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quelconque, entraînera une hausse correspondante d'un cinquième dans les prix. En fait de céréales, il s'en faut de beaucoup que les choses se passent de même; et on a constaté, par plusieurs observations, qu'un déficit de 12 pour 100 dans la récolte suffisait pour déterminer une hausse de plus de 30 pour 100 dans les prix; qu'un déficit d'un sixième causait quelquefois une élévation de prix qui allait jusqu'à 100 pour 100, et un déficit d'un tiers une augmentation de 200 pour 100.

Un examen attentif de certains faits inhérents à la culture permet seul de se rendre compte de cette apparente anomalie. Son inévitable effet sur l'esprit des masses est de leur faire croire aux accaparements et au monopole, qui n'y sont pour rien. En effet, il n'en est pas d'une ferme comme d'une manufacture, qui peut, en se détériorant, mais sans périr, supporter le chômage. Le travail du cultivateur ne comporte ni interruption, ni suspension; le chômage de sa part entraînerait le plus affreux cataclysme, ce serait presque la fin du monde. Quelle que soit donc la pénurie de la récolte, il faut toujours que l'œuvre du cultivateur se poursuive; il faut toujours qu'il prélève sur les produits de l'année précédente, quelques minimes qu'ils soient, et la part nécessaire à la semence et la part nécessaire au soutien de ses forces, à son alimentation personnelle aussi bien qu'à celle de sa famille et des travailleurs qui le secondent. C'est là le privilége nécessaire et sacré de ceux qui restent fidèles aux rudes et modestes labeurs de l'agriculture. Vous concevrez, maintenant, comment cette portion réservée, qui ne diminue que d'une manière assez insensible, même au sein des

disettes, laisse si lourdement peser les déficits sur la portion des récoltes livrée à la vente et à la consommation de ceux qui sont obligés d'acheter leur subsistance.

Cette observation, déjà sensible sous la forme du raisonnement, le devient plus encore quand on la démontre en chiffres. Elle l'a été par un écrivain qui prend pour exemple un cultivateur récoltant en moyenne 1,200 hectolitres de blé, et qui en consomme 600 par an pour l'ensemencement de ses terres et la dépense de sa maison. Il reste à ce cultivateur un excédant de 600 hectolitres à porter sur le marché.

Maintenant, supposez dans une mauvaise année cette récolte réduite d'un sixième, c'est-à-dire à 1,000 hectolitres, la dépense de la ferme et de l'ensemencement reste la même, soit 600 hectolitres, et notre cultivateur n'a plus que 400 hectolitres à porter sur le marché; que si la récolte est réduite d'un tiers, à 800 hectolitres, la portion portée sur le marché ne sera plus que de 200 hectolitres.

Ainsi, dans le premier cas, une réduction d'un sixième dans la récolte en amènera une d'un tiers dans l'offre, et dans le second cas, une réduction d'un tiers dans la récolte en amènera une des deux tiers dans l'offre.

Mais ce n'est pas tout encore.

Habituellement le prix élevé d'une denrée détermine chez les acheteurs une certaine retenue dans leurs acquisitions et une sorte de résistance aux conditions onéreuses qui leur sont imposées; tout le contraire se manifeste dans le commerce des céréales. Le déficit éveille les craintes des consomma

teurs, porte la perturbation dans leurs âmes et en fait autant de surenchérisseurs ardents. Là où il n'y a qu'une insuffisance peu sensible, leur imagination frappée de panique leur montre la disette. Ils redoutent, pour le lendemain, des prix supérieurs à ceux qu'on leur demande aujourd'hui, et ils sont ainsi les premiers à soutenir et à augmenter une hausse qu'atténuerait plus de modération et de calme.

Ce sont ces alarmes exagérées et générales qui font encore qu'à la suite d'une année stérile, le produit d'une bonne récolte ne suffit presque jamais pour ramener immédiatement les prix à un taux modéré. Le déficit de la mauvaise année, qui a précédé, continue à agir sur les esprits et à peser sur les cours pendant l'année réparatrice, dont les heureux effets sont encore exposés à l'influence des espérances ou des craintes inspirées par la récolte qui suit. Le présent se trouve ainsi placé dans la double dépendance du passé et de l'avenir. Aussi at-on remarqué qu'il ne fallait pas moins de trois récoltes successivement abondantes pour rétablir d'une manière durable et certaine un niveau modéré dans le prix.

L'abaissement des prix n'offre pas de moins étranges résultats.

Souvent les consommateurs accusent les cultivateurs de cette fermeté si longtemps soutenue des cours. Ils ne font pas attention qu'ils en sont euxmêmes les premiers auteurs, et qu'elle est la conséquence d'une certaine anxiété générale dont il n'est donné à personne de tempérer ni de maîtriser les effets. Il n'y a de détente complète que quand

tous les canaux et tous les débouchés de la consommation sont remplis, et qu'une sécurité absolue est rentrée dans tous les esprits.

C'est alors qu'arrivent pour l'agriculture les jours de représailles, et qu'elle a à supporter, en compensation de la hausse dont elle a joui, des abaissements de prix qui ne sont plus équitablement rémunérateurs pour elle. C'est ainsi qu'après avoir vendu en 1817 une récolte de 48 millions d'hectolitres au prix de 2 milliards, elle ne parvint pas, en 1820 à faire tout à fait 900 millions d'une récolte de 44,500,000 hectolitres. C'est ainsi qu'en 1847, après avoir obtenu encore 2 milliards d'une récolte de 97 millions d'hectolitres, elle fit à peine, en 1848, 1,400 millions d'une récolte de 88 millions d'hectolitres.

Une autre opinion encore qui, pour être généralement répandue, n'en est pas mieux fondée, c'est que la guerre influe sur l'élévation du prix des blés. Dire que cela n'ait jamais lieu chez certains peuples et dans certaines circonstances données, ne serait pas conforme à la vérité et à l'histoire. Ainsi on a vu des élévations de prix prodigieuses dans des pays qui servaient de théâtre à la guerre et qui étaient dévastés par elle, aussi bien que dans les villes assiégées; mais il n'est pas moins vrai que de grandes guerres faites par des nations puissantes, hors de leur territoire, n'ont aucune influence sur le prix des blés. Un registre du cours des blés, tenu avec beaucoup d'exactitude dans une petite ville d'Angleterre, de 1688 à 1792, pendant cinq périodes de guerre et cinq périodes de paix qui se sont succédées durant ce siècle, prouve que le prix des céréales

n'a pas été plus élevé pendant la guerre que pendant la paix (1).

Tels sont, Messieurs, quelques-uns des phénomènes que présentent les céréales dans leurs effets commerciaux, phénomènes qui, bien que le vulgaire n'en veuille souvent rien croire, font l'objet incessant des observations et de la sollicitude de ceux qui ont la pénible mission d'administrer et de gouverner. Car, on ne saurait trop le répéter, il n'y a point de sujet qui engendre plus d'erreurs funestes parmi les masses, qui soulève dans leur sein plus de passions aveugles.

En ce qui touche les céréales, les acheteurs, vivement émus des privations qu'ils ont à supporter, des inquiétudes dont ils se préoccupent, s'en prennent à tout, excepté à la vraie cause à laquelle ils devraient les attribuer. Ils accusent le cultivateur, dont le seul crime est d'avoir arrosé de ses sueurs une terre rebelle à des travaux qu'il faut toujours renouveler, même sans espoir de récompense; ils ac

(4) On trouve l'extrait de ce registre qui indique les prix du froment à Windsor dans l'ouvrage de M. Took, History of prices. Nous croyons intéressant de le reproduire :

De 1688 à 1607 10 années de guerre 2 liv.

2 sh. 6 314 d.

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