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songeant pas à se ménager des ressources par une sage économie. Ils se plongeaient avec ardeur dans des plaisirs coupables, au mépris de la discipline militaire et au risque de compromettre le succès de l'expédition. Il y avait dans le camp des femmes et des filles de mauvaise vie, avec lesquelles plusieurs d'entre eux commettaient toutes sortes d'adultères et de désordres. Quelque suns n'avaient pas honte de passer les nuits entières en débauches et en orgies, et se livraient avec passion au jeu de dés, qui est le père du parjure et du mensonge. D'autres s'abandonnaient à des excès plus criminels encore, dont on ne saurait faire le récit. Bajazet, instruit de ces abominations par les prisonniers, témoigna une profonde horreur pour les chrétiens, et déclara qu'ils méritaient plutôt d'être châtiés que de vaincre, eux qui ne craignaient point de provoquer la colère de leur Seigneur Jésus-Christ. Bajazet était un prince sage et avisé, qui craignait Dieu, selon les croyances superstitieuses des Turcs. Il répétait souvent que la Providence réservait aux hommes des peines et des supplices, toutes les fois qu'ils enfreignaient sa loi. Quelques uns des siens lui ayant demandé à ce propos pourquoi Dieu différait quelquefois le châtiment des coupables: « La colère divine, répondit-il, marche d'un pas lent à la vengeance, <«<et compense ce retard par la grandeur du supplice. Plus sa vengeance «<est tardive, plus elle est terrible. »

CHAPITRE XXV.

Les chrétiens lèvent le siége de Nicopolis par crainte de Bajazet, et en partant. massacrent les prisonniers Tures.

Je reviens à mon sujet. Bajazet, informé de ce qui se passait dans le camp des Français, s'enhardit à les attaquer, et renvoya sans délai les députés de Nicopolis vers leurs concitoyens : « Que les assiégés, leur

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dit-il, excusent mes retards, car l'infanterie ralentit notre marche; «< mais qu'ils résistent encore quelque temps avec la même constance «< aux efforts des chrétiens, et dans trois jours, s'il plaît à Dieu, je <«<leur portera i secours. » Les habitants de Nicopolis reçurent cette

<< laturus sum. » Quo gratantissime audito, mox obsidentibus stuporem et admiracionem induxerunt ob insolitum quod sequitur. Nam manus tendentes ad sydera, cum tubarum et tympanarum sonitu voces in celum extollunt et terribiles clamores in signum exuberantis leticie. Quod signum cum nonnulli in consistorio militum magnipenderent, affuit Francie marescallus qui hoc totum ficticium reputans, jurejurando firmavit quod Turci ausi non erant usque ad eos tendere. Jam antea et repetitis vicibus, qui pabulandi gracia cogebantur longius evagari, eorum adventum perceperant, quia clam de insidiis erumpentes, quosdam gladiis perimebant, fugabant alios; qui redeuntes, cum hec in castris sererent, idem marescallus quosdam affligi fecerat, quosdam exauriculari, causam dicens quia sic, latrones et proditores pessimi, excercitum terrere vultis verbis vestris inanibus.

Dies erat dominica ultima mensis septembris, cum rumor adventus hostium innotuit. Quo territi qui Nycopolim obsidebant, redierunt, soluta obsidione, subsannantibus civibus cum ignominiosis verbis. Unde nostri ad iracundiam provocati, ut fidelium relacione notum fuit, ex concepto dolore iniquitatem inauditam pepererunt, quam scribere siccis oculis non valemus. Tunc illis excidit fidelitatis tenor, hucusque eciam infidelibus inviolabiliter observatus; nam quotquot ex adversariis se fidelitati eorum submiserant, spretis condicionibus cum juramento firmatis, o Deus ulcionum et humanorum actuum censor equissime, occidi crudeliter preceperunt. Quamvis tunc fuerint culpam diminuentes sceleris perpetrati, et addentes excusaciones in peccatis, dicerent eis facultates non suppetere pro redempcione taxata, nonnulli eorum interitum velut rabidorum canum reputarent, et quidam in diminucionem hos

nouvelle avec le plus vif plaisir. La manière étrange dont ils témoignèrent leur joie répandit la surprise et l'étonnement parmi les assiégeants. En effet, levant les mains au ciel et mêlant leurs voix au son des trompettes et au bruit des tambours, ils poussèrent en signe d'allégresse des cris épouvantables. Quelques chevaliers pensèrent que cette joie n'était point sans motif. Mais le maréchal de France, qui survint au conseil, affirma que ces manifestations n'étaient qu'une feinte, et que les Turcs n'avaient pas certainement osé approcher. Cependant les soldats, qui étaient obligés de courir les alentours pour fourrager, s'étaient déjà plusieurs fois aperçus de la présence de l'ennemi; surpris par des détachements qu'on avait placés en embuscade, ils avaient été taillés en pièces ou mis en fuite. Comme, à leur retour dans le camp, ils avaient raconté ce qui leur était arrivé, le maréchal les avait fait battre ou mutiler, les traitant de larrons et de traîtres, qui voulaient, disait-il, effrayer l'armée par leurs récits mensongers.

Ce fut le dernier dimanche du mois de septembre qu'on acquit dans le camp la certitude de l'arrivée des Turcs. Nos soldats effrayés levèrent le siége, et décampèrent au milieu des plaisanteries et des outrages des habitants. Si l'on en croit des personnes dignes de foi, ils en furent tellement irrités, qu'ils commirent un acte de cruauté inouï, que je ne puis rapporter sans verser des larmes. Oubliant les devoirs de la foi jurée, qu'on avait jusqu'alors scrupuleusement respectés même à l'égard des infidèles, et au mépris des engagements qu'ils avaient pris et sanctionnés par leurs serments, ils égorgèrent sans pitié (ô Dieu, juge équitable des vengeances et des actions des hommes!) tous les prisonniers qui s'étaient livrés à leur merci. Quelques personnes prétendirent, pour atténuer l'énormité de leur crime, que les prisonniers n'avaient pas le moyen de d'autres assurèrent qu'on avait eu raison de les tuer tous, comme des chiens enragés; d'autres enfin se réjouirent de leur mort en disant que c'était autant d'ennemis de moins. Mais ceux qui lisent au fond des consciences, attestent que les coupables craignirent plus tard

payer rançon;

que

tium gauderent id se egisse, testibus tamen illis qui conscienciarum secretissima rimantur, deinceps sine dubio timuerunt ne pro delicto Deus dupplicia reddens multiplicato fenore eis confusionem inferret.

CAPITULUM XXVI.

De modo agrediendi Turcos, qui primo victi fuerunt.

Eadem die, ad statum hostium explorandum, magnum ducem Hungarie cum quinque milibus loricatis ad unguem rex miserat, qui rediens dixit eos solum per sex miliaria distare, et desideranter affectaverat eos imparatos invadere, confidens de victoria cum Dei adjutorio, nisi majestatem siç timuisset offendisse, et contra honorem Francigenarum redundasset. Hec, luce sequenti ante solis ortum, rex Hungarie solus equo velocissimo vectus, ipsis Francigenis narrans, ut alias, supplicavit ut peditum quadraginta milia, quos secum traxerat, prima fronte ponerentur; et hoc prudenciores approbabant. Sed hiis Francie conestabularius et marescallus socordius et cum tanta contencione restiterunt, ut ipsis improperando dicerent : « Ex accerrimis bellatoribus cunctatores nunc effecti, nobis ju«<nioribus bellum relinquatis, quoniam hec verba timorem et pusillanimitatem sapiunt. » Quorum pertinaciam rex audiens, mestus et dolens abscessit ut suas acies ordinaret, in corde suo presagiens quod sequencia fine pessimo clauderentur, sicut male et iniquo principio hesterno die fuerant inchoata.

Rege igitur disgresso, dum circa horam diei terciam milites et armigeri arma capescerent, et ut levius pedestres possent incedere, rostra longua et superflua calceorum amputarunt, que, proc pudor, reprehensibilis et vana curiositas inter

Dieu ne leur fit payer leur forfait avec usure, et ne les couvrît de

confusion.

CHAPITRE XXVI.

Comment on attaqua les Turcs, qui furent d'abord vaincus.

Le même jour, le grand duc de Hongrie, que le roi Sigismond avait envoyé avec cinq mille hommes armés de pied en cap pour reconnaître la position de l'ennemi, revint annoncer que les Turcs n'étaient qu'à six milles de distance, et que bien volontiers il les eût attaqués, dans l'espoir de les surprendre et de les vaincre, avec l'aide de Dieu, s'il n'eût craint d'offenser sa royale majesté et de porter atteinte à l'honneur des Français. Le lendemain, avant le lever du soleil, le roi de Hongrie se rendit seul à toute bride dans le camp des Français, les informa de cette nouvelle, et les supplia encore une fois de placer à l'avant-garde les quarante mille hommes d'infanterie qu'il avait amenés avec lui. Les plus sages appuyaient cette proposition. Mais le connétable et le maréchal repoussèrent leur avis avec plus d'acharnement, et s'emportèrent jusqu'à leur dire d'un ton insultant : « Puisque de « vaillants hommes que vous étiez, vous êtes devenus temporiseurs, « laissez aux plus jeunes le soin de combattre. Vos paroles sentent la « peur et la lâcheté. » Le roi, déplorant cette obstination, se retira pour ranger son armée en bataille. Il pressentait bien qu'une entreprise, commencée la veille sous d'injustes et de funestes auspices, n'aurait qu'une mauvaise fin.

Après le départ du roi, vers la troisième heure du jour, les chevaliers et les écuyers prirent les armes. Afin de pouvoir marcher plus facilement à pied, ils coupèrent les longues et énormes pointes de leurs chaussures. Ce fut ainsi que cessa cette mode ridicule et extravagante, qui avait jusqu'alors régné parmi la noblesse. Déjà l'ennemi

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