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LA

MUSIQUE LITURGIQUE

L'ART MODERNE

DANS

SES RAPPORTS AVEC LE CULTE

PAR

FELIX HUET.

<< Le Christianisme a sinon créé, au moins

révélé le génie de la musique. »>

E. QUINET.- Le Génie des Religions.

PREMIÈRE PARTIE.

LA MUSIQUE POPULAIRE.

MESSIEURS,

Avant de vous entretenir d'un art auquel presque tous les peuples de l'antiquité attribuaient une origine divine, je tiens à vous dire que je n'ai nullement la prétention de vous faire un cours d'Esthétique, bien que je doive recourir souvent à cette philosophie des beaux-arts qui vous fera mieux pénétrer le sens intime de la Musique religieuse.

Appelé par mes fonctions de maître de chapelle de Notre-Dame à me livrer depuis plusieurs années à des recherches et à des études opiniâtres sur les chefs-d'œuvre de l'art chrétien, j'ai acquis des convictions certaines sur cette question tant discutée de l'art moderne au point de vue religieux; et il me semble avoir entrevu les destinées futures de cet art dont la province n'a pas encore ressenti les puissantes étreintes. Cependant, il faut le reconnaître, la Musique a envahi toutes les classes de la Société, et M. de Rémusat faisait remarquer que notre art semblait devoir occuper désormais parmi nous la place que la statuaire occupait autrefois chez les Grecs.

Cédant à cet envahissement comme à une impulsion irrésistible, l'Eglise, tout en donnant au PLAIN-CHANT

(une des formes de l'art chrétien, mais non la seule) la prépondérance dans ses offices, a accueilli la MUSIQUE MODERNE, conciliant ainsi les hautes visées de l'art religieux avec les exigences de la pratique.

Des compositeurs entrés résolument dans la voie tracée par PALESTRINA, BACH, MOZART, LESUEUR et CHERUBINI Ont créé des œuvres typiques où domine vraiment l'expression religieuse; d'autres, moins inspirés, n'ont produit que des œuvres de demi-caractère, semi-religieuses, semiséculières. Quelques-uns, dépourvus du sentiment élevé de l'art, ont introduit dans l'Eglise des compositions « présentant ces formes très légères et molles » dont la Sacrée Congrégation des Rites se vit forcée de réprimer les abus dans une circulaire adressée aux Evêques d'Italie l'an dernier.

Cette circulaire n'est autre qu'un règlement concernant la Musique d'Eglise, approuvé par N. S. P. Léon XIII.

L'article 1er est ainsi conçu :

« La seule musique vocale figurée (il ne s'agit nulle<<ment du plain-chant dans cette pièce) permise dans «l'Eglise est celle dont les chants graves et pieux con<< viennent à la maison du Seigneur et aux divines «<louanges, et servent, en suivant le sens de la parole « sacrée, à exciter les fidèles à la dévotion. L'exécution «< de la Musique figurée se réglera sur ces principes, « même quand elle est accompagnée de l'orgue ou d'autres <«< instruments (1). »

Vous le voyez, Messieurs, l'article n'impose au compositeur que la condition essentielle de l'art religieux la gravité et la piété. C'est à l'artiste de choisir dans les moules de la pensée les formes qui lui paraissent les

(1) Musica Sacra, 4° année, p. 24, Gand 1885.

plus hiératiques, les plus caractéristiques du sentiment chrétien.

Cependant des membres du clergé, des abbés remarquables autant par leur érudition que par leurs vertus, semblent regretter cette tolérance de l'Eglise pour la Musique moderne ingénieux esthéticiens auxquels a manqué ce que j'appellerai le sens pratique de l'exécution.

D'autres ecclésiastiques moins exclusifs, et tout en reconnaissant au plain-chant une valeur esthétique réelle au point de vue religieux, ont exalté néanmoins l'art nouveau au détriment de l'art ancien parmi eux, un musicien convaincu, le R. P. Girod, qui inspire aujourd'hui aux partisans du plain-chant une terreur wagnérienne; le R. P. Gratry, qui a vu dans la Musique « le plus mer« veilleux modèle de l'art d'exprimer l'âme et la pensée; « elle doit servir de type à l'écrivain, à l'orateur, disait-il, << d'ailleurs c'est une prière (1). »

J'ai dit que la Musique avait envahi toutes les classes de la Société, mais en général elle n'en a encore pénétré que l'enveloppe sans aller jusqu'à l'âme. Celle-ci ne semble pas encore touchée de l'accent d'une langue que d'éminents critiques considèrent comme devant être la langue psychique du XIXe siècle.

Une remarque sur laquelle j'appelle votre attention et que je développerai dans la suite de ce travail s'applique au lien étroit qui unit la Musique religieuse à la Musique séculière. Celle-ci n'est plus vassale de la première comme dans l'antiquité, alors que l'art était essentiellement religieux et que les prêtres seuls avaient le pouvoir de révéler ses mystérieuses langueurs. Si la Musique sortait du temple, c'était pour chanter les vertus des héros ou pour soutenir la valeur des guerriers.

(1) ALFRED Tonnellé.

Fragments sur l'art et la philosophie,

p. 59. Paris. Didier et Cie.

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