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Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre.
Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités,
Viendront ici sur vous fondre de tous côtés.

Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite
A rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte.
Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés,
Suffisent à ma cendre et l'honorent assez.

Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie,
Allez, réservez-vous....

XIPHARÈS.

Moi, seigneur! que je fuie!

Que Pharnace impuni, les Romains triomphans,
N'éprouvent pas bientôt....

MITHRIDATE.

Non, je vous le défends.

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse :
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice'.
Mais je sens affoiblir ma force et mes esprits;

Je sens que je me meurs. Approchez-vous, mon fils;
Dans cet embrassement dont la douceur me flatte,
Venez, et recevez l'âme de Mithridate.

Il expire.

MONIME.

XIPHARÈS.

Ah! madame, unissons nos douleurs,

Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs

1. Pharnace se révolta contre les Romains, et fut facilement vaincu par César, qui écrivit au sénat : « Veni, vidi, vici, je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu.»>

FIN DE MITHRIDATE.

TRAGÉDIE.

4674.

PRÉFACE.

Il n'y a rien de plus célèbre dans les poëtes que le sacrifice d'Iphigénie; mais ils ne s'accordent pas tous ensemble sur les plus importantes particularités de ce sacrifice. Les uns, comme Eschyle dans Agamemnon, Sophocle dans Électre, et, après eux, Lucrèce, Horace, et beaucoup d'autres, veulent qu'on ait en effet répandu le sang d'Iphigénie, fille d'Agamemnon, et qu'elle soit morte en Aulide. Il ne faut que lire Lucrèce, au commencement de son premier livre :

« Aulide quo pacto Triviaï virginis aram
<< Iphianassaï turparunt sanguine fœde
«Ductores Danaum, etc.' >>

Et Clytemnestre dit, dans Eschyle, qu'Agamemnon, son mari, qui vient d'expirer, rencontrera dans les enfers Iphigénie, sa fille, qu'il a autrefois immolée.

D'autres ont feint que Diane, ayant eu pitié de cette jeune princesse, l'avoit enlevée et portée dans la Tauride, au moment qu'on l'alloit sacrifier, et que la déesse avoit fait trouver en sa place ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des Métamorphoses.

Il y a une troisième opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres sur Iphigénie. Plusieurs auteurs, et entre autres Stésichorus, l'un des plus fameux et des plus anciens poëtes lyriques, ont écrit qu'il étoit bien vrai qu'une princesse de ce nom avoit été sacrifiée, mais que cette Iphigénie étoit une fille qu'Hélène avoit eue de Thésée. Hélène, disent ces auteurs, ne l'avoit osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osoit déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée en secret avec Thésée. Pausanias (Corinth. p. 125)

4. Par quel crime les chefs de la Grèce, assemblés dans l'Aulide, souillèrent l'autel de Diane du sang d'Iphigénie. »

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rapporte et le témoignage et les noms des poëtes qui ont été de ce sentiment, et il ajoute que c'étoit la créance commune de tout le pays d'Argos.

Homère enfin, le père des poëtes, a si peu prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie, que, dans le neuvième livre de l'Iliade, c'est-à-dire près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'il a, dit-il, laissée à Mycène, dans sa maison.

J'ai rapporté tous ces avis si différens, et surtout le passage de Pausanias, parce que c'est à cet auteur que je dois l'heureux personnage d'Ériphile, sans lequel je n'aurois jamais osé entreprendre cette tragédie. Quelle apparence que j'eusse souillé la scène par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il falloit représenter Iphigénie? Et quelle apparence encore de dénouer ma tragédie par le secours d'une déesse et d'une machine, et par une métamorphose, qui pouvoit bien trouver quelque créance du temps d'Euripide, mais qui seroit trop absurde et trop incroyable parmi nous?

Je puis dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les anciens cette autre Iphigénie que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse vouloit précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compassion Aussi le dénoûment de la pièce est tiré du fond même de la pièce, et il ne faut que l'avoir vu représenter pour comprendre quel plaisir j'ai fait aux spectateurs, et en sauvant à la fin une princesse vertueuse pour qui il s'est si fort intéressé dans le cours de la tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle qu'il n'auroit pu souffrir, parce qu'il ne le sauroit jamais croire.

Le voyage d'Achille à Lesbos, dont ce héros se rend maître, et d'où il enlève Eriphile avant que de venir en Aulide, n'est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chalcide, poëte trèsconnu parmi les anciens, et dont Virgile (Églog. x) et Quintilien (Instit., lib. X) font une mention honorable, parloit de ce voyage de Lesbos. Il disoit dans un de ses poëmes, au rapport de Parthénius, qu'Achille avoit fait la conquête de cette île avant que de joindre l'armée des Grecs, et qu'il y avoit même trouvé une princesse qui s'étoit éprise de lui.

Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l'économie et de la fable d'Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J'avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été le plus approuvés dans ma tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers, que ces approbations m'ont confirmé dans l'estime et dans la vé

nération que j'ai toujours eues pour les ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir, par l'effet qu'a produit sur notre théâtre tout ce que j'ai imité ou d'Homère ou d'Euripide, que le bon sens et la raison étoient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athènes; mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce, et qui ont fait dire qu'entre les poëtes Euripide étoit extrêmement tragique, тpayıxwTaTos, c'est-à-dire qu'il savoit merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie.

Je m'étonne, après cela, que des modernes aient témoigné depuis peu tant de dégoût pour ce grand poëte, dans le jugement qu'ils ont fait de son Alceste. Il ne s'agit point ici de l'Alceste; mais en vérité j'ai trop d'obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire, et pour laisser échapper l'occasion de le réconcilier avec ces messieurs je m'assure qu'il n'est si mal dans leur esprit que parce qu'ils n'ont pas bien lu l'ouvrage sur lequel ils l'ont condamné. J'ai choisi la plus importante de leurs objections, pour leur montrer que j'ai raison de parler ainsi. Je dis la plus importante de leurs objections, car ils la répètent à chaque page, et ils ne soupçonnent pas seulement que l'on puisse répliquer.

Il y a,, dans l'Alceste d'Euripide, une scène merveilleuse, où Alceste, qui se meurt et qui ne peut plus se soutenir, dit à son mari les derniers adieux. Admète, tout en larmes, la prie de reprendre ses forces, et de ne se point abandonner elle-même. Alceste, qui a l'image de la mort devant les yeux, lui parle ainsi :

Je vois déjà la rame et la barque fatale;
J'entends le vieux nocher sur la rive infernale.
Impatient, il crie: « On t'attend ici-bas;

Tout est prêt, descends, viens, ne me retarde pas.

J'aurois souhaité de pouvoir exprimer dans ces vers les grâces qu'ils ont dans l'original; mais au moins en voilà le sens. Voici comme ces messieurs les ont entendus: il leur est tombé entre les mains une malheureuse édition d'Euripide où l'imprimeur a oublié de mettre dans le latin, à côté de ces vers, un Al., qui signifie que c'est Alceste qui parle; et à côté des vers suivans, un Ad., qui signifie que c'est Admète qui répond. Là-dessus il leur est venu dans l'esprit la plus étrange pensée du monde : ils ont mis dans la bouche d'Admète les paroles qu'Alceste dit à Admète, et celles qu'elle se fait dire par Caron. Ainsi ils supposent qu'Admè te, quoiqu'il soit en parfaite santé, pense voir déjà Caron qui le vient prendre; et au lieu que, dans ce passage d'Euripide, Caron, im

patient, presse Alceste de le venir trouver, selon ces messieurs, c'est Admète effrayé qui est l'impatient, et qui presse Alceste d'expirer, de peur que Caron ne le prenne. Il l'exhorte, ce sont leurs termes, à avoir courage, à ne pas faire une lâcheté, et à mourir de bonne grâce; il interrompt les adieux d'Alceste pour lui dire de se dépêcher de mourir. Peu s'en faut, à les entendre, qu'il ne la fasse mourir lui-même. Ce sentiment leur a paru fort vilain, et ils ont raison: il n'y a personne qui n'en fût très-scandalisé. Mais comment l'ont-ils pu attribuer à Euripide? En vérité, quand toutes les autres éditions où cet Al. n'a point été oublié ne donneroient pas un démenti au malheureux imprimeur qui les a trompés, la suite de ces quatre vers, et tous les discours qu'Admète tient dans la même scène, étoient plus que suffisans pour les empêcher de tomber dans une erreur si déraisonnable car Admète, bien éloigné de presser Alceste de mourir, s'écrie: Que toutes les morts ensemble lui seroient moins cruelles que de la voir dans l'état où il la voit. Il la conjure de l'entraîner avec elle; il ne peut plus vivre si elle meurt; il vit en elle, il ne respire que pour elle. D

Ils ne sont pas plus heureux dans les autres objections. Ils disent, par exemple, qu'Euripide a fait deux époux surannés d'Admète et d'Alceste; que l'un est un vieux mari, et l'autre une princesse déjà sur l'âge. Euripide a pris soin de leur répondre en un seul vers, où il fait dire par le choeur qu'Alceste, toute jeune, et dans la première fleur de son âge, expire pour son jeune époux.

Ils reprochent encore à Alceste qu'elle a deux grands enfans à marier. Comment n'ont-ils point lu le contraire en cent endroits, et surtout dans ce beau récit où l'on peint Alceste mourante au milieu de ses deux petits enfans, qui la tirent, en pleurant, par la robe, et qu'elle prend sur ses bras l'un après l'autre pour les baiser?

Tout le reste de leurs critiques est à peu près de la force de celle-ci. Mais je crois qu'en voilà assez pour la défense de mon auteur. Je conseille à ces messieurs de ne plus décider si légèrement sur les ouvrages des anciens. Un homme tel qu'Euripide méritoit au moins qu'ils l'examinassent, puisqu'ils avoient envie de le condamner; ils devoient se souvenir de ces sages paroles de Quintilien: « Il faut être extrêmement circonspect et très-retenu à prononcer sur les ouvrages de ces grands hommes, de peur qu'il ne nous arrive, comme à plusieurs, de condamner ce que nous n'entendons pas; et s'il faut tomber dans quelque excès, encore vaut-il mieux pécher en admirant tout dans leurs écrits, qu'en y blâmant beaucoup de choses. >> « Modeste tamen et << circumspecto judicio de tantis viris pronuntiandum est, ne,

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