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avait été autrefois l'essentiel de Racine, l'analyse de la passion et la logique du drame. La suprême originalité d'Athalie, c'est d'être aussi biblique pour le fond, aussi grecque qu'Esther pour la forme, et d'être en même temps un superbe drame psychologique, où tous les personnages, quoique sous l'œil de Dieu, vivent réellement d'une vie propre et se meuvent dans l'indépendance de leurs passions.

Racine a défini lui-même dans sa préface le sujet d'Athalie:

<< Elle a pour sujet Joas reconnu et mis sur le trône; et j'aurais dû, dans les règles, l'intituler Joas. Mais la plupart du monde n'en ayant entendu parler que sous le nom d'Athalie, je n'ai pas jugé à propos de la leur présenter sous un autre titre, puisque d'ailleurs Athalie y joue un personnage si considérable, et que c'est sa mort qui termine la pièce. >>

Ici encore le poète s'est conformé scrupuleusement aux données de l'Ecriture. Nous possédons de lui des Remarques sur Athalie. On y voit avec quel soin il avait étudié son sujet et combien il se préoccupait d'éviter toute erreur historique. Outre la Bible, il se réfère au Talmud, aux travaux de l'anglais Lightfood, au Discours sur l'histoire universelle de Bossuet, à la traduction de l'Histoire des Juifs de Josèphe par Arnauld d'Andilly, à la Bible de Saci, et à une foule d'auteurs ecclésiastiques. La préface de la pièce, qui est un modèle de précision savante, renferme de curieuses dissertations historiques sur le royaume de Juda, sur le temple de Jérusalem, sur les prêtres et les lévites, sur la vie d'Athalie, sur le caractère, l'âge et le rôle des personnages, enfin sur le chœur et la prophétie de Joad. On ne saurait mieux approfondir un sujet. Aussi Racine a-t-il admirablement rendu dans sa tragédie les traits principaux de la civilisation juive à l'époque où se passe l'action.

Dans Athalie encore, et même plus que dans Esther,

se montre le souci du spectacle, de la décoration vraie. Tout se passe dans un temple, comme pour l'Ion d'Euripide; mais c'est le temple de Salomon, qui résume toute l'histoire religieuse des Hébreux. Il est décrit, au courant de l'action, en quelques traits précis. Tous les personnages y font de fréquentes allusions : ces murs parlent non seulement à leurs yeux, mais à leur âme. C'est que ce temple protège le vrai Dieu et ses prêtres et le roi légitime contre les entreprises de la reine usurpatrice et sacrilège. Naguère tout le peuple d'Israël, aux jours de fête, y apportait la dîme. Maintenant les prêtres offrent seuls le sacrifice; autour du temple, les lévites en armes montent la garde; et les chœurs de jeunes filles, confiants ou affolés, y passent en chantant. Par un prodige d'art, le décor même joue un rôle dans l'action. Le principal personnage, Joad, se sert du spectacle pour frapper les esprits. Aussi avec quel soin il surveille lui-même la mise en scène ! Il distribue aux lévites les lances et les épées que David a consacrées autrefois après sa victoire sur les Philistins. Il ordonne à Josabeth de préparer le diadème. Et voici venir le glaive de David, le livre de la loi, le bandeau royal. Josabeth essaie le diadème sur la tête de Joas. Autour du livre saint s'échangent les serments. Enfin, au dernier acte, c'est par un double décor que le poète traduit aux yeux son magnifique coup de théâtre. Quand Athalie entre, le temple a sa physionomie ordinaire. Soudain, un rideau se tire et découvre l'intérieur du sanctuaire Joas sur son trône; à droite, sa nourrice. agenouillée; à gauche, un chef de lévites, l'épée à la main; à genoux sur les degrés, Zacharie et Salomith; sur les côtés, plusieurs lévites, le glaive nu. Toute cette décoration d'Athalie est d'autant plus belle qu'elle symbolise l'action même.

Il y a dans la tragédie comme deux drames, l'un terrestre, l'autre divin, qui s'expliquent l'un l'autre et se complètent.

Le drame politique n'est pas seulement conforme à

l'histoire; il est encore très vraisemblable, simple et naturel dans les moyens dramatiques, vrai d'une vérité humaine.

Un prêtre ambitieux songe à proclamer un prétendant. Il entre bien des éléments profanes dans le loyalisme obstiné de Joad. Des intérêts de son Dieu il ne sépare point ceux de sa caste. S'il montre tant d'intrépidité dans son dévouement à la race de David, c'est que, seul, le roi légitime rendra au grand prêtre de Jéhovah la place qui lui appartient dans l'Etat. Dès le début, Joad laisse voir clairement sa pensée :

Il faut que sur le trône un roi soit élevé,

Qui se souvienne un jour qu'au rang de ses ancêtres
Dieu l'a fait remonter par la main de ses prêtres.

Avant de couronner Joas, il a soin de lier le jeune roi par un serment. Ce qui légitime l'ambition de Joad, c'est sa foi ardente dans la bonté de sa cause, dans la volonté nettement exprimée de son Dieu :

Et comptez-vous pour rien Dieu, qui combat pour nous ?
Dieu, qui de l'orphelin protège l'innocence,
Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance;
Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël
Jura d'exterminer Achab et Jézabel;

Dieu, qui, frappant Joram, le mari de leur fille,

A jusque sur son fils poursuivi leur famille ;

Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
Sur cette race impie est toujours étendu ?

Ce prêtre exalté est de la grande race des conspirateurs : il en a les petites habiletés, les violences soudaines, les ruses, les hardiesses. Jusqu'au moment d'agir, il a su ménager Athalie, ne point la pousser à bout, endormir les soupçons, garder sa place. Et d'Abner, du brave Abner, il joue comme d'une marionnette; il réveille, exalte son loyalisme dans cette curieuse scène qui ouvre le drame; jusqu'au bout le grand prêtre garde son

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