s'est peut-être trop avancé en ajoutant: « Ces deux premiers types ont entre eux des signes de ressemblance et de parenté si manifestes, que si nous les confrontons pour étudier lequel dépend de l'autre, il convient de donner la prééminence au portrait de la galerie de Paul Jove et de le considérer comme l'archétype, tant en raison de son mérite intrinsèque que de la preuve historique de son ancienneté » (2).

Tout d'abord, c'est un criterium plutôt singulier que de juger de la valeur iconographique d'un document par son

(1) Investigaciones históricas sobre los principales descubrimientos de los Españoles en el mar Océano en el siglo XV y principios del XVI, Madrid 1794. (2) Achille Neri, loc. cit., p. 271.

plus ou moins grand mérite intrinsèque. A ce compte, au médiocre portrait d'après nature que le frère Jean de la Misère a fait de sainte Térèse, il faudrait préférer le Ribera du Musée de Valence ou le Murillo des Carmélites de Quito. D'autres part, Capriolo n'a pas fait connaître la source à laquelle il a puisé, et c'est aller un peu vite que de conclure de l'antériorité du portrait de la galerie de Paul Jove à la dépendance de la gravure de Capriolo. C'est, si je ne me trompe, le sophisme bien connu: Post hoc, ergo propter hoc, et l'on peut toujours se demander si Capriolo ne s'est pas inspiré d'un autre document que le portrait de Côme. Or, ce document existe, et Capriolo s'est borné à le copier.

La collection S. N. Sherman, à Rome, contient un marquable portrait de Colomb, peint à la détrempe sur toile. Ce portrait, qui mesure m. 0,66 de hauteur sur m. 0,48 de largeur, nous donne du grand navigateur une effigie identique à celle qu'a publiée Capriolo. Les yeux sont toutefois beaucoup plus vivants, et le costume présente quelques variantes sans importance: Colomb porte un col mou, rabattu, et sa cape, d'un vert sombre, laisse apparaître un pourpoint rouge, garni d'une admirable passementerie d'or. Au-dessus de la tête court l'inscription: CHRISTOPHOR. COLVMBVS. Ce tableau a beaucoup noirci, de sorte qu'il est impossible de dire quelle pouvait être originairement la teinte des cheveux, ces cheveux que les historiens nous affirment avoir été très rouges, mais on ne peut hésiter à déclarer qu'il est l'œuvre d'un grand coloriste vénitien. Son origine vénitienne et son âge sont attestés par la toile sur laquelle il est peint. C'est une simple toile à voile vénitienne, à raies blanches et noires, telle que celle dont on garnissait les caravelles au temps de Colomb, et cette particularité, peut-être unique dans les annales de la peinture, atteste chez l'artiste une volonté de symbolisme transparent.

Le tableau ne porte ni signature ni monogramme, mais les meilleurs juges y reconnaissent le main de Titien, un Titien qui se sent encore de l'influence de Giovanni Bellini, avec toutefois plus de vigueur que n'en avait le vieux maître. Il convient de le rapprocher à cet égard de l'Ecce homo de la Scuola di San Rocco, à Venise, peint par le jeune

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