DEUXIÈME LIVRE. DE LA MORT DE S. CONSTABLE À CELLE DU BIENII. LÉONARD OU HISTOIRE DES SEPT PREMIERS ABBES BIENIEUREUX 1124-1255 Après les Saints-Pères, pendant cent-trente ans, l'abbaye de Cava ful gouvernée par sept excellents religieux, qui tous ont mérité, à cause de leurs vertus, le titre de BIENHEUREUX. Ce sont les abbés Siméon, Falcon, Marin, Bénincasa, Pierre II, Balsamus et Léonard '). De leur temps la discipline monastique continue à fleurir, de nouvelles donations sont faites, d'autres monastères s' adjoignent à ceux qui composent déjà la Congrégation de Cava, les lettres enfin et les arts sont protégés efficacement. Aussi cette époque est-elle une seconde période de gloire pour le monastère de la Sainte-Trinité. CHAPITRE Ier LE BIENHEUREUX SIMEON. 1124-1141. Mérites de l'abbé Siméon. Fin de la construction de Castellabate. - Le navire du monastère en Afrique. — Mort à Cava de Pons, septième abbé de Cluny. Donations diverses du duc Guillaume. Diplôme fameux du roi Roger. Bienfaiteurs sans nombre. Religieux remarquables. Guaimar, comte de Capaccio.— Hugues, abbé de Venouse. — Mort de l'abbé Siméon. --- S. Constable, avant sa mort, n'avait pas eu le temps de se choisir un successeur. Les religieux de Cava, usant alors d'un de leurs priviléges, se donnèrent, pour Abbé, le moine Siméon que nous avons vu prendre l'habit de S. Benoît sous Pierre Pappacarbon et qu'un anno 1) On parlera plus tard (Liv. III. ch. ii) de Léon II, huitième et dernier Abbé Bienheureux. tateur contemporain caractérise du mot de vénérable '). C'était le 4 Mars 1124 2). Du reste à une douceur, que Jean de Capoue compare à celle de l'agneau, Siméon unissait une grande prudence; qualités qui lui concilièrent l' affection de tous 3). Durant un gouvernement de seize années, l'abbé Siméon s'appliqua surtout à perfectionner l'œuvre de son prédécesseur. Non seulement il termina la construction de Castellabate, mais il songea encore à en accroître l'importance. Il acheta à cet effet, en 1124 même, de Landolfe, comte d'Acerno, le petit port voisin de Lu Traversu et l' aggrandit tellement qu'il en fit un des plus sûrs du golfe de Salerne et de toute Lucanic). C'est ainsi que le monastère de Cava, après avoir pourvu à la défense et à la sécurité de ses vassaux, cherchait à favoriser leurs intérêts et les invitait au commerce. Il en donnait, d'ailleurs, lui-même l'exemple. Le Navire du monastère de Cava, comme on l'à déjà remarqué, voyageait précisément alors, dans ce but, sur les côtes d'Afrique, sous la conduite du moine Jean et du frère Pierre 5). 1) 1124. Domnus Constabilis hujus monasterii sanctæ Trinitatis venerabilis abbas, obiit. Et domnus Symeon venerabilis abbas successit eum. » Ann. Cav. ap. PERTZ. SS. III. 191. 2) Utroque enim gaudere privilegio Monasterium Cavense reperimus; scilicet et quod Abbas sibi possit eligere successorem, et quod alioqui Monachi sibi eligere Abbatem possint. Hac igitur cum essent pariter intentione collecti... IV. Nonas Martias An: MCXXIV. pari voto omnes Beatum Virum Simeonem Abbatem dignissimum acclamarunt. RoDUL. Hist. MS. n. 61. p. 88. 3) Dilectus cunctis, prudens et mitis ut agnus Successit Symeon, sedecim qui prefuit annis (Joan. Capuan). 4) Mox enim ad Sancti prædecessoris sui sectanda vestigia adiecit animum, eiusque benè cœpta opera perficere aggressus est, quæ morte præventus consummare nequiverat. Enimverò Castrum Abbatis, quod in Cilenti regione Beatus Pater Constabilis fundaverat, sedula sollicitudine perfici procuravit; et Monasterij censum, Dominiumque in eodem loco mirum in modum ampliavit. Portum etiam eiusdem Castri, quem Landolfus Acyrrentinus Comes, ut sibi integrè pertinentem legitimè possidebat, cum omnibus ad ipsum spectantibus, ab ipso Comite, dato pretio, comparavit.» RODUL. loc. cit. Le prix du port de Castellabate fut de « 15 solidi Tarenorum monete Salernitane, comme on peut le lire dans le contrat d'achat (Nov. 1124. Arc. XXI. n.113). Le sou d'or de Salerne se composait de quatre taris (MORCAL. in Synop. Cod. dipl. Cav. p. liii) et chaqne tari valait environ 2 fr. 50 (Voy. pag. 39, not. 1). Il suit de là que le port de Castellabate fut vendu pour 150 francs.... 5) Toto denique sui regiminis tempore vix dici posset, quantum Dei domum cui præerat et temporalibus bonis auxerit, et spiritualibus muneribus exornaverit. Nam quod ad primum spectat. partim ex prædictis colligitur, partim ex eo quod cum iam ab ipsius B. Petri temporibus, Cavensis Monasterij opes, in tantum terra, marique C'est aussi au temps de l'abbé Siméon qu'il convient de placer la venue, le séjour et la mort, à Cava, de l'abbé Pontius ou Pons, le successeur du grand Saint Hugues de Cluny. - Pons était fils du comte de Mergueil, et, suivant plusieurs auteurs, proche parent du pape Pascal Il1). Il fut d'abord religieux de S. Pons de Tomiers. De là il passa à l'abbaye de Cluny, dont il devint le septième abbé, et, comme tel, il la gouverna paisiblement pendant douze ans (1109-22). Ses talents et son beau naturel le firent bientôt remarquer et lui méritèrent d'être tour à tour employé par l'empereur d'Allemagne et le Souverain Pontife pour traiter la grande question des Investitures, qui se débattait alors entre eux, plus ardemment que jamais. C'est ainsi que, en 1116, quand Henri V envoya des députés à Pascal II, pour terminer les différents entre l'Église et l'Empire, l'abbé de Cluny fut le chef de la députation, et Pons, comme en convient Fleury, travailla à cette grande affaire avec beaucoup d'application 2). Trois ans après (1119), par ordre de Calixte II, le successeur de Pascal, l'abbé Pons, en compagnie de Guillaume de Champeaux, évêque de Châlons, se rendit à Strasbourg, auprès de l'empereur Henri, et y prépara la paix qui devait, quelques mois plus tard, se traiter à Reims et se conclure enfin à Worms en 1122 3). Malgré tant de services, Pons fut cependant en butte à de grandes el fréquentes critiques. Elles éclatèrent, dès 1119, dans le concile. même de Reims: « L'archevêque de Lyon, dit encore le docte historien que nous venons de citer, se leva avec ses suffragans, et se plaignit au nom de l'évêque de Mascon, des entrepises de l'abbé de Clugni, contre lequel plusieurs autres moines et clercs formerent aussi des plaintes,et firent grand bruit. Quand on eut fait silence, Pons abbé de Clugni se leva avec une grande troupe de moines, et soutint qu'il excrevissent, ut propriam navem in suum habuerit usum, ad relevanda varijs ex Orbis partibus necessaria; sic etiam Beati istius tempore habuisse compertum est. » FODUL. Op. cit. p. 91. Cf. VENUS. f. 32-34 vel MURAT. SS. VI. 232-233. 1) Cf. FLEURY, Hist. Eccles. t. XIV. p. 204, Bruxelles, 1722. 2) Loc. cit. Dans le concile de Latran, qui se célébrait alors (1115), Pons voulut s' attribuer le titre d'Abbé des Abbés. « Sur quoi Jean de Gaëte chancelier de l'église Romaine, lui demanda si le Mont-Cassin avoit pris sa regle de Clugni, ou Clugni du Mont-Cassin. Pons répondit, que non seulement Clugni, mais tous les monasteres de l'église latine avoient reçû du Mont-Cassin la regle de S. Benoit; et le chancelier ajoûta: Si donc le Mont-Cassin est la source de la regle monastique, c'est avec justice que les papes ont accordé cette prérogative à l'abbé du Mont-Cassin, de porter scul le titre d'abbé des abbés. » FLEURY. op. cit. p. 304; Chr. Cas. IV. 60. 3) FLEURY. op. cit. p. 252, 264, etc. n'avait fait tort à personne, et que toutes ces plaintes n' étaient fondées que sur le soin qu'il avait de conserver les biens et les privileges de son monastere. C'est, ajoûta-t-il, l' affaire du pape: il défendra, s'il lui plaît, son église, et les biens qu'il m'a confiés » 1). Plus tard (1123) les récriminations se firent plus vives encore: « Tandis que Dom Pons, dit Robert du Mont, écrivain contemporain de ces faits 2), voulait parfaitement corriger les excès de table et d'habillement de quelques moines qui s'occupaient des affaires extérieures du Monastère, ceuxci se révoltèrent contre lui et leur duplicité crut à tel point, qu'ils l'accusèrent, auprès du pape, de plusieurs crimes très-graves, mais entièrement faux. Pons ne daigna pas même leur répondre, ne se préoccupant, disait-il, ni de leurs accusations, ni de l'Abbaye; il se fiait tant à sa bonne conscience qu'à sa naissance, étant fils du comte de Mergueil. - Il abandonna toutefois son Abbaye et partit pour Jérusa lem. Les moines cependant, persévérant dans leur malice, élurent, pour abbé, Hugues, prieur de Marcigny, qui mourut l'année même de son élection (1123). Ils le remplacèrent alors par Pierre, jeune homme plein de talent et de noblesse. Il répugne de dire comment Pons, de retour de Jérusalem (1125), voulut se mettre de nouveau à la tête de l'Abbaye à laquelle il avait renoncé, et comment il se produisit dans le Monastère un schisme, qui fit couler des flots de sang. Le gouvernement de Cluny resta à la fin au vénérable Pierre, qui continue encore à l'avoir, bien que trente-deux ans se soient écoulés depuis ce fait. Quant à Pons, il finit par aller mourir dans le monastère que l'on appelle Cava ». 3). - 1) Op. cit. p. 267. 2) Robert de Torigny, plus connu sous le nom de Robert du Mont, de l'Abbaye du Mont S. Michel de Pericolo Maris, qu'il gouverna longtemps (1154-86), tandis qu'il n'était encore que prieur du Bec, son monastère, composa, vers 1150, la Chronique, extrêmement précieuse, que nous suivons ici (Cf. PERTZ, Mon. Germ. SS. VI. 282 et suiv.). 3) Domnus Pontius abbas Cluniacensis cum vellet ad unguem corrigere excessus et in cibo et in vestitu quorumdam monachorum, qui exteriora eiusdem monasterii negotia tractabant: insurrexerunt in eum et, crescente simultate, accusaverunt eum in presentia Paschalis pape de quibusdam gravissimis capitulis, licet falsis. Quibus cum dedignaretur respondere, dicens nec de accusatione eorum se curare, nec de Abbatia confidebat enim et in bona conscientia et in genere, ut pote filius comitis Mergulensis invito papa Abbatiam relinquens, Jerosolimam perrexit. At illi durantes in malicia sua, elegerunt in abbatem Ugonem, priorem Marciniani. Quo defuncto infra primum annum sui regiminis, elegerunt quendam strenue nobilitatis iuvenem nomine Petrum. Quomodo autem predictus Pontius de Jerosolimis rediens, iterum Suivant Ordéric Vital, autre historien de cette époque, Pons aurait été enfermé à Cava par ordre du pape Honorius II (1125) et y serait mort peu après consumé de chagrin (28 Décembre 1126), et ce qui serait vraiment fort triste, si c'était en tous points exact, — quoique averti plusieurs fois par le pape, il ne voulut point faire pénitence de ses erreurs. Le pape cependant, dit Fleury, ne laissa pas de le faire enterrer honnêtement en consideration du monastere de Clugni '). Toutefois Robert du Mont, qui pouvait beaucoup mieux encore qu'Ordéric connaître la vérité, ne dit rien de l'impénitence de l'abbé de Cluny. Son silence nous permet donc de croire que la fin de Pons, à Cava, fut digne de ses beaux commencements. Vers la même époque (1127), le duc Guillaume terminait, lui aussi, ses jours à Salerne. Ce prince à l' exemple du duc Roger, son père, et de Robert Guiscard, son aïeul, s'était montré, toute sa vie, d'une libéralité incroyable envers l'abbaye de Cava. Déjà il avait accordé à S. Pierre Pappacarbon une infinité de diplômes, contenant des donations, des exemptions, des confirmations sans nombre 2). II montra la même générosité, ainsi que nous l'avons dit en passant, envers S. Constable 3). Ajoutons qu'il continua, sous l'abbé Siméon, à enrichir le monastère Métellien de nouveaux bienfaits. D'abord, en Novembre 1124, il lui concéda le privilége de percevoir certains droits abbatie, cui renuntiaverat, preesse voluit, et quomodo scismate facto in eodem monasterio multum humani sanguinis effusum est, pudet dicere. Remansit tamen venerabili Petro regimen Monasterii Cluniacensis, quod adhuc disponit, transactis exinde Xxxii annis. Pontius vero in monasterio quod vocatur Cavea, ad ultimum mortuus est. » ROBERTI DE MONTE Chron. ap. PERTZ. Op. cit. p. 485. 1) FLEURY. Op. cit. p. 345. Cf. ORDER. VITAL. lib. II, ap. PERTZ, SS. XX. 78. 2) En voici quelques exemples: Août 1111, confirmation des donations du duc Roger, et surtout de tout le territoire actuel de Cava; - Décembre 1113, confirmation du château de Sant' Adjutore, du bourg de Fabrica et du droit de curie dans le monastère; Avril 1115, donation de plusieurs terres à l'église de S. Jacques de Luce, qui dépendait de la Sainte-Trinité. (Ce parchemin est remarquable par la mesure qu'il donne du pied normand: 333 millimètres. Un autre parchemin, de l'an 991, donne celle du pied lombard: 311 millimètres); — Mars 1116, donation du bourg de Musandi et confirmation de diverses terres sises à Lucérie: Août 1116, confirmation des monastè res de S. Georges ad duo flumina, de S. Zacharie de Lauris et des biens que l'Abbaye possédait à Aquabella, Stayno, Terresino, Licosa, etc.; Avril 1117, donation du port de Fonti, non loin d'Amalfi, et de la dîme des places de Salerne, appelées de Bussanola et du Cretazzo; — Avril 1120, donation des villages de Cetara et de Saberani, près de Cava, ainsi que de la portion de mer correspondante, etc. (Voy. les Diplômes originaux Arc. Mag. lett. E. n. 19, 29, 40, 46, 50; lett. F. n. 2. 15). 3) Voy. pag. 93 et Cf. VENTIMIGLIA, Op. cit. p. xxviii de l' Append. |