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jeurs qui marchandoient de ses deniers, pour lui, et très tant que sans nombre; et mesme en avoit plusieurs qui oncq ne l'avoient veu. Icellui séneschal et Jacques Coeur estoient montés sur destriers, vestus et couverts comme le comte de Dunois. Puis vindrent les bourgeois de la cité en grand nombre, vestus de bleu et chapperons rouges, lesquels firent la révérence au roy, et lui remonstrèrent des choses passées, plusieurs en moult beau langaige, et ils lui livrèrent les clefs de la cité : et les receut bénignement, puis les bailla au séneschal, qui en fut le capitaine, messire Guillaume Cousinot, nouvel bailli de Rouan, lequel estoit vestu de velours bleu, son cheval enharnaché pareil, à grandes affiches d'argent doré. Puis après vindrent les gens d'eglise revestus de cappes, en moult grande multitude, tant séculiers que religieux, chantants et portants les reliques avecques la croix, en chantant le Te Deum laudamus. Et ainsy entra le roy par la porte Beauvoisienne, et là fust fait chevallier par le séneschal de Poitou, ung josne enfant, fils du sieur de Précigny, eagé de douze à treize ans. Ceux de la ville et cité firent porter ung ciel sur le roy, par quatre des plus notables de la ville, et feirent tendre le boullevert de ladite porte, l'entrée et tours d'icelle, de drap de la livrée du roy, et ses armes au milieu; et par où il passoit estoient les rues toutes tendues à ciel et couvertes moult richement, plaines de peuple criant Noël! Par les carrefours avoit personnaiges; en

MONSTRELET. T. XII. MÉM. DE J. Du Clercq.

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tre les autres une fontaine armoyée des armes de la ville, qui sont Agnus Dei, jectants beuverages par les coins; ailleurs avoit un tigre et les petits qui se miroient en miroirs; et au plus près de Nostre-Dame, avoit ung cerf vollant moult bien faict, portant sur son col une couronne, qui s'agenouilla par mystère devant le roy, quant il passa par là pour aller à l'église. Le roy descendit à ladite grande église de Nostre-Dame, où il fust reeen par l'évesque et touts ceux de l'église richement revestus; et là feit son oraison, puis s'en alla à l'hostel de l'archevesque, où il fust logié, et chacun en son logis. Ceux de la ville feirent grande feste celle nuict, et feirent grands feus par toutes les rues, jusques au vendredy ensuivant; et le lendemain feirent procession générale et solempnelle où fust le susdit archevesque; et gardèrent la journée de toutes œuvres terriennes. Pareillement, le mercredy et jeudy ensuivant, les tables estoient mises, et vin et viandes dessus, emmy les rues, à touts venants. Ils feirent des grands dons au roy, à ses officiers, ses héraux et poursuivants qui là estoient; puis proposèrent devant le roy de Franche,

les gens de l'église et de la ville, et autres bourgeois et marchands, lui remonstrants qu'il ne laissast pas pour l'hy ver à faire la guerre et poursuivre ses ennemis les Anglois; car par le moyen des villes qu'ils tenoient encoires en Normandie, polroient faire plusieurs énormes maux au pays; et, à ce faire, lui offroient l'aider et de corps et de che

vance. Le roy, lequel estoit en sa chayère couverte de riche drap d'or, assis en la salle de l'archevesque, les oyt bénignement et volontiers, puis feit faire la response par son chancellier, tellement qu'ils en feurent très contents.

CHAPITRE XXI.

Comment le due de Bretaigne print Gournay, Reneville, le pont d'Oire, la Haye du Puis et Valoingnes, et autres villes, en la Basse-Normandie et en Constantin et Fougières.

EN ce temps, le duc de Bretaigne, lequel avoit en sa compagnie huict mille combattants, prini Gournay, Thorigny, Reneville, la Haye-du-Puis et Valoingnes, et plusieurs autres places en la Basse-Normandie, et on pays de Constantin (Cotentin ); et si print la ville et chastel de Fougieres, où il avoit tenu le siége l'espace d'un mois, pendant lequel il feit faire telles approches, et tellement battre la muraille de canons et bombardes qu'on les debyoit assaillir, quant les Anglois, qui dedans estoient, se rendirent environ de quatre à cinq cents, dont estoit capitaine un nommé messire Franchois de Surienne, dit l'Arragouois. Es quels s'en allèrent, leurs chevaux et harnois saufs, et ung petit fardelet devant eux tant seulement. Lequel messire Franchois laissa depuis le parti des

Anglois, et demoura au serviche du roy. Après celle prinse, le duc de Bretaigne et ceux de sa compagnie s'en retournèrent touts en leurs maisons pour la mortalité, laquelle estoit frappée en l'ost; laquelle feit mourir grand nombre de gens, et entre autres le fils du comte Jehan; dont ce fust dommaige. Et en ce temps, se rendit le chastel de Toucques, au sieur de Blanville, qui estoit devant. Et en ce temps, se rendit aussi le susdit Chastel Gaillard, lequel fust assiégé par l'espace de cinq semaines; et estoient dedans cent vingts Anglois; lesquels s'en allèrent à Harfleur, leurs corps et biens saufs.

CHAPITRE XXII.

Du siége qui fust mis devant Harfleur, et comment la ville fust rendue; puis parle de l'armée que feit le comte de Foix; et comme il assigna le Chastel Guisant; et comme il défeit les Anglois, et en y eut que morts que prins environ douze cents.

APRÈS les choses dessusdites faites, le roy de Franche se parteit de la ville de Rouen, armé d'une brigandine, et dessus une jacquette de drap, accompagnié du roy de Cécille et des autres seigneurs de son sang, en grands habillements, et par espécial, le comte de Saint-Pol, lequel avoit un chanfrain à son cheval, prisé de vingt mille escus ; et chevau

cha jusques en la ville de Moustiervillier, à demilieue près de Harfleur, où il fust logié; et incontinent feit mectre le siége devant Harfleur, par les comtes de Dunois, d'Eu, de Clermont et de Nevers, le sieur de Cullant, grand maistre d'hostel, le sieur de Blanville, maistre des arbalestriers, et plusieurs autres, qui touts y feirent grandement leur debvoir, et y eurent grandement à souffrir, tant pour les gelées, pluies et autres froidures, comme pour la mer, qui souvent sourdoit en plusieurs logis, pour ce qu'ils estoient tout entrecouverts de paillas et de genestre (genets); car autour d'icelle ville de Harfleur, n'y avoit arbres ni maisons où ils se peussent héberger ne loger. Ce nonobstant ils feirent de si grandes approches de trenchis, de fossés et de mines, et battirent tellement la muraille des bombardes et canons, que les Anglois qui estoient dedans, environ quinze cents, rendirent la ville de Harfleur au roy de France, et s'en allèrent, leurs corps et biens saufs, les ungs en Angleterre, les autres en Normandie, ès places tenantes leur parti.

Assez tost après icelle reddition, qui fust environ le quatre de janvier an dessusdit, mil quatre cent quarante-neuf, le roy parteist de Moustier et retourna sur la rivière de Seine, à une abbaye nommée Jumièges, à cinq lieues au-dessous de Rouan. En ce temps, le comte de Foix feist assembler une grosse armée, et feist mectre le siége par le sieur de Lautrec, son frère, bastard de Foix, devant le

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