l'humidité considérable qui en dérivait. L'année d'après, le chevalier Vincent Morani fut appelé de Rome pour en peindre à fresque les murailles et les voûtes. Morani avait déjà donné, à Cava, des preuves de son talent. Sans compler la Venue d' Urbain II, dont nous avons parlé plus haut, il avait fait, en 1852, La déposition de la Croix; en 1853, le beau tableau de S. Benoît qui envoie son disciple S. Placide en Sicile ou La première colonie de l'ordre bénédictin et, en 1856, Le martyre de Ste Félicité et de ses sept enfants. De l'agrément de tous les religieux, il se mit donc à l'œuvre en 1857. Il représenta, sur la voùte du chœur, la Sainte Trinité se manifestant à S. Alfère. Sur les voù. tes du transept, du côté de l' Évangile, il figura l'Ascension du Sauveur, et du côté de l'Épître, le Trépas de S. Benoît. Dans la coupole, il plaça Les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse en adoration devant le trône de l'Éternel. Enfin sur les pendentifs et dans les lunettes, furent groupés divers sujets secondaires, tirés soit de l'Écriture Sainte, soit de l'Histoire de l'Ordre de S. Benoît. En favorisant les arts, l'abbé Granata ne négligeait point les lettres. Il animait de ses conseils et de ses éloges les doctes travaux que Dom Bernard Gaetani faisait alors sur les manuscrits de la Sainte-Trinité 1) et qui se publient actuellement, en Appendice, à la fin de chaque volume du Codex diplomaticus Cavensis; il encourageait Dom Michel Morcaldi à terminer enfin le grand Index chronologique des parchemins de Cava que nous connaissons déjà; il établissait des fonds annuels pour l'achat de nouveaux livres et pour le maintien de ceux que renfermait déjà la Bibliothèque. C'est également Dom Granata qui institua, en faveur des populations voisines, la prédication dominicale de la Cathédrale de la Sainte-Trinité. Chaque religieux, à son tour, en devait occuper la chaire et traiter les grandes vérités de notre religion. Ainsi cependant se formèrent plusieurs Pères de Cava, en particulier le Père Morcaldi, dont la réputation oratoire devint telle, que la cour de Naples voulut l' avoir pour prédicateur du Carême (1859). Mais l'instruction de la jeunesse fut surtout à cœur à Dom Onuphre Granata. Il cherchait par tous les moyens possibles à l'augmenter et à la varier. De là des concours fréquents entre les novices bénédictins et les séminaristes diocésains, des récompenses accordées généreusement au mérite, des examens publics, très-solennels, à la fin de l'année scolaire. De là encore la fondation de plusieurs bourses el 1) Voy., à l' Appendice, lett. QQ, la Liste des Manuscrits de Cava. demi-bourses en faveur des séminaristes. Cette institution, faite sur les revenus de l'Abbaye et qui devait s'accroître par la générosité des fidèles, avait surtout pour but de venir en aide aux jeunes gens qui, faute de ressourses matérielles, ne peuvent cultiver les talents dont ils sont ornés (1852). Elle produisit, dès les premiers moments, les plus heureux résultats et valut à son auteur les éloges mérités du roi de Naples et du Souverain Pontife 1). Vers la fin de son gouvernement, l'abbé Granata donna encore une preuve de son habileté administrative et de sa charité. C'était l'époque des fameux tremblements de terre qui firent tant de victimes et tant de ruines en Pouille, dans la Basilicate et particulièrement dans le diocèse de l'Abbaye (1857). Granata songea un des premiers à réparer de si grands malheurs. On le vit recueillir lui-même à Cava l'offrande de la générosité publique. A la somme qu'il put réunir, il ajouta tout ce qui put être pris sur les revenus de son monastère. Aussi eut-il la joie d'offrir aux victimes de la terrible catastrophe près de cinquante mille francs 2). Nous n'en finirions plus, si nous voulions redire ici tout ce que l'on nous a raconté du bien opéré par le Re abbé Granata et tout ce que nous-même directement avons vu et admiré en ce vénérable et bon vieillard que, pendant plusieurs années déjà, il nous a été donné d'approcher et d'aimer. Que de fois sa parole prudente et sage a conduit les âmes dans les sentiers de la vertu! Que de fois sa main s'est géné reusement ouverte pour secourir l'indigence! Que de fois sa piété, sa ferveur, sa ponctualité nous ont ému et édifié! Que de fois enfin il a su animer, encourager, dans les circonstances difficiles qu'ils traversent, les quelques religieux demeurés près de la tombe de S. Alfère, à côté de laquelle ce saint vieillard veut lui-même mourir el reposer!.. Rien d'étonnant, après cela, si la Diète Capitulaire, réunie à Rome, en 1874, a nommé le Rme abbé Granata Premier visiteur de la province de Sicile » 3). II. Quand, en 1858, Dom Granata finit de gouverner l'abbaye de Cava, il fut remplacé par le Rme Joseph Frisari, de Bisceglia, 1) Voy. Fondazione delle Piazze franche sotto il titolo della SSma Trinità nel Seminario diocesano della Badia nullius di Cava. Napoli, Stamp. del Fibreno, 1854, 24 pag. in-4°. 2) Poche parole sulla Badia Cavense (de D. BERNARD GAETANI), p. 7. Napoli. 1861; opuscule in-8°, de 24 pag. 3) Voy. Acta dieta capit. ex speciali facultate S. Sedis Roma habita diebus 23 Apr. et seq. an. 1874. MS. f° 4. en Pouille. Ce prudent et austère disciple de S. Benoit avait longtemps déjà (1841-49) gouverné l'abbaye du Mont-Cassin, à laquelle il appartient par sa profession, et aussi celle de Saint-Séverin, de Naples, (1455-58). Il ne fit malheureusement que de passer à Cava, car il n'y demeura guère plus d'un an (Juin 1858-Sept. 1859). Aussi, durant ce gouvernement éphémère, n' eut-il point le temps de laisser de profondes traces de son passage. Soit parce que l'air de Cava ne lui convenait point, soit pour d'autres motifs, l'abbé Frisari renonça volontairement au trône de la Sainte-Trinité el retourna sur les hauteurs du Cassin, où il continue à édifier tout ceux qui l'approchen! par l'exemple des plus solides vertus. III. Le souverain Pontife Pie IX, par son rescrit du 18 Novembre 1859, désigna directement, pour abbé de Cava, le R Dom Jules De Ruggiero, qui gouverne encore actuellement. Dom Jules De Ruggiero est le 150 abbé de la Sainte-Trinité de Cava 1). Il appartient à une antique famille de Salerne, d'origine normande, comme le nom de Ruggiero ou Roger le rappelle 2). Il vint, jeune encore, à Cava, où il fit de fortes études et embrassa la vie monastique (1836). Dès lors il fut nommé, tour à tour, maître des novices, recteur du séminaire, vicaire général de l'abbé Granata. chancelier de la Congrégation au chapitre de Pérouse (1858), etc. Tandis que Dom Jules De Ruggiero était à la tête du séminaire diocésain, dont les appartements sont situés dans la partie inférieure de l'Abbaye, il s'aperçut que les voûtes et les pilastres, sur lesquels reposent le grand corridor d'entrée et l'Église, étaient fort peu solides et pouvaient être la cause de grands désastres. En homme intelligent, de concert avec l'abbé Granata, il fit restaurer tous les points faibles et qui inspiraient des craintes; il surveilla ces travaux avec soin durant plusieurs années, et à la fin, « il se trouva avoir fait renouveler en entier dix-huit grandes voùtes . » Dans un de ces vastes espaces souterrains, Dom De Ruggiero ménagea, pour le divertissement de . 1) Voy. à l'Appendice, lett. RR, la Liste chronologique des Abbés de Cava. 2) Suivant Beltrano ( Salerno, p. 175), ce serait la famille De Ruggiero qui aurait donné à Robert Guiscard l'emplacement où fut élevé, en 1077, le temple de S. Matthieu, dont nous avons parlé plus haut. Toujours est-il qu'on remarque dans ce temple fameux une chapelle, dite de Sainte-Marie des Anges (le nom même de l'église où en 954 fut déposé le corps du saint apôtre) et plus généralement Chapelle de la famille De Ruggiero. Sur un des riches tombeaux qui s'y trouvent, on lit ces mots : D. 0. M. RUGERIORUM - E NORMANNIS ORTE DUDUM PRINCIPIBUS SALERNITANAE PATRICIAE FAMILIAE .... NICOLAS DE RUGERII STAIBANO, Guida del duomo di Salerno, p. 11 et 55-57. NUNC TEMPORIS ses séminaristes, en temps de carnaval, un local qu'il sut transformer en un joli théâtre, où les plus sveltes des jeunes gens confiés à sa sollicitude donnèrent bien souvent des représentations d'un grand succès. On nous a parlé de certaines pièces qui attiraient au Théâtre Alfieri la meilleure société de la ville de Cava, de Salerne et même de Naples. me Devenu abbé de son monastère, Dom Jules De Ruggiero témoigna beaucoup d'ardeur pour le bien; même trop, dit-on. Lors de la révolution politique qui fit passer le royaume de Naples dans les mains de Victor-Emmanuel (1860), il dut se retirer à Rome, où il resta, près de ses confrères de S. Paul hors-des-murs, durant plusieurs années, au détriment de l'abbaye et du diocèse de la Sainte-Trinité. Toutefois le mal eût été bien plus grand, sans la présence du Re Granata qui, chassé par les événements, de son monastère de S. Placide de Messine, où il était abbé, vint, pour la quatrième fois, habiter la Cava. Ce prudent religieux sut alors maintenir parmi ses confrères le bon esprit dont ils étaient jadis animés. Aussi continua-t-on à bien faire, pendant assez longtemps. En 1860 même, on ouvrit gratuitement les classes du monastère à toute la jeunesse des environs; et plusieurs jeunes religieux, comme Dom Maur Schiani, Dom Benoît Bonazzi et Dom Silvain De Stefano, sous la conduite de Dom Gaétan Foresio, implantèrent au centre principal de la ville de Cava une École du soir, qui produisit de très-beaux résultats 1). Malgré le sombre avenir qui se préparait, on ne discontinua pas même alors les décors de l'Église 2). Morani ne cessa pas un seul moment d'en orner les voùtes de ses belles fresques et Ferdinand Bonocore, de ses brillantes dorures. On allait entreprendre la décoration de la grande nef, des bas-côtés el des piliers qui soutiennent les voùtes ), quand survint la suppression de 1866, qui força les religieux et les artistes à tout interrompre!... 1) Voy. l'opuscule cité: Poche Parole sulla Badia Carense, p. 10 et suiv. 2) En 1861 les embellissements de l'Église avaient déjà absorbé 10 984 ducats 82, soit au-delà de 46 685 fr. 50: « Grandi ristauri intrapresi fin dal 1853, e pei quali si sono erogati, fino a tutto il 1860, ducati 10 984. 82, e non si sta che al principio dell' opera.» (Opusc. cit. Statistica, à la fin). 3) D'après l' initative de l'abbé Granata, on devait représenter sur ces piliers tous les papes au moins 45) donnés à l'Église par l'ordre de S. Benoît, chacun avec le costume particulier de son époque. Ce travail devait être splendide, à en juger par l' esquisse représentant Grégoire VII, qui se conserve dans les appartements de l'Abbé CHAPITRE V. APRÈS LA SUPPRESSION. 1866-1876 D. L'abbaye de Cava devient monument national. — Départ de plusieurs religieux. — Religieux demeurés à Cava. — Leurs occupations diverses. Guillaume Sanfelice et son collége.—D. Benoit Bonazzi et ses travaux linguistiques. — Le Rme abbé Morcaldi et les gardiens du monument de Cava. — D. Isidore Del Tufo et D. Honorat Sansò — Les Catalogues de la Bibliothèque et les Index des documents en papier. - D. Silvain De Stefano et D. Maur Schiani. Le Codex diplomaticus Cavensis. Publications diverses du Rme P. Morcaldi. Les visiteurs de la Sainte-Trinité. —Mgr D. Jules De Ruggiero. Son zèle. -Procès divers. — Beau rôle du Révme abbé Granata. et courage. Confiance Chacun sait que le gouvernement de Victor-Emmanuel II, par la loi du 7 Juillet 1866, a violemment supprimé les corporations religicuses d'Italie et s'est emparé de tous leurs biens). L'abbaye de la SainteTrinité de Cava n'a point fait exception à cette loi inique 2). Cependant, tout en dépouillant le monastère de Cava de ses riches domaines, le nouveau gouvernement ne pouvait méconnaitre les services que ce monastère, depuis bientôt dix siècles, ne cesse de rendre aux sciences et à la civilisation; il ne pouvait ignorer le prix. infini des trésors artistiques et surtout historiques qui sont accumu lés dans ses murs; il ne pouvait se montrer totalement sourd aux pétitions ardentes qui, chaque jour, lui arrivaient de presque toutes les parties de l'Europe, en faveur d'un des plus intéressants monuments du Moyen-Age; il ne pouvait enfin oublier, lui qui prétendait ne pas toucher à l'organisation des diocèses, que le monastère de la SainteTrinité est le centre d'un diocèse assez important. Aussi par une nouvelle loi, en date du 7 Août 1867, décréta-t-il que l'abbaye de Cava, ainsi que celles du Mont-Cassin et de Monte-Vergine, serait supprimée comme maison monastique, mais conservée, comme « Monument national. . . . Dès lors, le Rme P. Dom Michel Morcaldi reçut le titre de 1) En 1861, les revenus bruts de l'abbaye de la Sainte-Trinité de Cava étaient de 19 144 ducats 65, soit 81 364 fr. 46; et les revenus nets, de 10879 ducats 36, soit 46 237 fr. 28. (Poche parole sulla Badia Cavense. Statist. cit.). En 1866, ces revenus étaient à peu près les mêmes. 2) Voy. les lois italiennes du 7 Juil. 1866, du 15 Août 1867, du 29 Juil 1868, etc. |