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ÉPIGRAMME CONTRE L'ABBÉ ABEILLE,

POETE TRAGIQUE.

Ci-gît un auteur peu fèté,

Qui crut aller tout droit à l'immortalité,

Mais sa gloire et son corps n'ont qu'une même bière;
Et lorsque Abeille on nommera,

Dame Postérité dira:

Ma foi, s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère!

STANCE A LA LOUANGE DE LA CHARITÉ.

Quand tu saurois parler le langage des anges;
Quand ta voix prédiroit tous les succès futurs,
Et que perçant du ciel les voiles plus obscurs,
Tu verrois du Seigneur les mystères étranges;
Quand ta foi te rendroit le maître des démons,
Qu'elle auroit le pouvoir de transporter les monts,
Et que de tous tes biens tu ferois des largesses;
Quand aux tourmens du feu tu livrerois ton corps,
Tu possèdes en vain tant de saintes richesses,
Si la charité manque à tes rares trésors

ÉPITAPHES.

A LA GLOIRE DE DIEU ET A LA MÉMOIRE ÉTERNELLE

DE MICHEL LE TELLIER,

Chancelier de France, illustre par sa fidélité inviolable envers son prince, et par sa conduite toujours sage, toujours heureuse. Il fut nommé par le roi Louis XIII pour remplir la charge de secrétaire d'Etat de la guerre, et en commença les fonctions la première année de la régence d'Anne d'Autriche. Dans des temps si difficiles, il n'eut d'autre intérêt que son devoir, et fut regardé de tous les partis comme le plus habile et le plus zélé défenseur de l'autorité royale. Louis le Grand, ayant résolu de gouverner toutes choses par lui-même, le choisit pour être un des principaux ministres de ses volontés, et se servit de lui pour rétablir l'ordre

RACINE I

43

Que sert à mon esprit de percer les abîmes

Des mystères les plus sublimes,

Et de lire dans l'avenir?

Sans amour ma science est vaine,
Comme le songe dont à peine

Il reste un léger souvenir.

Que me sert que ma foi transporte les montagnes,
Que, dans les arides campagnes,

Les torrens naissent sous mes pas;
Ou que, ranimant la poussière,
Elle rende aux morts la lumière,
Si l'amour ne l'anime pas?

Oui, mon Dieu, quand mes mains de tout mon héritage
Aux pauvres feroient le partage;

Quand même pour le nom chrétien,
Bravant les croix les plus infâmes,
Je livrerois mon corps aux flammes,
Si je n'aime, je ne suis rien.

Que je vois de vertus qui brillent sur ta trace,
Charité, fille de la Grâce!

Avec toi marche la Douceur.
Que suit, avec un air affable,
La Patience inséparable

De la Paix, son aimable sœur.

Tel que l'astre du jour écarte les ténèbres,

De la nuit compagnes funèbres;
Telle tu chasses d'un coup d'œil
L'envie, aux humains si fatale,
Et toute la troupe infernale
Des vices, enfans de l'orgueil.

Libre d'ambition, simple, et sans artifice,
Autant que tu hais l'injustice,
Autant la vérité te plaît.

Que peut la colère farouche

Sur un cœur que jamais ne touche
Le soin de son propre intérêt?

Aux foiblesses d'autrui loin d'être inexorable,
Toujours d'un voile favorable

Tu t'efforces de les couvrir.

Quel triomphe manque à ta gloire?

L'amour sait tout vaincre, tout croire,
Tout espérer, et tout souffrir.

Un jour Dieu cessera d'inspirer des oracles;

Le don des langues, les miracles,

La science aura son déclin :

L'amour, la charité divine,

Éternelle en son origine,

Ne connoîtra jamais de fin.

Nos clartés ici-bas ne sont qu'énigmes sombres;
Mais Dieu, sans voiles et sans ombres,
Nous éclairera dans les cieux;

Et ce soleil inaccessible,

Comme à ses yeux je suis visible,

Se rendra visible à mes yeux.

L'amour sur tous les dons l'emporte avec justice.
De notre céleste édifice

La Foi vive est le fondement;
La sainte Espérance l'élève,
L'ardente Charité l'achève,
Et l'assure éternellement.

Quand pourrai-je t'offrir, ô Charité suprême,
Au sein de la lumière même,
Le cantique de mes soupirs;
Et, toujours brûlant pour ta gloire,
Toujours puiser et toujours boire
Dans la source des vrais plaisirs?

Je compte pour rien tout le reste;
Et l'autre, par son poids funeste,
Me tient vers la terre penché.

Hélas! en guerre avec moi-même,
Où pourrai-je trouver la paix?
Je veux, et n'accomplis jamais.
Je veux; mais (ô misère extrême!)
Je ne fais pas le bien que j'aime,
Et je fais le mal que je hais.

O grâce, ô rayon salutaire!
Viens me mettre avec moi d'accord,
Et, domptant par un doux effort
Cet homme qui t'est si contraire,
Fais ton esclave volontaire

De cet esclave de la mort.

CANTIQUE III.

-

SUR LE BONHEUR DES JUSTES, ET SUR
LE MALHEUR DES RÉPROUVÉS.

(Tiré du livre de la Sagesse, ch. v.)

Heureux qui, de la sagesse
Attendant tout son secours,
N'a point mis en la richesse
L'espoir de ses derniers jours!
La mort n'a rien qui l'étonne;
Et, dès que son Dieu l'ordonne,
Son âme, prenant l'essor,
S'élève d'un vol rapide

Vers la demeure où réside
Son véritable trésor.

De quelle douleur profonde
Seront un jour pénétrés
Ces insensés qui du monde,
Seigneur, vivent enivrés;
Quand, par une fin soudaine,
Détrompés d'une ombre vaine
Qui passe et ne revient plus,
Leurs yeux, du fond de l'abîme,
Près de ton trône sublime
Verront briller tes élus!

Infortunés que nous sommes,
Où s'égaroient nos esprits!
Voilà, diront-ils, ces hommes,
Vils objets de nos mépris :
Leur sainte et pénible vie
Nous parut une folie;
Mais, aujourd'hui triomphans,
Le ciel chante leur louange,
Et Dieu lui-même les range
Au nombre de ses enfans.

« Pour trouver un bien fragile
Qui nous vient d'être arraché,
Par quel chemin difficile,
Hélas! nous avons marché!
Dans une route insensée

Notre âme en vain s'est lassée,`
Sans se reposer jamais,
Fermant l'œil à la lumière,
Qui nous montroit la carrière
De la bienheureuse paix.

« De nos attentats injustes
Quel fruit nous est-il resté?
Où sont les titres augustes
Dont notre orgueil s'est flatté?
Sans amis et sans défense,
Au trône de la vengeance
Appelés en jugement,
Foibles et tristes victimes,
Nous y venons de nos crimes
Accompagnés seulement. »

Ainsi d'une voix plaintive,
Exprimera ses remords
La pénitence tardive

Des inconsolables morts.

Ce qui faisoit leurs délices,

Seigneur, fera leurs supplices;

Et, par une égale loi,

Tes saints trouveront des charmes

Dans le souvenir des larmes

Qu'ils versent ici pour toi.

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