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staller à Paris, où il s'occupa d'affaires de banque et de d'affaires industrielles qui, grâce à son intelligence et à son activité, le conduisirent rapidement à une grande fortune. Devenu l'un des principaux actionnaires du Siècle, il se mêla aux choses de la politique, et en 1869, combattit les doctrines socialistes développées par les orateurs populaires de cette époque. Au mois d'Avril 1870, il mit à la disposition du comité de la rue de la Sourdière une somme de 100,000 francs destinée aux frais de propagande antiplébiscitaire. M. Chevandier de Valdrôme, ministre de l'intérieur, le fit immédiatement expulser comme étranger, et le 1er mai M. Cernuschi était reconduit à la frontière. Il rentra en France aussitôt après le 4 Septembre et prit une part effective à la rédaction du Siècle, où il traita surtout, et d'une façon lumineuse, les questions économiques; ce fut à cette époque (1871) qu'il se fit naturaliser Français. Après le 18 Mars, il fit partie des républicains qui tentèrent d'arrêter la guerre civile et s'efforcèrent d'amener une transaction entre le gouvernement légal de Versailles et la Commune. Chaudey, rédacteur avec lui au Siècle et son ami, et comme lui républicain, ayant été arrêté par la Commune et conduit à Sainte-Pélagie, M. Cernuschi fit de vains efforts pour obtenir sa mise en liberté. Le 24 mai, l'armée de Versailles étant maîtresse de la plus grande partie de Paris, M. Cernuschi se fit conduire en hâte à Sainte-Pélagie pour obtenir des nouvelles de son ami. Il était trop tard: Chaudey avait été exécuté la veille même dans le chemin de ronde de la prison, par un peloton de fédérés sous les ordres immédiats de Raoul Rigault, dans les dramatiques circonstances que l'on connaît, et M. Cernuschi n'eut d'autre consolation que de faire élever plus tard à son malheureux ami, un tombeau en forme de sarcophage au cimetière Montmartre.

«Très attristé par tout ce dont il avait été le témoin, M. Cernuschi quitta peu après la France et se mit à voyager. Il visita l'Egypte, une partie de l'Orient, se rendit en Chine et au Japon, et rapporta de ces divers pays une curieuse collection d'objets d'art.

«De retour à Paris, en 1873, M. Cernuschi continua de prendre une part active aux discussions économiques et de s'intéresser à la politique. Dès son retour, il fit acte public d'adhésion à la candidature de M. de Rémusat contre celle de M. Barodet, et lorsque, pour l'élection du 27 Janvier 1889, le comité fut constitué, sous la présidence d'Anatole de la Forge, pour soutenir la candidature de M. Jacques contre celle du général Boulanger, M. Cernuschi versa 100,000 francs au comité.

«M. Cernuschi ne s'est pas seulement signalé d'ailleurs par de généreuses donations politiques; il a encore eu à coeur de témoigner en maintes circonstances des sentiments affectueux qu'il avait pour la France. C'est ainsi qu'il a fait don à Paris des admirables collections qu'il avait formées dans ses voyages.

La donation Cernuschi.

A l'angle du parc Monceau et de l'avenue Vélasquez, un vaste hôtel, dont la façade, exempte d'ornements inutiles, ne manque pas, dans sa simplicité, de grandeur, abrite les merveilles que M. Cernuschi, dans un admirable élan de coeur, a léguées, il y a quatorze ans, à la ville de Paris.

«On n'a pas oublié le retentissement qu'eut en France cette donation généreuse. C'était en 1882, au banquet de l'Union centrale des arts décoratifs. M. Antonin Proust, en termes émus, venait de rappeler dans quelles circonstances, au lendemain même de Sedan, M. Henri Cernuschi était venu lui demander de le faire naturaliser Français. Le directeur du Kensington Museum, sir Philip Cunliffe Owen, venait de féliciter l'Union centrale des heureux succès de ses efforts. M. Cernuschi, alors, se leva, et d'une voix que l'émotion étranglait, il raconta qu'inébranlablement attaché à la France par l'affectueuse hospitalité qu'il en avait reçue à l'heure où, proscrit de son pays d'origine, il était venu lui demander un asile, il léguait à la ville de Paris, par testament, ses collections et l'hôtel qui les renferme.

«Le don n'avait rien de banal. En réunissant les admirables pièces qui constituent aujourd'hui cet ensemble, M. Cernuschi avait été servi par des circonstances exceptionnellement favorables. Douloureusement frappé par la mort de son ami Chaudey, fusillé sous la Commune sans jugement, il avait quitté Paris en 1871 pour effacer, par des impressions nouvelles, les impressions douloureuses qu'il venait, pendant plusieurs mois, de ressentir, et il s'était dirigé d'une seule traite vers l'Extrême-Orient.

«Débarqué au Japon, il y avait trouvé le pays en pleine révolution. Secouant la tutelle du taikoun, le mikado venait de reprendre en mains le pouvoir, et pour établir d'une façon définitive ce pouvoir, il avait dû batailler sans trêve contre les grands seigneurs féodaux, dont la plupart avaient fait cause commune avec le taikoun. Tout commerce était suspendu, et dans les provinces dévastées, encombrées de ruines fumantes, une effroyable misère sévissait. Pour trouver à vivre dans les temples, que les fidèles, depuis de longs mois, délaissaient, où les aumônes, par suite, avaient cessé de subvenir aux besoins du clergé, prêtres et moines brocantaient avec rage et s'estimaient trop heureux de livrer aux étrangers, contre argent, les objets d'art dont regorgeaient les édifices commis à leur garde. Ils ne brocantaient pas que les objets d'art. Les statues elles-mêmes des dieux, quand elles excitaient la convoitise des barbares, y passaient. M. Cernuschi avait du goût; l'argent ne lui manquait pas. Avec un bonheur insolent, il rafla tout un chargement de potiches, de bois sculptés, de laques, de céramiques, de bronzes et d'ivoires. En quelques semaines, il avait réuni les éléments d'un musée.

«Du Japon, il passa en Chine. Uniquement guidé par son goût, il y acheta, comme il avait acheté au Nippon, de toutes mains, recherchant de préférence

les objets qui lui paraissaient les plus anciens, et dont l'art, par son originalité, le séduisait. Il eut soin, par contre, de noter avec exactitude tous les renseignements qu'il avait pu se faire fournir sur la provenance, la date et le caractère particulier des objets dont il se rendait acquéreur.

«On conçoit qu'une collection formée dans des conditions pareilles, par un amateur d'un goût sûr et d'un instinct clairvoyant, par un homme d'ailleurs assez riche pour que jamais la question d'argent ne l'ait arrêté, soit précieuse et que les morceaux inestimables y abondent.

nous

«Entrons dans le musée. Deux dragons monstrueux en défendent l'approche, mais ils sont plus hideux que redoutables. Ils n'ignorent point d'ailleurs que venons faire nos dévotions au Bouddha qui, dans la grande salle du musée, assis sur le lotus légendaire, dresse son torse gigantesque et sa face sereine. Il dominait jadis, à Yeddo, une hauteur voisine d'un temple. Un incendie ayant fait disparaître le temple, on déboulonna le dieu, on le reboulonna ensuite à Paris. Ces vicissitudes n'ont influé en rien sur son humeur: ici, comme là-bàs, il sourit. L'humanité, partout est la même; il la trouve partout amusante.

«Et autour de ce Bouddha, haut de quatre mètres, tout un peuple géant de dieux et de déesses, de philosophes, d'ascètes, de saints et de saintes, de monstres aussi, monte une garde impassible et rigide. D'innombrables bouddhas aux paupières obliques, aux oreilles pendantes et difformes, aux cheveux bouclés, au front que la bosse de la sagesse a bombé, croisent leurs bras. Aux sept dieux du bonheur, la Vénus japonaise, entourée de ses quinze fils, groupés en des attitudes diverses autour d'elle, fait un sympathique vis-à-vis. Aux trente-deux modèles différents de la jeune déesse Kouan-In s'oppose un nombre égal de représentations, en bois, en ivoire, en grès ou même en jade, du dieu de la Longévité, Cheou-Ho, figuré par un vieillard au crâne piriforme assis sur le dos d'un cerf blanc.

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<Dans la section chinoise, des bronzes de toutes sortes, et d'une antiquité presque antediluvienne. Ce vase orné de masques fantastiques fut fabriqué sous la première dynastie chinoise, qui régna de 2205 à 1783 avant notre ère. Cet autre, dont le couvercle porte en relief l'image dorée du soleil et celle de la lune, dont la panse indique par un creux l'emplacement où la main de l'officiant doit se poser, c'est un vase liturgique et qui contenait, dans les cérémonies, le vin sacré ce vase atteste par une inscription, qu'il fut fabriqué pour Siao-Sin, au quatorzième siècle avant Jésus-Christ. Une coupe de la dynastie de Tchang remonte à une période analogue, antérieure même de cent ans. «Et quelle multitude encore de dieux! C'est la figure mystique de Kouan-In ; c'est le dieu de la guerre, farouche, et ceux, ventrus, du contentement. C'est enfin toute une ribambelle de monstres, depuis le dragon traditionnel jusqu'à l'aboyeur Ki-Lin, le chien de Fo.

Quantités de vitrines renferment les objets d'étagère, les ivoires délicats, les brûle-parfums en bronze ouvragé, les objets précieux et menus que d'incomparables artisans, au Japon, pendant plus de six siècles, ont ciselés dans tous les métaux, fouillés dans les plus diverses matières, modelés en porcelaine, en argile ou en grès.

«Tel est, dans son ensemble, le musée dont les merveilles, désormais, seront nôtres et feront vouer à la mémoire de Cernuschi un vrai culte par les amateurs d'art les plus humbles comme les plus cultivés».

Suivant le désir de M. Henri Cernuschi, ses obsèques ont été célébrées simplement, et son corps, transporté au Cimetière du Père-Lachaise, y a été Henri CORDIER.

incinéré.

JOSEPH HAAS.

Nous apprenons avec le plus vif regret que M. HAAS s'est noyé accidentellement le 26 Juillet en se baignant à l'île de Pou-tou dans les Tchou-san. M. Haas était né en 1847 à Pilsen et reçut son éducation d'abord à l'institut Wyckenburg à Vienne, ensuite au Teresianum. Son éducation terminée, il se rendit en Chine, où il entra en 1867 au service de la maison allemande Overbeck & Cie; mais déjà l'année suivante, il se rendit à Canton pour y étudier le Chinois. En 1869 il accompagna, comme interprète, la mission autrichienne du vapeur de guerre Donau, et après le traité signé à Peking le 2 sept. 1869 par le contre-amiral von Petz, un consulat d'Autriche-Hongrie fut établi à Shanghaï, et son premier titulaire fut le Baron de Calice qui eut pour successeur M. Rudolf Schlik. M. Haas, qui avait été d'abord interprète, devint consul et enfin Consul-Général; il prenait une part active aux travaux de la Société asiatique de Shang-haï dont il était bibliothécaire dans les derniers temps; c'est en cette qualité qu'il a donné une nouvelle édition 1) du catalogue des travaux de cette société que j'avais publié en 18742) et une troisième édition de mon catalogue 3) de la bibliothèque 4); il a également inséré dans ce recueil un mémoire sur les monnaies du Siam 3).

1) A classified Index.

to the end of 1893. Compiled by Joseph Haas. (Journal

China Br. R. As. Soc., N. S., N°. XXVI, p. 185).

2) A classified Index to the Articles printed in the Journal of the North-China Branch of the Royal Asiatic Society, from the foundation of the Society to the 31st of December 1874. By Henri Cordier. (Journal North China Br. R. As. Soc., N. S., N°. IX, Art. VIII, p. 200). 3) Publié en 1872.

4) Catalogue of the Library of the China Branch of the Royal Asiatic Society (including the Library of Alex. Wylie Esq.). Systematically classed. Third Edition. Shanghai, Kelly and Walsh, 1894, in-8.

5) Siamese Coinage. (Journ. N. C. Br. R. As. Soc., N. S., N°. XIV, Art. III, p. 35.)

Nous notons encore quelques travaux 1) de M. Haas qui n'était pas revenu en
Europe depuis qu'il avait pris part en 1889 aux travaux du Congrès des
Orientalistes à Stockholm.
Henri CORDIER.

J. P. VAL D'EREMAO.

Le Père JOSEPH PATRICK VAL D'EREMAO vient de décéder à Woking, près Londres, le 6 Juin 1896, à l'âge de 55 ans. Il était né à Sirdhana, dans la partie N.O. de l'Inde, le 18 Janvier 1841. Son grand-père était lieutenant au service de l'East India company, et son père commandant au service du roi de Delhi, près de quelle ville la famille possède une petite propriété. Le Dr. d'Eremao savait très bien l'Hindoustani, le Persan et l'Hébreu et fut pendant longtemps aumonier catholique des forces britaniques aux Indes.

Il était toujours dans les meilleurs termes avec les ministres des religions protestante, juive, mahomédane et hindoue, et était très populaire parmi les officiers anglais. Il préférait surtout les études linguistiques et ethnographiques. En 1891 il fut attaché à l'Oriental University Institute par son savant directeur, le Dr. Leitner, où il était sous-éditeur de l'«Imperial and Asiatic Quarterly Review". Il mourut des suites d'une petite opération chirurgicale, une attaque de congestion de foi ayant amené une syncope. L'accès lui prit pendant qu'il disait la messe du Corpus Christi à l'église de St. Joseph à Guildford où ses restes mortels ont été inhumés. G. SCHLEGEL.

1) Das System der ‡ (Pa kua) by Joseph Haas. (Notes and Queries on China and Japan, III, 1869.).

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La traduction allemande (Deutsch Chinesisches ConversationsBuch) des Progressive Lessons in the Chinese Spoken Language, by J. Edkins; publiée en 1870, a eu une seconde édition en 1885.

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