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MÉMOIRES

DE SAINT-SIMON.

CHAPITRE PREMIER.

Del Maro seul

Alberoni continue à poursuivre Giudice; lui fait redoubler les ordres d'ôter les armes d'Espagne de dessus la porte de son palais; malice et toute-puissance de ce premier ministre; état personnel du roi d'Espagne. Manéges du Pape et d'Alberoni sur les bulles de Séville et sur le neveu d'Aldovrandi. Avidité et prodigalité du cardinal Ottobon. Avidité et déréglement des neveux du Pape; tracasseries à cette occasion, où Giudice se barbouille. Propos, mémoires, menaces, protestation, forte lutte par écrit entre Acquaviva et le Pape sur le refus des bulles de Séville. Querelle d'Acquaviva avec le gouverneur de Rome. Hauteur et foiblesse du roi d'Espagne à l'égard de Rome; adresse d'Aldovrandi à servir Alberoni. Le Pape embarrassé sur deux ordres venus d'Espagne; Giudice se déchaîne contre Alberoni, et Giudice et Acquaviva l'un contre l'autre; Alberoni se méfie de tous les deux. va droit au but du dessein militaire d'Alberoni. roni, résolu à la guerre, à Londres et à Paris; s'ouvre à Cellamare. Manéges d'Albe- Remises et avis d'Alberoni au duc de Parme; se plaint à l'abbé du Bois, par Monteleon, de l'ignorance où on le tient des conditions du traité, et fait des reproches. Plaintes amères contre le Régent des agents anglois, entièrement impériaux; leur audace et leur imposture. Sage adresse de Monteleon pour oser donner de bons conseils à Alberoni. Singulières ouvertures de l'abbé du Bois à Monteleon. L'Empereur veut les successions de Parme et de Toscane pour le duc de Lorraine; en leurre le duc de Modène; Penterrieder déclare à Londres, à l'envoyé de Sicile, que l'Empereur veut la Sicile absolument; il indispose tant qu'il peut cet envoyé et son maître contre le Régent. Caractère de Monteleon. Le grand-duc et le duc de Parme envoient à Londres faire des représentations inutiles; desirs des Florentins de retourner en république, et non sans quelque espérance. Monteleon reçoit des ordres réitérés de faire des menaces sur l'escadre; les communique à Stanhope; adresse de celui-ci pour l'amuser; adresse de l'autre pour amener l'Espagne SAINT-SIMON XV.

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au traité.

persuadé du

[1718]

Monteleon,

ALBERONI POURSUIT GIUDICE. Points sensibles à Vienne sur le traité. danger de rompre pour l'Espagne, n'oublie rien pour

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l'en dissuader. Bruits d'une révolution prochaine en Angleterre, où le ministère est changé. - Ruse inutile d'Alberoni pour opposer Mécompte de Monteleon; Cellamare

la nation angloise à son roi.

plus au fait; Stairs s'explique nettement sur l'escadre; mouvements contraires dans le parlement d'Angleterre.

Nuages sur la fer

meté de la cour de Vienne tournés à Londres avec adresse. Demandes bien mesurées du grand-duc. Effort d'Alberoni auprès

du Régent; conduite publique et sourdes cabales de Cellamare; il cherche d'ailleurs à remuer le Nord contre l'Empereur.

Stairs sortit de son naturel insolent autant qu'il put, pour tâcher, par les exhortations et les représentations les plus douces, de persuader Cellamare, puis par les menaces en ne se contraignant plus. Ce manége fut inutile, Cellamare savoit trop bien que ce seroit se perdre auprès d'Alberoni que montrer la moindre inclination à la paix; il n'avoit songé qu'à lui plaire dès le commencement de la fortune de ce premier ministre, il n'avoit garde de ne pas continuer. Il y étoit d'autant plus circonspect qu'il craignoit toujours de voir retomber sur lui la haine implacable d'Alberoni contre son oncle le cardinal del Giudice, à qui il ne cessoit de chercher des raisons et des prétextes de lui faire sentir des marques publiques de l'indignation qu'il inspiroit pour lui au roi d'Espagne. Il accusoit Giudice d'entretenir à Madrid des correspondances séditieuses et criminelles. On avoit même emprisonné quelques particuliers sous ce prétexte. Alberoni se plaignit à Cellamare que son oncle étoit incorrigible, et lui manda d'un ton d'amitié qu'il avoit fallu, du temps que Giudice étoit à Madrid, les bons offices de quelqu'un qu'il ne vouloit pas nommer, et la bonté des maîtres pour les empêcher de prendre contre lui des résolutions violentes. Leurs Majestés Catholiques, continuoit-il, étoient irritées de son opiniâtreté à différer d'obéir à leurs [ordres] d'ôter à Rome les armes d'Espagne de dessus la porte de son palais; il en fit craindre les suites à Cellamare, et lui conseilla d'avertir son oncle de

[1718]

ÉTAT DU ROI D'ESPAGNE.

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ne pas s'exposer plus longtemps à l'insulte de les voir arracher avec violence: il n'en falloit pas tant pour intimider Cellamare.

Le courroux d'Alberoni étoit d'autant plus à craindre que tout le monde le regardoit comme le maître absolu et unique de l'Espagne. Il laissoit au roi le seul extérieur de sa dignité royale, et sous son nom et sans lui disposoit absolument des affaires. Soir et matin le cardinal lui présentoit tous les jours une l'asse de papiers qui demandoient sa signature. Quelquefois il disoit en peu de mots la substance de quelques affaires principales, mais jamais il n'entroit dans le détail, et jamais il n'en faisoit de lecture. Après un tel compte si superficiellement rendu, la stampille étoit apposée sur les expéditions. La maladie du roi étoit le prétexte de lui donner si peu de connoissance des affaires. Sur ce même prétexte, l'entrée de son appartement étoit interdite à tous ceux dont on vouloit juger que la présence lui donneroit la moindre contrainte. Il étoit donc réduit à passer ses jours entouré de médecins et d'apothicaires, et bannissant toute1 autre cour, et se crevant toujours de manger, il s'amusoit les soirs à les voir jouer, ou de jouer avec eux. Ces sortes de gens ne faisoient point d'ombrage au cardinal, et ne pouvoient attaquer son pouvoir despotique. Tout autre personnage plus élevé lui étoit suspect. Il parut même qu'il commençoit à se défier du duc de Popoli, quoique le plus soumis et le plus rampant de ceux qui vouloient être considérés comme dépendants de lui. C'est qu'il ménageoit trop les Espagnols. Il fut même accusé d'avoir des liaisons secrètes avec quelques-uns des principaux de la nation. On alla jusqu'à dire qu'il inspiroit des sentiments peu favorables au prince des Asturies, dont il étoit gouverneur, pour le cardinal. Il y eut cependant lieu de croire dans les suites qu'ils s'étoient raccommodés.

Malgré le grand pouvoir d'Alberoni, malgré le respect

1. Tout, sans accord, au manuscrit.

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MANÉGES DU PAPE ET D'ALBERONI

[1718] que la cour de Rome a toujours témoigné pour les ministres en faveur, en quelque cour que ce soit, on peut encore ajouter malgré la déclaration publique de ce cardinal pour la constitution et contre les maximes de France, le Pape continuoit à lui refuser les bulles de Séville. Ce refus étoit fondé en apparence sur les raisons de se plaindre du gouvernement d'Espagne, en effet sur la crainte de déplaire aux Allemands. Alberoni même n'eut pas lieu d'en douter, car le Pape lui offrit secrètement de lui faire toucher les revenus de Séville s'il vouloit bien faire suspendre les instances du roi d'Espagne pour les bulles, et différer pendant quelque temps sa translation à cet archevêché. Cette complaisance pour les Allemands, qu'Alberoni traitoit de bassesse, n'étoit pas la seule qu'il reprochoit à Sa Sainteté. Retenue par la crainte de l'Empereur, elle n'osoit tenir la parole qu'elle avoit donnée à la cour d'Espagne d'y envoyer le neveu d'Aldovrandi porter le bonnet à Alberoni. C'étoit un nouveau sujet de plainte qu'Alberoni mettoit sur le compte de Leurs Majestés Catholiques, en faisant au Pape les compliments les plus soumis et les plus dévoués sur le sien. Mais le roi et la reine d'Espagne étoient inflexibles, et avoient, disoit-il, déclaré que nul autre que ce neveu d'Aldovrandi ne seroit reçu en Espagne pour apporter ce bonnet, et le cardinal Acquaviva eut ordre de faire entendre au Pape qu'on pourroit se porter à faire sortir son nonce de l'Espagne. Alberoni citoit le P. d'Aubanton pour premier témoin du peu qu'il s'en étoit fallu que cette résolution ne fût prise, et plaignoit le sort d'Aldovrandi. Le cardinal disoit que, si jamais le bref dont il étoit question arrivoit à Madrid, il donneroit le dernier coup pour achever la ruine de ce pauvre prélat qui avoit servi le Pape avec tant d'honneur et de probité, et tant d'utilité pour le saint-siége. Il lui rendoit témoignage de la préférence qu'il donnoit à son attachement pour le Pape à toute satisfaction personnelle, par les instances que ce nonce avoit faites à Leurs Majestés Catholiques de

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