III. Les moines électeurs de Cava, cette fois encore, semble-t-il, ne s'entendirent point sur le choix du successeur à donner à l'abbé simoniaque. Ce dissentiment porta le pape Clément IV à nommer luimême, pour abbé de la Sainte-Trinité, un religieux de l'abbaye du Mont-Cassin que l'on trouve différemment appelé Américus ou bien et plus généralement Amicus 1). Amicus était un véritable disciple de S. Benoît, tout animé du désir de bien faire. Son premier soin, après sa nomination, fut d' aller recevoir, à Melfi, la bénédiction du légat pontifical (25 Juillet 1266). De là il se rendit à Cava et y fit solennellement son entrée, au milieu de la joie de ses religieux, le 1er Août suivant 2). Durant les troubles des années précédentes, l'abbaye de la SainteTrinité avait perdu un grand nombre de terres et de châteaux. Amicus s'occupa dès lors du soin de les recouvrer. Ainsi (et cet exemple suffira pour tous les autres que nous n'avons pas le loisir de citer), en 1265, les officiers du comte Galvan Lancia (l'un des plus ardents partisans de Manfred et, plus tard, de Conradin, dont il partagea le malheureux sort), s'étaient emparé d'Auletta et avaient fait main-basse sur le village et le monastère voisins de Ste Marie de Pertosa, qui appartenaient à Cava3). L'abbé Amicus porta ses plaintes devant Charles d'Anjou, qui, selon son habitude, résidait alors au château de Nocera dei-Pagani. Charles, après avoir soigneusement examiné les réclamations de l'abbé de Cava, par ses lettres patentes, en date de Nocera (26 Septembre 1267), ordonna à ses officiers des provinces des Principautés, de Terre-de-Labour et des Abruzzes, de remettre les choses dans leur ancien état, et de ne prétendre des habitants de Perlosa que les impôts qu'ils avaient habituellement payés par le passé "). PERTZ. Ces mots, qui n'existent pas dans les éditions de Muratori et de Pratilli, se trouvent dans le MS. memb. n. 3. au fo 128. Cf. DE BLASI, Chron. an. 1266. not. N. Ce dernier écrivain fait ici une observation digne de remarque: « Causa huius depositionis, et novae creationis Abbatis Amici ignoratur; nec depositio ipsa in Indicibus sive Dictionariis Abbatis Venerei indicatur. De turbis, et contentionibus inter Monachos electores dubito, dum et antecedentium Abbatum, et his subsequentium electio a Monachis, non a Pontefice facta invenitur. Mais tout doute touchant cette déposition disparaîtra, si ce que nous avons rapporté plus haut, pag. 167, n.° 2, est exact. 1) Voy. la note précédente et la suivante. Cf. RoDUL. MS. n.° 35, De D. Jacobo. 2) 1266... A domno papa Clemente III missus est frater Amicus Monachus Casinensis, et a predicto legato aput Melfiam consecratus est abbas, in die sancti Jacobi apostoli, et primo Kalendarum augusti intravit in Monasterium Cavense. » Ann. Cav. 3) DE BLASI, Chron. an. 1267. Cf. la not. 2, de la pag. 107. 4) Liber Primus Transumpt. MS, f° 77, VENER. Dict. I. 208. - Mais les plus grands efforts de l'abbé Amicus furent employés à ramener ses religieux à l'observance des Règles monastiques, dont les scandales de Dom Jacques et tant de guerres les avaient peu à peu éloignés. Il prêcha beaucoup plus par ses exemples que par ses paroles. Aussi, au bout de deux ans à peine, tout était-il vivifié dans l'abbaye de la Sainte-Trinité et les monastères si nombreux de sa dépendance. Le digne Abbé n' eut malheureusement pas le temps de poursuivre l'œuvre si bien commencée: Tandis qu'il se trouvait à NaMichel, dit de la Porte-des ples, au monastère de l' archange S. Moines, tout occupé des affaires de son ministère pastoral, il mourut subitement, le 23 Janvier 1268 » 1). Ses religieux, qui l'aimaient comme un père, firent, le même jour, transporter son corps de Naples à Cava, et l'y ensevelirent, le lendemain, en grande pompe 2). CHAPITRE II. LE BIENHEUREUX LÉON II. 1268-1295. Élection de Léon II.— Son éloge. - Faveurs de Charles d'Anjou.—Oblations diverses.- Léon II au concile général de Lyon.· - Bulles nombreuses de Grégoire X, de Nicolas III, de Nicolas IV,et de S. Célestin V.-Constitutions d'Honorius IV.— Les Aragonais occupent les possessions de l'Abbaye en Sicile. Ils surprennent Castellabate-Goûts de Léon pour les arts et les lettres. — L' église et le cimetière de Saint-Germain, — Le petit cloltre. -Le copiste Dom Jean de Capoue. · Le Cardinal Pierre de Marsique et son Dictionarium in artem concionandi — Sainteté de Léon II. — Sa mort. Les religieux de Cava avaient enfin compris, par un double exemple, que leurs divisions au sujet de l'élection de l'Abbé finissaient par tourner à leur détriment et que le Saint-Siége, s'ils persistaient dans une voie si pernicieuse, continuerait à leur imposer des sujets de son choix. Deux jours à peine après la mort de Dom Amicus, ils 1) Sed citò hunc Abbatem mors avida rapuit, scilicet post biennium. Existens enim in Monasterio S. Archangeli Portamonachorum, Cavensis tunc ditionis, curis actus pastoralibus, morbo inauspicato correptus interijt, X Calendas Februarias.» etc. RoDUL. MS. 61, p. 136. et suiv. 2) 1268, Hoc anno, xxiii Januarii, mortuus est frater Amicus, abbas Cavensis Monasterii, Neapoli, et eodem die delatum est corpus eius ad ipsum monasterium, et sequenti die traditum sepulturae. » Ann. Cav. ap. PERTZ, SS. III. p. 195. se hâtèrent donc de se réunir dans la salle capitulaire du Monastère et là, sans discution, à l'unanimité entière, ils proclamèrent Abbé l'un d'entre eux, du nom de Léon (25 Janvier 1268). Cette élection fut, peu après, confirmée par le Cardinal Radulfe, qui appela le nouvel abbé à Bénévent et lui accorda la bénédiction apostolique d' usage, le 5 Février de la même année '). L'abbé Léon avait pris, très-jeune encore, à Cava, l'habit de S. Benott, des mains du Bienh. Léonard. Il marcha dès lors, dit Rodulphe, dans le sentier des vertus monastiques avec tant d'ardeur qu'il atteignit presque le sommet de la perfection 2). Les traits distinctifs du caractère de Léon étaient la douceur, l'affabilité et surtout une grande prudence, unie à une grande fermeté. Il était d'ailleurs très-versé dans l'étude des sciences ecclésiastiques. Aussi, le Cassinien Amicus, à son arrivée à Cava, le distingua-t-il bien vite entre les autres religieux. Il lui accorda aussitôt toute sa confiance, s'attacha à lui par la plus intime amitié et le nomma son grand trésorier, « C a m erarius, l'un des plus importants offices de l'Abbaye ou mieux le plus important de tous à cette époque. Léon s'acquitta de cet emploi, si délicat, à la grande satisfaction de son Abbé et de ses confrères en religion. C'était là plus qu'il n'en fallait pour fixer le choix des moines électeurs, quand il s'agit de remplacer Amicus. Le long gouvernement de l'abbé Léon au delà d'un quart de siècle (1268-95)- est marqué, au dedans, par une administration sage et toute paternelle 3); au dehors, par d' importants événements politi 1) 1268... Altero vero die, scilicet festo conversionis beati Pauli Apostoli, congregato collegio ipsius monasterii in unum, unanimi voluntate fratrem Leonem, monachum nutritum et camerarium eiusdem monasterii, elegerunt in abbatem eorum et monasterii supradicti, et post paucos dies idem electus per dominum Radulfum, episcopum Albanensem, Apostolicæ sedis legatum, fuit aput Beneventum vocatus, et ibi confirmatus per eum, et ab eo ibi munus benedictionis accepit, V Februarii. » Ann. Cav. loc. cit. 2) Et quidem à B. Leonardi Abbatis tempore, quo Monasticum suscepit habitum, de virtute in virtutem profecit adeò, quod religiosæ perfectionis apicem penè attigit. » MS. 61. p. 137. 3) Voici le bel éloge que fait, de l'abbé Léon, Dom JEAN DE CAPOUE, qui le connaissait bien, puisqu'il vivait, à Cava, de son temps ( Voy. MS. Mem. N. 24, fo 37 ) : Hic Leo, vir mundus, bona fecit multa secundus, Quam Leo, vir mundus, abbas per lustra secundus ques, qui eurent une grande influence sur les affaires de l'Abbaye. Entrons dans quelques détails. Pendant les guerres nombreuses qui accompagnèrent la chute des Hohenstaufen et l' avénement des Angevins (1264-68), plusieurs parties du domaine temporel de l'Abbaye, comme nous l'avons déjà dit en passant, avaient été occupées, soit par les ennemis du Monastère et ceux qui, en ces temps de trouble, cherchaient à s'enrichir aux dépens des faibles, soit par les troupes mêmes des belligérents, celles en particulier de Charles d' Anjou, qui, sans trop de scrupule, faisaient main-basse sur tout ce qui était à leur convenance. Les religieux de Cava portèrent, de rechef, leurs plaintes jusqu'à la cour du nouveau roi. Charles d' Anjou, comme tous les princes qui l'avaient précédé sur le trône de Naples, tenait à vivre en bonne harmonie avec la Congrégation de Cava, dont la puissance avait des ramifications sur tant de points de l'Italie méridionale: à Salerne, à Naples, à Capoue, à Bari, à Tarente et jusqu' en Sicile, depuis surtout qu'elle y avait expédié la colonie de Montréal. Il ordonna donc, par lettres secrètes, à ses officiers de justice de s'assurer si les réclamations des Pères de la Sainte-Trinité étaient fondées, et, dans l'affirmative, d'y faire promptement droit; prescrivant, en outre, de ne point molester à l'avenir le Monastère, dans ses biens et priviléges (2 Juillet 1270) '). En vertu de ces ordres royaux, l' Abhaye rentra peu à peu en posses sion de presque tout ce qu' elle avait perdu: en 1274, du village et du fief de S. Pierre de Polla, dont s'était emparé le seigneur Angaraimus, châtelain de Polla; en 1282, de l'église de S. Archange de Pétralie, en Sicile que l'Archevêque de Palerme avait voulu revendi quer comme sienne; en 1283, des églises de S. Jacques et de S. Barnabas, et du château de S. Jacques de Lucérie-des-Sarrasins, occupés naguère par les troupes royales; en 1284, de S. Matthieu de Castellaneta, qui fut alors rendu par Jean, évêque de cette ville, etc. 2). Cependant les oblations, si rares sous les trois abbés précédents, recommençaient à affluer à Cava. Elles sont pour nous une preuve indirecte, mais puissante, de l' estime et de la vénération que sut s' attirer l'abbé Léon II. Comme exemple, nous mentionnerons ici les do 1) Voy. Arc. Mag. N. 19. Cf. aussi les nos 22 (1272), 31 (1279), 38 (1283), 41. (1284), etc.; RODUL. MS. 61. p. 138; VENER. Dict. I. 203-205; DE BLASI, Chron. annis cit. 2) Outre les diplômes cités dans la note précédente,voy. RODUL. loc. cit.; DE BLASI, Chron. passim, et, à l' Appendice, la lett. V. nations de divers seigneurs de Roccapiemonte. Ainsi, en 1275, la noble Gé sualda, veuve du seigneur Richard, de Roccapiemonte, offre au monastère de la Sainte-Trinité tous les biens qu'elle possède à Roccapiemonte, Sarno et autres lieux. La même année, Richard, fils des précédents, lui accorde, en une seule fois, cinquante-sept terres différentes, situées à Roccapiemonte même, avec les maisons, villas, métairies, vassaux, etc., qu'elles renfermaient. De son côté Constance, fille du seigneur Matthieu Guarna, de Salerne, et femme de Richard, de Roccapiemonte, du consentement de son époux, fait don à l'abbé Léon et au monastère de Cava de tous ses biens, meubles et immeubles, en quelque lieu qu'ils existent, à l'exception seulement de ceux qu' elle possède à Salerne (1284). - Les lecteurs désireux de plus de détails pourront trouver d'autres exemples de donations importantes, dans les parchemins de Marin, évêque de Capoue (1274); d'Ang e, de Monte-Corvino (1274); de Guida, de Saint-Magne (1277); de Gu altérius, surnommé le Cardinal (1285); d'A n g e, évêque de Melfi (1287); de Nicolas, de la noble famille De Magna, seigneur de Terranova, qui se fit alors (1292) religieux à Cava 1); de Jean, dit Biscontus ou le Vicomte (1294), d'Odon de Sohat de Beaujeu, seigneur de Beaujeu et de Castellanela, de Massafra et de Ginuse (1293); de J e a n de Campanie et de sa femme Rose; de Guillaume, dit le Grec, de S. Archange de Perdifumo; du français Guillaume du Congé, fils de Jean, de Nocéra-des-Chrétiens, etc. 2). Nous aurons plus tard occasion de remarquer le bel usage que Léon II sut faire des biens donnés à son Abbaye. Disons maintenant quelques mots de son voyage en France. La chaire de S. Pierre était, à cette époque (1271-76), occupée par Grégoire X, le successeur de Clément IV. Ce pontife, avant son élection, avait beaucoup voyagé en Orient. Touché de l'état d'abandon où se trouvait le Saint-Sépulcre et surtout de l'affligeante condition des Chrétiens de la Palestine, il voulut y porter remède. Il convoqua donc, dans la ville de Lyon, un concile général, où furent appelés tous les évêques de la Chrétienté. Bon nombre de prélats et de docteurs italiens s'y rendirent également. Le grand S. Thomas d'Aquin, 1) Nicolas ex illustri familia de Magna, aliàs de Mannia, Dominus Terræ Novæ et Manniæ, Monachus Cavensis, habitum sanctæ religionis accepit à beato Leone abb. ann. 1292. mense Martij ex Arc. 63. n. 676. » VENER. Diction. t. IV. p. 15. 2) Voy. les 500 documents de 1268-95 (Arc. Mag. let. N.; Arc. LVI-LX). Cf. VENER. Dict. t. III. 118, DE BLASI. Op. cit. passim, RODUL. MS. 61. p. 142 et suiv. |