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PLAN

DU PREMIER ACTE

D'IPHIGÉNIE EN TAURIDE'.

SCÈNE I.

IPHIGÉNIE, UNE CAPTIVE GREcque.

Iphigénie vient avec une captive grecque, qui s'étonne de sa tristesse, et lui demande si elle est affligée de ce que la fête de Diane se passera sans qu'on immole aucun étranger.

<< Tu peux croire, dit Iphigénie, si c'est là un sentiment digne de la fille d'Agamemnon. Tu sais avec quelle répugnance j'ai préparé les misérables que l'on a sacrifiés depuis que je préside à ces cruelles cérémonies. Je me faisois une joie de ce que la fortune n'avoit amené aucun Grec pour cette journée, et je triomphois de la douleur commune qui est répandue dans cette île, où l'on compte pour un présage funeste de ce que nous manquons de victimes pour cette fête. Mais je ne puis résister à la secrète tristesse dont je suis occupée depuis le songe que j'ai fait cette nuit. J'ai cru que j'étois à Mycène, dans la maison de mon père il m'a semblé que mon père et ma mère nageoient dans le sang, et que moi-même je tenois un poignard à la main pour en égorger mon frère Oreste. Hélas! mon cher Oreste!

LA CAPTIVE. Mais, madame, vous êtes trop éloignés l'un de l'autre pour craindre l'accomplissement de votre songe.

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IPHIGÉNIE. Et ce n'est pas aussi ce que je crains; mais je crains avec raison qu'il n'y ait de grands malheurs dans ma famille les rois sont sujets à de grands changemens. Ah! si je t'avois perdu, mon cher frère Oreste, sur qui seul j'ai fondé mes espérances! car enfin j'ai plus sujet de t'aimer que tout le reste de ma famille tu ne fus point coupable de ce sacrifice où mon père m'avoit condamnée dans l'Aulide; tu étois un enfant de dix ans. Tu as été élevé avec moi, et tu es le seul de toute la Grèce que je regrette tous les jours.

4. Le manuscrit de ce plan, tracé par la main même de l'auteur, fut déposé à la Bibliothèque du roi, et publié par son fils, en 1747, non pas, dit-il, comme un fragment curieux, mais comme un morceau propre à faire connaître de quelle manière Racine, quand il entreprenait une tragédie, disposait chaque acte en prose.

LA CAPTIVE. Mais, madame, quelle apparence qu'il sache l'état où vous êtes? Vous êtes dans une île détestée de tout le monde : si le hasard y amène quelque Grec, on le sacrifie. Que ne renoncez-vous à la Grèce? que ne répondez-vous à l'amour du prince?

IPHIGÉNIE. Eh! que me serviroit de m'y attacher? Son père Thoas lui défend de m'aimer; il ne me parle qu'en tremblant : car ils ignorent tous deux ma naissance, et je n'ai garde de leur découvrir une chose qu'ils ne croiroient pas; car quelle apparence qu'une fille que les pirates ont enlevée dans le moment qu'on alloit la sacrifier pour le salut de la Grèce fût la fille du général de la Grèce? Mais voici ce prince.

SCENE II.

LE FILS DE THOAS, IPHIGÉNIE,

LA CAPTIVE GRECQUE.

IPHIGÉNIE. — Qu'avez-vous, prince? D'où vient ce désordre et cette émotion?

-

LE FILS DE THOAS. Madame, je suis cause du plus grand malheur du monde. Vous savez combien j'ai détesté avec vous les sacrifices de cette île je me réjouissois de ce que vous seriez aujourd'hui dispensée de cette funeste occupation; et cependant je suis cause que vous avez deux Grecs à sacrifier.

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LE FILS DE THOAS. - On m'est venu avertir que deux jeunes hommes étoient environnés d'une grande foule de peuple contre lequel ils se défendoient. J'ai couru sur le bord de la mer; je les ai trouvés à la porte du temple, qui vendoient chèrement leur vie, et qui ne songeoient chacun qu'à la défense l'un de l'autre. Leur courage m'a piqué de générosité. Je les ai défendus moimême; j'ai désarmé le peuple et ils se sont rendus à moi. Leurs habits les ont fait passer pour Grecs ils l'ont avoué. J'ai frémi à cette parole; on les a amenés malgré moi à mon père et vous pouvez juger quelle sera leur destinée. La joie est universelle, et on remercie les dieux d'une prise qui me met au désespoir. Mais enfin, madame, ou je ne pourrai, ou je vous affranchirai bientôt de la malheureuse dignité qui vous engage à ces sacrifices. Mais voici le roi mon père.

:

SCENE III. THOAS, LE FILS DE THOAS, IPHIGÉNIE,

THOAS.

LA CAPTIVE GRECQUE.

Quoi! madame, vous êtes encore ici! Ne devriez-vous pas être dans le temple pour remercier la déesse de ces deux victimes qu'elle nous a envoyées? Allez préparer tout pour le sa

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crifice, et vous reviendrez ensuite, afin qu'on vous remette entre les mains ces deux étrangers. » Iphigénie sort.

SCÈNE IV.

THOAS, LE FILS DE THOAS.

Le prince fait quelques efforts pour obtenir de son père la vie des deux Grecs, afin qu'il ne les ait pas sauvés inutilement. Le roi le maltraite, et lui dit que ce sont là les sentimens qui lui ont été inspirés par la jeune Grecque; il lui reproche la passion qu'il a pour une esclave.

LE FILS DE THOAS. « Et qui vous dit, seigneur, que c'est une esclave?

THOAS.

Et quelle autre qu'une esclave auroit été choisie par les Grecs pour être sacrifiée?

LE FILS DE THOAS. - Quoi! ne vous souvient-il plus des habillemens qu'elle avoit lorsqu'on l'amena ici? Avez-vous oublié que les pirates l'enlevèrent dans le moment qu'elle alloit recevoir le coup mortel? Nos peuples eurent plus de compassion pour elle que les Grecs n'en avoient eu; et au lieu de la sacrifier à Diane, ils la choisirent pour présider elle-même à ses sacrifices. >>

Le prince sort déplorant sa malheureuse générosité, qui a sauvé la vie à deux Grecs, pour la leur faire perdre plus cruellement.

THOAS.

SCENE V.

THOAS, LE CONFIDENT.

Le roi témoigne à son confident qu'il se fait violence en maltraitant son fils.

« Mais quelle apparence de donner les mains à une passion qui le déshonore? Allons, et demandons à la déesse, parmi nos prières, qu'elle donne à mon fils des sentimens plus dignes de lui. »

FIN DU PLAN DU PREMIER ACTE D'IPHIGENIE.

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Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins?
Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins?
Dieu vous ordonne-t-il de tenter l'impossible?
Pour obéir aux lois d'un tyran inflexible,
Moïse, par sa mère au Nil abandonné,

Se vit, presque en naissant, à périr condamné ;
Mais Dieu, le conservant contre toute espérance,
Fit par le tyran même élever son enfance
Qui sait ce qu'il réserve à votre Éliacin;
Et si, lui préparant un semblable destin,
Il n'a point de pitié déjà rendu capable
De nos malheureux rois l'homicide implacable?
Du moins, et Josabeth comme moi l'a pu voir,
Tantôt à son aspect je l'ai vu s'émouvoir;

J'ai vu de son courroux tomber la violence
Princesse, en ce péril vous gardez le silence?
Hé quoi! pour un enfant qui vous est étranger
Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger
Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu'on l'adore?
Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux
Ce jeune enfant étoit un reste précieux?

JOSABETH, tout bas à Joad.

Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse :
Que ne lui parlez-vous?

JOAD.

Il n'est pas temps, princesse.

ABNER.

Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez.
Tandis qu'à me répondre ici vous balancez,
Mathan, près d'Athalie, étincelant de rage,
Demande le signal et presse le carnage.
Faut-il que je me jette à vos sacrés genoux?

Au nom du lieu si saint qui n'est ouvert qu'à vous,
Lieu terrible où de Dieu la majesté repose,
Quelque dure que soit la loi qu'on nous impose,
De ce coup imprévu songeons à nous parer.
Donnez-moi seulement le temps de respirer.
Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures
Pour assurer le temple et venger ses injures.
Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours
Pour vous persuader sont un foible secours;

Votre austere vertu n'en peut être frappée :

Hé bien! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée; Et qu'aux portes du temple, où l'ennemi m'attend,

Abner puisse du moins mourir en combattant.

JOAD.

Je me rends. Vous m'ouvrez un avis que j'embrasse :
De tant de maux, Abner, détournons la menace.

Il est vrai, de David un trésor est resté,
La garde en fut commise à ma fidélité;
C'étoit des tristes Juifs l'espérance dernière,
Que mes soins vigilans cachoient à la lumière.
Mais puisqu'à votre reine il le faut découvrir,
Je vais la contenter, nos portes vont s'ouvrir.
De ses plus braves chefs qu'elle entre accompagnée;
Mais de nos saints autels qu'elle tienne éloignée
D'un ramas d'étrangers l'indiscrète fureur :
Du pillage du temple épargnez-moi l'horreur.

Des prêtres, des enfans lui feroient-ils quelque ombre?
De sa suite avec vous qu'elle règle le nombre.
Et quant à cet enfant si craint, si redouté,
De votre cœur, Abner, je connois l'équité,
Je vous veux devant elle expliquer sa naissance :
Vous verrez s'il le faut remettre en sa puissance;
Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.

ABNER.

Ah! je le prends déjà, seigneur, sous mon appui.
Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m'envoie.

SCENE III.

JOAD, JOSABETH, ZACHARIE, SALOMITH, ISMAEL, DEUX LÉVITES, LE CHŒUR.

JOAD.

Grand Dieu! voici ton heure, on t'amène ta proie!
Ismaël, écoutez.

(Il lui parle à l'oreille.)

JOSABETH.

Puissant maître des cieux,

Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux
Lorsque, lui dérobant tout le fruit de son crime,
Tu cachas dans mon sein cette tendre victime.

JOAD.

Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps;
Suivez de point en point ces ordres importans;
Surtout qu'à son entrée, et que sur son passage
Tout d'un calme profond lui présente l'image.
Vous, enfans, préparez un trône pour Joas;
Qu'il s'avance suivi de nos sacrés soldats.
Faites venir aussi sa fidèle nourrice,

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