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mie a accueilli la nouvelle de la disparition d'un homme si digne de l'estime et de l'affection de tous, et vous me permettrez d'envoyer en votre nom, à celle qui illumina son foyer des rayons de sa tendresse et qui souffre si cruellement à cette heure après tant de douces années passées auprès de lui, la douloureuse assurance de nos respectueuses sympathies et l'expression émue de nos profondes condoléances.

DISCOURS

DE

M. LE COMTE DE LASTEYRIE'

A L'OCCASION DE LA

MORT DE M. CÉLESTIN PORT

Messieurs,

L'Institut n'a peut-être jamais traversé une période de deuil comparable à celle qui marquera les débuts du xx siècle. Dix semaines ne se sont pas encore écoulées depuis le commencement de l'année 1901 et déjà neuf de nos confrères ont disparu de nos rangs.

L'Académie des inscriptions, qui avait, il y a quinze jours à peine, payé à la mort sa part de ce douloureux tribut, vient d'être frappée de nouveau. Notre confrère M. Célestin Port s'est éteint, après une courte maladie, à Angers, où il résidait depuis de longues années.

Il était né à Paris le 23 mai 1828 et appartenait à notre Compagnie, en qualité de membre libre, depuis le 11 novembre 1887. Sa vie entière s'est passée en province; elle peut être donnée en modèle à ceux, si nombreux de nos jours, qui croient toute activité d'esprit et tout travail fécond impossibles loin de Paris. Mais c'est surtout aux jeunes générations qui sortent chaque année de nos grandes Écoles et prennent le chemin de la province en maugréant contre les rigueurs du sort, c'est aux jeunes savants appe

1. M. de Lasteyrie, en qualité de président de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, a lu ce discours dans la séance du 8 mars 1901.

lés à vivre dans nos archives départementales que son exemple peut être cité à bon droit.

Personne, en effet, n'a montré, mieux que Célestin Port, quelle mine inépuisable un travailleur persévérant peut trouver dans ces dépôts provinciaux, que de travaux originaux et neufs on en peut tirer, quand on a le courage de secouer la poussière vénérable qui couvre tant de documents curieux, la science et le tact nécessaires pour extraire, des vieux grimoires et du fatras des papiers inutiles, le texte inédit, la pièce révélatrice qui permettra de redresser une erreur, de fixer un point d'histoire controversé, de mettre en pleine lumière un atome de vérité!

Célestin Port sortit de l'École des chartes en 1852, après avoir soutenu une thèse sur l'Histoire maritime de Narbonne, qui lui valut une médaille au concours des Antiquités nationales. Il appartenait à cette brillante promotion qui eut pour chef un homme qu'il devait retrouver plus tard sur les bancs de notre Académie et qu'il devait suivre de bien près dans la mort, M. de La Borderie. Comme lui, il quitta Paris au sortir de l'École, et, comme lui, il se consacra à l'histoire de la province où toute sa vie devait s'écouler.

Il fut nommé archiviste de Maine-et-Loire le 4 janvier 1854, et c'est au même poste qu'il est tombé lundi dernier, après quarante-sept ans de labeur ininterrompu, sans que les années eussent affaibli son ardeur au travail ou diminué en rien l'exactitude qu'il apporta toujours à l'exercice de ses fonctions.

Mis à la tête d'un dépôt important, il comprit que son premier devoir était d'en faciliter l'accès et de mettre le public à même d'en étudier les richesses. Il entreprit donc d'en dresser et d'en publier l'inventaire, et se plaça au premier rang des archivistes de France par le soin et l'activité qu'il déploya dans l'accomplissement de cette tâche. Ceux qui parcourent aujourd'hui les nombreux volumes dans lesquels il a décrit les principales séries confiées à sa garde, ceux qui consultent son remarquable travail sur les archives municipales d'Angers ou son cartulaire de l'hôpital Saint-Jean ne peuvent se faire une idée de l'énorme labeur auquel il dut se livrer pour mener à bonne fin une œuvre aussi considérable; ils ne se doutent guère de toutes les difficultés qu'il eut à vaincre et dont les moindres ne furent pas celles que lui opposèrent certains fonctionnaires de fàcheuse mémoire, qui, de leur bureau du ministère de l'Intérieur, prétendaient enfermer et

mutiler, dans un même cadre étroit, le travail de nos archivistes les plus zélés et les plus compétents.

De toutes les besognes auxquelles peut se consacrer un érudit, il n'en est pas qui semble plus aride et plus absorbante que les travaux d'inventaire. Il n'en est aucune, toutefois, qui fournisse aux esprits curieux, habiles à comprendre la portée des documents et à en extraire la substance, plus de facilités pour entreprendre quelqu'une de ces publications qui exigent non seulement une science considérable et une critique aiguisée, mais encore la patience et la persévérance indispensables pour aborder le dépouillement des immenses collections aujourd'hui réunies dans nos archives et nos bibliothèques.

Célestin Port avait trop d'originalité dans l'esprit pour ne pas comprendre les ressources qu'il pouvait tirer de l'accomplissement même de ses devoirs professionnels; il avait le tempérament trop ardent pour ne pas songer à les mettre à profit.

C'est ainsi qu'il fut amené à concevoir le projet du livre qui restera son titre capital à la reconnaissance des érudits; je veux parler de ce Dictionnaire historique de Maine-et-Loire, deux fois couronné par notre Académie, et qui constitue par sa belle ordonnance, par l'abondance et la précision des renseignements qui y sont amassés, une de ces œuvres de rare mérite qui suscitent nombre d'imitations et sont rarement égalées. Célestin Port s'y voua avec l'ardeur, avec la passion qu'il apportait à toutes choses. Il s'y était attaché comme à l'œuvre maîtresse qui arrachera son nom à l'oubli, et lui-même, en écrivant les dernières lignes de ce beau livre, a exprimé en termes touchants les sentiments qu'il nourrissait pour lui: « J'ai commencé presque jeune, disait-il, je termine presque vieux d'années cet ouvrage... Le jour où est partie, pour ne plus revenir, la dernière page avec la dernière épreuve, il m'a semblé que, d'un seul lambeau, vingt années se détachaient de ma vie, dans un sentiment de détresse qui dure encore! »

Il se consola du vide que laissait dans sa vie l'achèvement de ce grand travail en abordant de nouvelles études.

Pendant qu'il écrivait pour son Dictionnaire la biographie des Angevins qui avaient joué un rôle dans les événements de la Révolution, il avait été frappé du peu de sens critique dont ont fait preuve la plupart des écrivains qui, depuis un siècle, ont entrepris de retracer la tragique histoire de l'insurrection ven

déenne; il avait reconnu combien la passion politique, l'absence de renseignements exacts, le peu de souci de rechercher le témoignage impartial des documents originaux avaient contribué à entourer d'une auréole légendaire les principaux personnages de cette tragédie et à faire méconnaître les causes premières et le caractère véritable des événements auxquels ils furent mêlés.

Au cours de ses recherches, une foule de documents curieux et inédits lui étaient passés par les mains; il résolut de les faire connaître, et s'en est habilement servi dans sa Vendée angevine pour tracer un tableau tout nouveau des origines de cette terrible guerre civile. Il y décrit d'une façon saisissante cette région perdue des Mauges, d'où est partie la première étincelle, les espérances que firent naître les grands événements de 1789 et les désillusions qui suivirent et les maladresses des pouvoirs publics et les mille épisodes ignorés qui marquent ces trois années d'attente, pendant lesquelles les bonnes volontés s'épuisent, les énergies s'irritent et les foyers de guerre se préparent.

La Vendée angevine avait paru en 1888. Cinq ans après, Célestin Port publiait un nouveau volume sur cette terrible époque. Le titre seul du livre indique l'esprit qui l'anime : c'est la Légende de Cathelineau. L'auteur s'y attaque à une des principales figures de l'insurrection et prétend contester, au nom d'une critique sévère, le rôle épique que l'on prête communément à celui qu'on a appelé le saint de l'Anjou.

Quel sera le jugement porté par l'avenir sur ces livres, dans lesquels notre confrère laisse déborder son admiration ardente pour la Révolution? Je n'ai point à le rechercher en ce moment; je ne veux constater qu'une chose, c'est la valeur historique des documents qu'il a réunis, l'importance des faits qu'il a mis en lumière, la sincérité dont il est animé dans les pages mêmes où éclate la passion qui bouillonne au fond de son cœur.

C'est cette sincérité qui lui attirait l'estime de ceux mêmes dont ses livres attaquaient le plus vivement les opinions. On savait qu'en lui dominait, comme il l'a dit quelque part, « une sympathie toujours vive pour les braves gens mise au service de la vérité. »

Il joignait à cette qualité les dons les mieux faits pour séduire ceux qu'il honorait de son amitié : un esprit des plus alertes, une intelligence ouverte à toutes choses, une obligeance à toute épreuve.

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