Imágenes de páginas
PDF
EPUB

A La Mecque, les musulmans proclamaient que cette lumière annonçait l'arrivée du Messie. Dans le Venezuela le soleil perdit soudainement son éclat à trois heures de l'après-midi, de sorte qu'on pouvait le regarder en face. C'était un globe d'argent mat; puis assez rapidement il devint bleu clair, puis bleu ciel. La nature entière parut revêtir cette nuance.

Au mois d'avril dernier, M. le Ministre de l'instruction publique donna à deux voyageurs français, MM. Cotteau et Korthals, membres de la Société de Géographie, la mission de visiter et d'étudier le théâtre de ce grand cataclysme.

Dans une lettre qu'ils viennent d'adresser à la Société de Géographie, les explorateurs donnent des détails du plus haut intérêt sur la situation dans laquelle ils ont trouvé cette partie du détroit de la Sonde, dont la carte est à refaire aujourd'hui, et sur les modifications orographiques qu'ils y ont constatées.

Arrivés à Batavia le 14 mai, MM. Cotteau et Korthals étaient en route dès le 21 pour le détroit de la Sonde.

Leur première relâche eut lieu à la pointe sud-ouest de Java, à l'entrée du détroit, du côté de l'Océan indien.

Sur toute la côte occidentale ils observèrent une ligne bien tranchée, s'élevant à une hauteur de 15 à 25 mètres au-dessus du niveau de la mer, et qui indique la limite atteinte par la terrible vague du mois d'août 1883. Cette zone est bouleversée; sur les plages les arbres ont été rasés, il ne reste plus trace des innombrables maisons où vivait une nombreuse population. En une minute la ville d'Anger a été emportée et a disparu.

A Telok-Bétong ils purent voir le steamer Borouw, transporté à 4 kilomètres dans les terres, échoué en pleine forêt et suspendu au milieu des arbres séculaires, où il forme une sorte de pont gigantesque.

Le 25 mai, ils visitèrent successivement les îles Siboukou et Sibési.

Ces terres, naguère fertiles et populeuses, sont aujourd'hui entièrement recouvertes d'une couche de boue desséchée, épaisse de plusieurs mètres et sillonnée de profondes crevasses. Les habitants ont été anéantis jusqu'au dernier, et, de la puissante végétation qu'on admirait, il ne reste plus que des troncs blanchâtres et déracinés.

Le 26, MM. Cotteau et Korthals arrivèrent à Krakatoa. Ils constatèrent d'abord un fait de la plus haute importance géographique, la disparition complète de trois îles, Steers, Calmeyer et un petit îlot à l'est de Verlaten, encore existant au lendemain de la catastrophe. Quatre mètres d'eau recouvrent l'emplacement qu'elles occupaient.

A mesure qu'ils approchaient de Krakatoa, le volcan apparaissait enveloppé d'une fumée blanchâtre. De légères vapeurs s'en élevaient lentement et venaient en couronner le sommet, haut de 822 mètres.

Dans la convulsion des 26 et 27 août 1883, une moitié de l'île environ est restée debout, tandis que l'autre a été projetée dans les airs et s'est abîmée dans les profondeurs de l'Océan.

En approchant du volcan toujours en activité, les explorateurs reconnurent que ce qu'ils avaient pris pour des vapeurs, c'étaient des flocons de poussière, soulevés par la chute incessante de pierres bondissant sur les pentes rapides. En même temps une rumeur continue, ressemblant au crépitement d'une fusillade, se faisait entendre, tandis qu'ils apercevaient distinctement des pierres d'une certaine grosseur tournoyant dans les airs et s'engloutissant dans la mer.

Dans l'après-midi ils visitèrent l'île Verlaten, autrefois corbeille de verdure, maintenant uniformément recouverte d'une couche de cendres solidifiées, épaisse de trente

mètres son étendue a doublé par suite de la dernière éruption.

Le 27, les voyageurs retournèrent à l'île de Krakatoa, où ils découvrirent enfin un point abordable. L'épaisseur de la couche de boue et de cendres solidifiées y atteint 60 à 80 mètres.

Le 28, ils terminaient leur exploration du détroit de la Sonde en prenant terre à Mérak, à la pointe nord-ouest de Java. Cette ville, comme celle d'Anger, a été entièrement détruite, et la configuration de la côte très modifiée.

Krakatoa seule occupait autrefois une étendue de 34 kilomètres. 23 se sont abîmés en laissant au côté septentrional une haute falaise de 800 mètres d'élévation. A la place occupée par l'île se trouve une mer profonde, où la sonde trouve le fond de 2 à 300 mètres.

Tels sont les caractères et les étonnants effets d'un de ces cataclysmes qui ont sans doute déjà plus d'une fois, pendant l'immense durée des âges géologiques, modifié le relief et l'aspect de certaines parties du globe. Quelles ont dû être les terreurs de l'humanité primitive, le témoin et la victime de ces grands phénomènes inexpliqués pour elle!

A notre époque, où le génie humain a en grande partie réalisé le vœu du poëte: Felix qui potuit rerum cognoscere causas, nous pouvons juger seulement par la catastrophe de Casamicciola, survenue l'année dernière dans les lumineux parages du golfe de Naples, quelle émotion le spectacle de ces bouleversements amène au milieu de notre civilisation moderne.

Félicitons-nous, dans nos climats plus tempérés, de vivre sur un sol plus stable, où nous ne ressentons parfois que les sourdes vibrations de ces forces immenses qui font, sous d'autres cieux, trembler le sol, disparaîtr les conti

nents, et nous rappellent que la mince écorce terrestre qui nous protège contre l'action des feux intérieurs peut voir sombrer avec elle dans de courts instants la civilisation dont nous sommes aujourd'hui les acteurs et les témoins.

COMPTE-RENDU

DES

TRAVAUX DE LA SOCIÉTÉ

PENDANT L'ANNÉE 1883-1884

PAR M. L'ABBÉ THIBAULT, SECRÉTAIRE.

MESSIEURS,

Il y a une quarantaine d'années, un peintre anglais, Haydon, avait réuni à sa table une société d'artistes, de littérateurs et de poètes. A la fin du banquet, le poète Keats leva son verre et proposa le toast suivant : « Honnie soit la mémoire de Newton ! »

Les assistants furent assez étonnés et Wordsworth, avant de boire, demanda une explication. Keats répondit : « Parce qu'il a détruit la poésie de l'arc-en-ciel en le réduisant au spectre d'un prisme. » Et l'on but à la confusion de Newton.

Que dirait, Messieurs, ce fanatique de l'idéal en cette séance solennelle d'une société qui a pour devise : « Utilitati? Comment saluerait-il l'humble rapporteur qui va glaner dans les champs de l'expérience et des applications industrielles et agricoles les épis de la gerbe qu'il

« AnteriorContinuar »