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Mais comment les contrées du nord de l'Europe qui, aujourd'hui qu'elles sont si bien cultivées, nourrissent une population fort peu condensée, auraient-elles pu suffire au développement que démontre la périodicité des torrents qui se répandirent sur la partie méridionale de la contrée?

Ce problème mérite sans doute examen; et l'on commence à s'en occuper, peut-être parce qu'on commence à en entrevoir la solution.

Et cette solution n'est pas celle dont jusqu'ici on s'était bénévolement contenté.

Il suffit d'ailleurs d'un simple regard sur les faits dont il s'agit pour sentir combien elle était vide.

Ainsi, pendant les deux cent cinquante ans qui précédent la chute du colosse romain, l'Europe méridionale, attaquée par les barbares, a dû se retrancher derrière cent vingt-cinq camps établis sur les deux côtés de l'angle que forment le Rhin et le Danube. Pendant cinq cents ans les hordes envahissantes ont successivement franchi ces barrières qu'elles avaient renversées; des milliers d'hommes arrivaient sans cesse comme des nuées de sauterelles... et à ces intarissables torrents, on assignerait, pour source, des pays dont la population, aujourd'hui plus nombreuse qu'elle ne fût jamais, est plus occupée à se garantir des influences meurtrières du climat qu'à envahir des régions à sa convenance; des pays où la prodigieuse multiplication qu'on suppose, semble tout à fait impossible!

La Bucharie, le Thibet, le territoire des Mongols et des Mantchoux, dont la population est, au plus, de quarante habitants par lieue carrée, pourraient-ils être le berceau de ces innombrables armées ?

Que sera-ce si, nous reportant plus au nord de l'Asie, nous considérons la Sibérie dont la population actuelle n'est, en moyenne, que d'un individu par lieue carrée?

CHAPITRE III

TEMPS HISTORIQUES.

Les notions concernant les premiers temps historiques se ressentent du vague où se trouve ce qui les a précédés.

Tâchons d'indiquer, à grands traits, les limites du sujet qui nous occupe dans cette notice.

De l'embouchure de la Loire à l'embouchure du Rhin, le littoral fut quelque temps désigné comme côte de l'Armorique. La partie du territoire continental au nord de la Loire était désignée comme la résidence des Francks, des Germains, des Teutons.

La côte qui s'étend de l'embouchure de la Canche à celle de l'Escaut, limitait à peu près la Morinie à l'occident.

Du reste, Ar-mor-ique, Mor-inie, sont deux dérivés de mor, moer, mot celte désignant mare, marais, et qui est resté avec cette signification dans la langue flamande.

Morinie désignait notre région par sa qualité physique; terre des moeres ou des marais.

Ce n'était pas précisément un nom propre; pas plus que Pays-Bas, Nederland; pas plus que ne désignait spécialement une nation, le mot KIMRIS (Cimbres), qui signifie compatriote; ou (VLAEMSCH), Flamand, qui veut dire émigrant.

En se fixant sur le territoire de la Morinie, les émigrants devenaient bien des Morins; mais ils n'en conservaient pas moins leur nationalité antérieure, leur langue, leurs institutions politiques et religieuses, et parmi les Morins on peut montrer, suivant les époques, des Ruthéniens, des Brythons, des Nerviens, des Ménapiens, des Saxons, des Romains, des Francks, des Normands, etc., etc.

Nous indiquerons très-brièvement ce que nous savons sur chacun de ces peuples pour nous étendre un peu plus sur cette partie de la race saxonne que l'on nomme Karlings ou Kerls, et qui sont plus particulièrement les ancêtres des Flamands de France.

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Le littoral de la Morinie porta longtemps un nom qui semble aujourd'hui fort singulier, savoir: Russium littus, rivage russe ou reuse; Ruthenicum littus, rivage ruthène ou rhúthénien.

La contrée attenante était la Ruthénie, la Ruthélie ou Ruthunie; nom dérivé de Ruthen, vaste forêt qui y existait du temps de Jules-César.

(

Vander Haer rapporte1 que ce général cheminant avec son armée par le pays de Flandre », aurait trouvé « sur la marine plusieurs géants ou reuses, lesquels il a tout défaits, et prenant sa route vers le West... » serait arrivé à Boulogne.

Ces géants ou réuses, dont la mémoire a traversé vingt siècles, ne sont pas encore oubliés à Douai, qui conserve Gayant; ni à Dunkerque où Reuse est encore populaire; ni dans bien d'autres villes de Flandre où des personnages gigantesques figurent aux cortéges des grandes cérémonies publiques; à Lille, sous le nom de Lydéric; à Menin, à Gand, Anvers, etc., sous d'autres noms.

Ces Reuses étaient-ils les premiers habitants du Russium littus? et les Ruthènes ou Ruthéniens qui sont aujourd'hui en Russie, ont-ils quelque rapport avec les premiers occupeurs de la Flandre?

1 Histoire des châtelains de Lille, p. 25.

On le saura peut-être un jour.

Quoi qu'il en soit, antérieure à l'ère chrétienne, cette désignation de Ruthénie s'est continuée bien longtemps; en 870, la côte de Gravelines était encore le Ruthenium Littus. Malbrancq dans son livre de Morinis, Meyer dans ses Annales, emploient cette désignation.

De nos jours encore, à St-Momelin (Nord), l'endroit où est le bac qui aide à passer l'Aa, dans le voisinage de Holque, pour aller à Ruminghem, se nomme le Ruthe, la campagne du Ruthe 1.

Les Diablinthes, ces premiers habitants de la contrée, au dire de Faulconnier, auraient été désignés aussi par le nom de Ruthenrens

2

Meyer pense que les Ruthéniens de la Morinie étaient des peuplades de Cimbres ou de Saxons. Montlinot les fait venir de Suède.

D'ailleurs on signale des Ruthéniens en Russie; au nord de la Pologne; en Servie; on montre à Lemberg en Gallicie une église métropolitaine du rite grec Ruthen. La province de Liége a un village et un château de ce nom. Dans la vie de St-Patrice, se trouve cité le Ruthen en Ecosse. Orodoc prétend que nos Ruthènes sont une colonie de Bretons; il avance comme une chose bien constatée que les Albiens, les Northumbres et les Bretons ont toujours été appelés Ru

1 Courtois (ANNALES du Comité flamand, t. vi).

2 M. J. J. Carlier, fait remarquer que César parle des Diablinthes qui résidaient dans le Maine.

Schrieckius, trouvant les Diablinthes nommés entre les Morins et les Ménapiens, en a conclu qu'ils habitaient Dunkerque. De Diablinthes, il a fait Diabintes qu'il a considéré comme la contraction de die hapinden qu'il traduit par : peuple naviguant dans un port en forme de hâche... Or à l'époque en question, Dunkerque n'existait pas...Et Faulconnier s'est égaré en se faisant l'écho de cette interprétation ridicule.

thènes, Ruthéniens du nom de Ruthenus leur chef. Il ajoute que la cité, les ports et les rivages des Morins ont été conquis et occupés par ces peuplades 1.

A ceux qui préfèreraient les origines méridionales, nous dirons d'après d'Oudegherst 2, que les Ruthéniens font partie du diocèse de Rodez, des environs de Toulouse, de Nantua nous ajouterons que le Rouergue est souvent nommé Ruthen.

3

Le titre le plus ancien où figure ce nom est, selon M. Courtois, le Cartulaire de St-Bertin. La Ruthénie y est distinguée de la Flandre que l'on indique comme étant dans le voisinage1.

La forêt Ruthen 5, le chef Ruthenus, le littus Ruthenicum, la Ruthulie ou Ruthénie, les Ruthènes.Voilà des êtres concrets dont l'existence paraît positive.

D'Oudegherst nous dit que Lyderic I, épousa la fille du Prince des Ruthènes.

Ainsi, un territoire, une nation, un roi, une alliance avec un personnage historique. Voilà ce que nous savons des

1 Voir ANNALES du Comité flamand de France, tome vi, le « Mémoire sur le Ruthen» par M. Courtois, qui nous a fourni la presque totalité des faits de ce paragraphe.

2 ANNALES de Fl, 1, p. 75.

3 Dans la «< Vie des Saints,» par M. l'abbé Destombes, on lit cette mention (tome II, p. 41): «Nantua au pays des anciens Ruthéniens près de l'endroit où la Dourbie se jette dans le Tarn au diocèse de Rodez. »

4 His Ruthenica Patria.

Cum vicine Flandria.

Agnio riparia
Suscepere numina.

Proludia du Charthularium Sithiense.

5 Suivant M. Courtois, l'étymologie donne au mot Ruthen la valeur de : Rivage des Pirates; ou mieux: Rivage bas, humide, pourri, malsain..... et sous ce rapport il convenait parfaitement au littoral de notre contrée à cette lointaine époque. Mais il faut n'y voir qu'une coïncidence fortuite; les autres peuplades Ruthènes n'en ont pas tiré leur nom de la côte flamande...

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