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essaya le premier d'abolir l'esclavage. Le port de Bergen, avec ses trois entrées difficiles, était un des plus sûrs de la Scandinavie, et les côtes de tout le diocèse étaient profondément échancrées et garnies d'iles et d'ilots. L'admirable situation de cette ville, entre la partie méridionale et la partie septentrionale de l'Allemagne, avait attiré de bonne heure l'attention de Lubeck et de Brême, de ces fières républiques qui semèrent leurs comptoirs et leurs factoreries depuis les bords de l'Escaut et du Rhin jusqu'au fond de la Livonie. Les habitants de Bergen étaient industrieux et riches, ils s'étaient livrés depuis longtemps à des opérations importantes et avaient couvert leur ville de gloire et de splendeur; raison de plus pour les Hanséates de s'y établir et de s'emparer de toute cette prospérité. Mais ils ne tardèrent pas d'être ruinés par ces avides spéculateurs; ils furent même forcés de leur céder l'ancienne ville, dite le Pont, et de se retirer de l'autre côté du golfe, vers lequel Bergen est inclinée. Ils furent remplacés par des milliers de marchands allemands, avec leurs commis, leurs apprentis et leurs valets, tous célibataires, tous bien nourris, bien vêtus, bien armés, rudes et terribles compagnons, que personne n'osait impunément regarder en face. Tout ce qui leur manquait de priviléges écrits, ils se l'arrogeaient par la force, ils ne connaissaient d'autre droit que leur bon plaisir et leur bonne épée; et, étrangers dans un pays étranger, ils refusaient d'obéir aux ordonnances royales. Pour se faire une idée de l'insolence des Allemands en Norwége, il faut lire les plaintes articulées par le roi Hakan VII dans une requête adressée à la diète de Lubeck, en 1375. Ce prince y

dit, entre autres, qu'ils n'obéissaient qu'à leurs propres juges; que leurs marchands, leurs bateliers et leurs matelots riaient à gorge déployée des excès qu'ils commettaient; qu'ils avaient ignominieusement assassiné les Anglais qui se trouvaient à Bergen; et qu'ajoutant la raillerie à l'outrage, ils leur avaient offert, en compensation du meurtre, vingt pots de cervoise; qu'en suite ils avaient conduit les assassins sains et saufs en Allemagne; que, dans les maisons de Bergen, ils brisaient portes et fenêtres jusqu'à ce qu'on leur accordât tout ce qu'ils demandaient; que tous les jours ils ensanglantaient les rues par leurs interminables batailles.

Les Hanséates se recrutaient sans cesse par de nouveaux colons allemands, qui travaillaient exclusivement pour eux, de sorte que les ouvriers natifs de Bergen devaient s'en aller les mains vides. En outre, les artisans allemands étaient affranchis de tout impôt, tandis que ceux de Norwége étaient surchargés de contributions; dans leurs comptoirs, ils avaient leurs auberges et leurs cabarets à eux, et ces lieux de réunion n'étaient assujétis à aucun droit.

Déjà au 13° siècle, les rois de Norwége avaient appelé à Bergen un grand nombre d'artisans allemands et leur avaient cédé une rue particulière, connue sous le nom de rue des Cordonniers. Ces artisans formaient une colonie extrêmement avantageuse au pays, parce qu'ils y naturalisaient des métiers inconnus dans le Nord. Au commencement, ils payaient l'impôt au roi et mettaient, à chaque semonce, quarante hommes armés sur pied. Ils étaient désignés sous le nom spécial de cordonuiers, parce qu'ils appartenaient, en majeure partie, à cette profession; mais

on les connaissait aussi sous le nom de cinq-métiers, car il y avait parmi eux des orfèvres, des corroyeurs, etc. Or, ce furent ces cinq-métiers qui, dans la suite, firent cause commune avec les autres Allemands établis au Pont, et qui s'affranchirent, avec eux, de toute dépendance norwégienne. Ces comptoristes avaient la singulière dénomination de Garpen, mot dont la signification est basse, garpe étant proprement un pou; les indigènes qualifiaient de ce beau titre les Allemands, les Flamands, en un mot, tous les étrangers établis à Bergen: ils voulaient dire par là qu'ils s'y étaient logés comme ces insectes immondes. Le rebut de toute l'Europe trouvait un refuge assuré dans ces métiers, et les Norwégiens ne pouvaient jamais obtenir d'eux qu'ils leur livrassent un criminel. La rue où demeuraient les cordonniers : aboutissait au comptoir ou au Pont, celui qui voulait attaquer l'un ou l'autre de ces quartiers était un homme perdu, et perdu sans espoir; il se trouvait dans un guêpier, et quand les piqûres ne suffisaient pas, les coups de poing et de dague faisaient le reste.

Le marché aux poissons était situé entre le comptoir et la rue des Cordonniers. Les Allemands ne souffraient jamais que les indigènes y missent le pied avant qu'ils n'eussent fait eux-mêmes leurs provisions de poisson; ceux qui avaient le malheur d'y entrer auparavant, étaient assaillis de pierres, de gourdins et de massues.

Mais la conduite des Hanséates à l'égard d'Olof Nielsen, gouverneur du roi à Bergen, passe toute idée. Ce magistrat avait imposé une contribution extraordinaire aux Allemands; Christian Ier l'appuyait en se

cret. Olof favorisa des flibustiers qui avaient donné la chasse à quelques vaisseaux hanséatiques; ce qui porta les Allemands à se lever tumultueusement, en 1455. Pour échapper au péril qui le menaçait, Olaf se réfugia dans un monastère ; mais les rebelles violèrent l'asile sacré. L'évêque Torlaf, le saint sacrement en mains, vint à la rencontre de cette multitude de forcenés; rien ne l'arrêta. Le couvent, l'église et la tour de l'église furent livrés aux flammes; le gouverneur, l'évêque, plusieurs chanoines et soixante autres personnes périrent sous l'écroulement de la maison de Dieu. Et cependant le roi Christian fut forcé de dévorer en silence un aussi sanglant affront, seulement les malfaiteurs furent condamnés à rebâtir à leurs frais le couvent et l'église, et à racheter, par des indulgences, le meurtre commis sur les ecclésiastiques. La puissance des Allemands avait tellement grandi qu'on n'osa pas exiger davantage; quand le roi fit entendre des plaintes légitimes, ils rejetèrent la cause de tous ces excès sur la canaille de la rue des Cordonniers, sans faire attention que cette populace était sous la protection formelle du comptoir, et lorsqu'à la diète de Norwege on récriminait contre cet odieux despotisme, l'évêque de Drontheim lui-même, gagné par l'or de la Hanse, se constituait son plus ardent défenseur; puis le fisc n'était-il pas là pour décider en dernière instance? Pourvu que l'accise rentrât bien, qu'importait le reste?

D'un autre côté, les Allemands assuraient le débit de tous les produits indigènes. Il fallait le canon pour mettre à la raison ces moines impertinents du commerce; mais cette raison suffisante, cette ultima ratio de

tous les opprimés, ne fut efficacement employée dans le Nord que vers le milieu du XVIe siècle. Une autre ressource dont faisaient usage les rois et les peuples des trois empires du Septentrion, c'était la concurrence qu'ils accordaient aux Anglais, aux Hollandais, aux Flamands (1), concurrence qui battait sourdement en brèche l'édifice des monopoleurs.

Le comptoir de Bergen élisait tous les ans dix-huit membres et deux aldermans pour former le grand conseil des négociants. Dans la suite, on leur adjoignit un secrétaire, presque toujours docteur en droit. Les aldermans décidaient toutes les contestations; mais si l'affaire était grave, ils devaient convoquer le conseil, et l'on pouvait appeler de leurs sentences à la ville de Lubeck, et même à la diète générale de la ligue.

La Hanse avait vu que, par l'intimité des relations familiales, les ruses et les mystères de son commerce seraient infailliblement dévoilés ; c'est pourquoi elle avait prescrit le célibat à ses comptoristes, au moins elle leur avait interdit le mariage avec les indigènes. Aussi la corruption des mœurs fut-elle effrayante à Bergen, des quartiers tout entiers étaient peuplés de filles de joie. Tous ceux qui se mariaient étaient forcés de quitter immédiatement le comptoir, sous peine de mort; même peine pour ceux qui quittaient le Pont et se rendaient dans cette enceinte de la ville qu'occupaient les Norwégiens. Nul comptoriste ne pouvait passer la nuit en dehors du Pont. On y tenait des dogues furieux

(1) En 1466, 10 août, traité d'alliance entre Christian Ier et le duc de Bourgogne : • Assistance réciproque et liberté de commerce. » Reetz, p.

50 et 51.

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