Maître: j'avoue que de tous les Templiers, c'est le personnage qui m'embarrasse le plus. Il paroît que Molay amené devant le parvis de NotreDame, et ensuite trainé sur le bûcher, ne protesta que de l'innocence de son Ordre, sans faire mention de la sienne: s'il en fut ainsi, on ne peut point s'assurer qu'il n'a pas été du nombre des sectaires; car les déclarations que fait un homme qui, par son désaveu, court à une mort certaine, sont censées devoir être précises; c'est le cri de la conscience qui ne peut rien dire de trop ni de trop peu dans un pareil moment. Cependant je n'entends pas de condamner Molay, non plus que le Dauphin d'Auvergne à qui ceci est également applicable; je me contente de proposer cette réflexion à ceux qui voudront faire des recherches particulieres sur cet objet. Voilà, je le répéte, un milieu entre deux systèmes diamétralement opposés, et fondés l'un et l'autre, sur des suppositions, odieuses. Il est vrai que, ne pouvant trouver des preuves rigoureuses pour tout expliquer, j'ai dû avoir recours à quelques conjectures: mais, si elles sont vraisemblables, si elles n'ont rien de forcé, et si elles cadrent avec des vérités connues, il me semble que l'on ne pourra pas me faire les mêmes reproches qu'à ceux qui, donnant dans les extrêmes, ont employé des suppositions invraisemblables, ou sont tombés dans des contradictions palpables. C'est au lecteur impartial à en juger; je dis impartial: car je n'ignore pas que, quand les hommes se sont une fois livrés à la prévention, ils en reviennent difficilement. Murat. Je finirai ce mémoire par une remarque qui intéresse la noblesse en général, et qui est principalement faite pour ceux qui s'obstineront à ne voir que des coupables dans l'Ordre du Temple. La plupart des écrivains qui ont parlé des Templiers, les qualifient généralement de chevaliers: cette erreur vient de l'ignorance où l'on est de la composition de cet Ordre: on auroit cependant, pu éviter cette méprise, en faisant attention que dans les procès qui ont eu lieu à l'égard d'un certain nombre de Templiers, il y est fait mention de beaucoup de freres servants. L'Ordre du Temple étoit composé de chevaliers, de prêtres et de freres servants de deux especes; ceux-ci et particuliérement ceux de la derniere classe, étoient prodigieusement multipliés; la classe des chevaliers en qui résidoit l'autorité, étoit peu nombreuse à cause des qualités que l'on exigeoit pour y être admis: on n'y recevoit que des gentilshommes qui 'avoient mérité et déja reçu en effet, l'accolade ou l'Ordre de chevalerie, considéré comme dig. nité militaire, de la main d'un prince ou d'un chevalier séculier. En 1244 époque où les Templiers étoient déja puissants, les chrétiens de la Palestine furent obligés de réunir toutes leurs forces pour rer. al. s'opposer aux Kharismiens et aux Egyptiens: scrip.tom trois cents douze chevaliers du Temple resterent Math. sur le champ de bataille à Gaza; il n'échappa Paris de cette boucherie, qui détruisit presqu'entiérepag. 618.ment l'armée chrétienne, que trente - trois Templiers tant chevaliers que freres servants: en supposant que la moitié des restants, étoient encore des chevaliers, il en résulte qu'il n'y avoit pas plus de trois cents vingt-sept ou vingthuit chevaliers du Temple qui eussent combattu ce jour-là. On ne peut cependant pas douter que, dans l'extrême danger où l'on se trouvoit, tous les chevaliers du Temple qui étoient en Palestine, ne fussent montés à cheval, à la réserve des infirmes et de quelques commandeurs qui seront restés à la garde des forteresses qu'on leur avoient confiées. L'auteur des mémoires historiques sur les pag. 345. Templiers donne la liste des freres qui ont été rassemblés à Paris le 28. de Mars 1310, devant les commissaires chargés par le Pape, de l'enquête sur les griefs imputés à l'Ordre en général: il s'y trouva cinq cents quarante-quatre Templiers, parmi lesquels il n'y avoit que dix huit chevaliers et trente-neuf prêtres: c'étoit à-peu-près un chevalier sur trente autres freres des classes inférieures. C'est donc mal-à-propos que l'on a si souvent qualifié tous les Templiers de chevaliers. Si la noblesse a dû rougir de la conduite de quelques uns de ses membres qui étoient dans l'Ordre du Temple, la justice exige que l'on ne jette pas pour cela, un blâme général sur cette classe; et c'en seroit un bien grand, que de supposer une réunion de trente à quarante mille gentilshommes qui auroient été assés scélérats pour se plonger dans le plus profond abyme du crime. Malgré que l'on ait déja vu dans cet ou |
