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elle ne rêve pas la gloire, elle ne demande qu'une retraite obscure :

Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère;
Je les lui promettais tant qu'a vécu son père.
Non, vous n'espérez plus de nous revoir encor,
Sacrés murs, que n'a pu conserver mon Hector !
A de moindres faveurs des malheureux prétendent,
Seigneur ; c'est un exil que mes pleurs vous demandent.
Souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous,
J'aille cacher mon fils et pleurer mon époux.

Mais le destin poursuit la veuve et le fils d'Hector: la vie d'Astyanax est menacée. Pour le sauver, Andromaque se résout au plus cruel des sacrifices; elle se résigne à aller supplier Hermione, sa rivale et son ennemie :

Où fuyez-vous, madame?
N'est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d'Hector pleurante à vos genoux ?...
Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s'est enfermée.
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour;
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette.

Dans son dévouement à cet enfant tant chéri, Andromaque trouve la force de ne pas laisser voir toute sa haine au fils du meurtrier d'Hector. Elle ménage Pyrrhus, en repoussant son amour; même elle risque, pour l'apaiser, d'innocentes et presque involontaires coquetteries :

Vos serments m'ont tantôt juré tant d'amitié !
Dieux ne pourrai-je au moins toucher votre pitié ?
Sans espoir de pardon m'avez-vous condamnée ?...
Vous qui braviez pour moi tant de périls divers !...
Pardonnez à l'éclat d'une illustre fortune
Ce reste de fierté qui craint d'être importune.
Vous ne l'ignorez pas: Andromaque, sans vous,
N'aurait jamais d'un maître embrassé les genoux.

Au fond, Andromaque estime Pyrrhus. Pour faire de lui le protecteur de son fils, elle accepte de l'épouser, sauf à lui échapper par la mort donc elle croit à ses promesses et compte sur sa générosité.

Seule dans la pièce, Andromaque n'est point le jouet de la passion. Seule, elle échappe au malheur; elle survit pour pleurer Hector et veiller sur son fils. La terrible psychologie racinienne frappe tous les autres acteurs du drame, que la fureur aveuglée de leur amour pousse à l'imprudence, au désespoir, au crime, à la folie.

De la légende d'Iphigénie à Aulis, comme de la fable d'Andromaque,Racine a retenu surtout l'idée essentielle, si simple et si dramatique : un homme qui sacrifie sa fille à son ambition.

Le poète indique nettement dans sa préface tout ce qu'il doit aux anciens. Il avait recueilli avec soin dans Homère et Stésichore, Eschyle et Sophocle, Euripide, Lucrèce, Ovide et Pausanias, toutes les traditions relatives à Iphigénie. Mais ici encore c'est surtout Euripide qu'il a suivi. Malgré l'analogie des situations et la ressemblance de plusieurs scènes, Racine s'est souvent écarté de son modèle. Il a supprimé beaucoup de détails familiers et charmants du texte grec, par exemple dans la conversation d'Arcas et d'Agamemnon, ou à l'arrivée du char qui amène Iphigénie et Clytemnestre. On a raison de trouver un peu trop solennel l'Agamemnon de Racine. Mais sa Clytemnestre est peut-être encore plus vivante que celle d'Euripide, et plus vraie, parce qu'elle est moins réservée. Dans le jeune premier si tendre, si empressé, si galant, on a quelque peine à reconnaître l'Achille grec, qui n'a même jamais vu Iphigénie, et qui s'irrite seulement d'apprendre qu'on ait abusé de son nom. Mais, quoi qu'on pense de cet Achille amoureux, il faut avouer qu'il rend Iphigénie plus naturelle et plus touchante. Dans Euripide, elle se résigne trop facilement à mourir, et cela pour hâter le départ

des Grecs ce qui semble bien héroïque de la part d'une jeune fille si timide. Dans Racine, elle accepte aussi la mort, mais pour une raison bien plus humaine, quand elle n'espère plus épouser Achille.

Puis, la pièce française fait intervenir deux nouveaux personnages.

Au Ménélas d'Euripide, dont la démarche intéressée ne laissait pas de choquer un peu, Racine substitue fort heureusement un autre chef. Ulysse a le droit de parler au nom des Grecs. De plus, il est fort habile homme. Il sait toucher au bon endroit l'âme d'Agamemnon : tout en lui rappelant ses promesses et ses devoirs, il s'entend à caresser son ambition. Au besoin, il parle haut:

Songez-y. Vous devez votre fille à la Grèce :
Vous nous l'avez promise.

Enfin Racine a presque créé le personnage d'Eriphile, dont le nom était à peine mentionné dans quelques auteurs anciens. On se rappelle comment se termine la pièce d'Euripide, par l'intervention d'Artémis qui substitue une biche à la fille d'Agamemnon. Ce dénouement, toujours difficile à accepter sur une scène française, était surtout inadmissible dans le système dramatique de Racine, où tout est la conclusion logique des caractères. De là l'utilité du personnage d'Eriphile. Par jalousie elle trahit Iphigénie et prévient les Grecs qu'on cherche à les jouer. Pour cette faute il est juste qu'elle soit punie: on découvre qu'elle est la victime demandée par l'oracle; c'est elle qui est sacrifiée, ou plutôt qui se tue bravement près de l'autel. Malgré tout, ce personnage reste un peu épisodique et froid; et ce n'est point sans peine que Racine a pu le rattacher à l'action. Ce qui sauve le rôle, c'est la sincérité de la passion d'Eriphile; elle aime follement Achille, et ne devient méchante que par amour :

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