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ris, pour y faire sa philosophie. Il entra l'année suivante chez son cousin Vitart, intendant du duc de Chevreuse, et devint l'un de ses employés. Cette situation était assez douce. Son cousin, plus âgé que lui de quelques années, l'aimait comme un frère; sa femme, Mlle Vitart, et sa mère, Mlle Vitart la sage-femme, le comblaient de soins et de prévenances; enfin le jeune duc de Chevreuse, dont il avait été le condisciple à Port-Royal, le traitait en véritable ami. Racine, dès sa sortie du collège, avait composé, sur la naissance du Dauphin, son ode intitulée : La Nymphe de la Seine. Vitart porta cette ode à Chapelain, qui était, comme on disait alors, « l'arbitre du Parnasse, » et sur la recommandation de Chapelain, Colbert envoya d'abord au jeune poëte cent louis de la part du roi, et ne tarda pas à l'inscrire sur la liste des gens de lettres pour une pension de six cents livres.

Cependant, malgré le succès de son ode, et la bienveillance de la famille Vitart, Racine sentait qu'il fallait se faire une carrière. Il avait un oncle maternel, nommé le père Sconin, chanoine régulier de Sainte-Geneviève, qui était grand vicaire de l'évêque d'Uzès, et qui lui promit de lui faire obtenir un bénéfice, s'il voulait se rendre à Uzès et y étudier la théologie. Racine, qui aimait passionnément les femmes et la poésie, partit à contre-cœur pour le Languedoc, s'y fit adorer de son oncle, ouvrit à peine saint Thomas, écrivit force sonnets, sollicita le prieuré d'Ouchies, et après de vains efforts pour renoncer à son goût dominant, revint à Paris, ne rapportant de son excursion à Uzès qu'une tragédie de Théagène et Chariclée. Il fut pourtant un moment prieur d'Epinay; mais son prieuré ne lui valut qu'un procès, auquel il se vantait plus tard de n'avoir jamais rien compris.

Racine porta sa tragédie à Molière, qui ne la jugea pas digne d'être représentée, mais qui du moins encouragea le poëte, lui indiqua le sujet des Frères ennemis, et, dit-on, lui prêta de l'argent pour le mettre à même d'y travailler. Cette tragédie fut jouée en 1664 sur le théâtre du Palais-Royal, et Molière se chargea luimême du rôle d'Étéccle. Elle eut du succès, quoique bien éloignée d'annoncer ce que l'auteur devait être un jour. Racine com. posa la même année son ode de la Renommée aux Muses, qui fut bien reçue à la cour. Boileau écrivit quelques remarques sur l'exemplaire qu'on lui communiqua; Racine, qui les trouva justes,

voulut l'en remercier, et ce fut la première origine d'une amitié qui ne se démentit jamais.

Le 15 décembre 1665, Racine donnait sa seconde tragédie, Alexandre le Grand. On remarqua, comme une particularité sans exemple, qu'elle fut jouée le même jour au Palais-Royal et à l'Hôte de Bourgogne. Quelque temps après, Mlle du Parc, qui avait rempli le rôle d'Axiane au Palais-Royal, quitta la troupe de Molière pour s'engager dans la troupe rivale. Molière, déjà mécontent de voir représenter l'Alexandre à l'Hôtel de Bourgogne, ne pardonna pas à Racine la part qu'il avait prise à la désertion de sa meilleure actrice. Ils demeurèrent brouillés, et Molière, dit-on, prononça le mot d'ingratitude. Ils continuèrent pourtant à se rendre justice l'un à l'autre. Molière défendit hautement les Plaideurs. Racine ne voulut pas croire à la chute du Misanthrope. « Je n'étais pas à la première représentation, dit-il; mais il est impossible que Molière ait fait une mauvaise comédie. >>

Saint-Évremond avait déclaré que l'Alexandre le consolait de la vieillesse de Corneille. Cependant Racine ne fut vraiment luimême que dans Andromaque, qui parut en 1667. Alexandre n'était qu'une promesse; Andromaque, à deux ans de distance, était déjà un chef-d'œuvre. On vit, pour la première fois en France des hommes sur le théâtre, au lieu des héros cornéliens, qu'il faut regarder dans une sorte de lointain majestueux, parce qu'ils sont plus grands que nature; et pour la première fois aussi, on entendit des vers parfaitement écrits, qui respiraient la bienséance, la vérité, la modestie, la mollesse élégante. La représentation d'Andromaque fut un événement, et ne fit pas moins de bruit que n'en avait fait celle du Cid trente ans auparavant. Le grand Corneille, qui après la lecture de l'Alexandre, avait conseillé à Racine de renoncer à la tragédie, sentit qu'il avait désormais un rival.

Racine avait le succès et la gloire; mais il était dans sa nature de sentir plus vivement la douleur que la joie. Il voyait contre lui les amis de Corneille, et cette foule de critiques qui, dans tous les temps, s'acharnent contre une jeune renommée. Sa famille janséniste, ses maîtres de Port-Royal, loin de s'applaudir avec lui de ses succès, le traitaient en réprouvé et en apostat. Enfin, un procès lui enleva son prieuré d'Épinay, presque son uniqu

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CEUVRES COMPLÈTES

DE RACINE

TYPOGRAPHIE DE CH. LAHURE Imprimeur du Sénat et de la Cour de Cassation rue de Vaugirard, 9

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