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de fois à son partement, en pleurant moult tendrement, et en faisant ses regrets et complaintes. Le seigneur de Lalain, par douces et amiables paroles la r'apaisa au mieux qu'il put. Or lairai atant(maintenant) à parler du seigneur de Lalain et de madame de Lalain son épouse, et retournerai à messire Jacques leur fils.

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CHAPITRE XXXI.

COMMENT MESSIRE JACQUES De Lalain vint VERS LE ROI DE FRANCE QUI LE REÇUT MOULT BENIGNEMENT ET LUI FIT MOULT GRAND' CHÈRE,

QUAND messire Jacques de Lalain eut pris congé du seigneur de Lalain son père et de la dame de Lalain sa mère, il monta à cheval, lui et ceux de sa compagnie. Si chevaucha assez bonne espace, pensant au voyage qu'il avoit entrepris, lequel en son cœur il désiroit fort accomplir; mais pourtant ne voulut pas délaisser, qu'avant qu'il se départit des pays de son souverain seigneur le duc de Bourgogne, il n'allât voir et visiter la comtesse de Ligny à laquelle il étoit parent. Si appela aucuns de ses nobles hommes qui étoient avec lui et en sa compagnie, et leur chargea que sans arrêt ils tirassent le chemin vers Paris: si firent son commandement, et enménèrent avec eux chevaux et armures, malles et sommiers, là où étoient toutes leurs bagues; et ne retint avec lui que seulement un gentil écuyer qu'on

nommoit Cornille de la Barre et aucuns serviteurs. Si prit le chemin vers Beau-revoir où il trouva la comtesse sa parente moult bien accompagnée de nobles hommes et femmes, laquelle le reçut et conjouit moult courtoisement et le baisa, en lui disant qu'il fût le très bien venu et que bon gré lui sçavoit de ce qu'avant son département il l'étoit venu voir, et que grand'joie avoit de sa venue. Messire Jacques, comme courtois et sage, lui dit: « Madame, jamais ne me fusse parti du pays, sans vous venir voir et visiter et vous offrir mon service, si aucune chose vous plaisoit me commander, comme j'y suis tenu. » La comtesse l'en remercia; si appela un sien notable écuyer ancien, et autres plusieurs gentils-hommes de son hôtel, auxquels elle commanda et enjoignit expressement, qu'à messire Jacques de Lalain, qui étoit son parent et de son sang, on fit bonne chère, et qu'on le festoyât, et ceux qui étoient avec lui; et que sur tous hommes il le devoit être, et bien l'avoit desservi (mérité), pour le haut et bon vouloir qu'il avoit d'augmenter et accroître l'honneur de la maison d'où il étoit parti.

Le commandement et ordonnance de la comtesse fut fait, et fut festoyé de tous et de toutes, comme à lui bien appartenoit. Après tous festoyemens et grands honneurs à lui faits par la comtesse, dames et damoiselles et nobles hommes de céans, messire Jacques de Lalain prit congé d'elle et de tous ceux et celles qui y étoient, et remercia moult humblement la comtesse de l'honneur et bonne chère qu'elle lui avoit faite. La comtesse le baisa au prendre congé,

si le prit par la main et lui dit: «< Messire Jacques de Lalain, je prie à notre Seigneur Jésus-Christ qu'il vous veuille conduire et vous doint (donne) la grâce d'accomplir votre bon vouloir, et retourner à l'honneur et salut de l'hôtel dont vous êtes parti, et en la grâce de votre souverain seigneur, comme j'espère qu'ainsi le ferez. » Les chevaux furent prêts; si se partit ayant pris congé à tous et prit son chemin vers la cité de Noyon, où il trouva plusieurs nobles hommes, lesquels tous s'étoient partis de leurs hôtels et maisons pour lui complaire et venir servir et obéir à ses commandemens, c'est à sçavoir: Jean de Montfort Félix de Guistelles, Perceval de Belleforière, Valeran de Landas, Othe de Marquette, Guillaume d'Obrencourt, Jean Rasoir, Cornille de la Barre ci-dessus nommé, Jean du Fresnoy, Yollin de Villers; et avec eux un héraut d'armes nommé Luxembourg, et un poursuivant, qui étoit de Lalain, lequel étoit nommé Léal.

Lui venu en cette cité de Noyon, par iceux hérauts et poursuivants envoya ses chapitres à la cour du très chrétien Charles roi de France, septième de ce nom, les faire noncier (annoncer) et publier, afin que s'il y avoit nuls nobles hommes qui voulsissent (voulussent) toucher à son emprise pour faire armes, ainsi et pareillement que ses chapitres font mention, ils fussent avertis et prêts de lui accomplir à sa venue ce qu'il requéroit: mais le roi de France pour cette heure ne voulut consentir à nul noble homme de sa cour de ce faire, pour certaines causes qui à ce le mouvoient. Nonobstant ce, le

gentil chevalier sachant ces nouvelles et refus, ne voulut pas laisser d'aller par devers le très chrétien et très noble roi de France, faire la salutation à sa royale majesté. Si partit de la cité de Noyon, en cheminant vers Compiégne, Senlis, Paris, et autre part par les cités et villes du royaume de France par tout lui fut fait grand honneur et réception; et toujours alloit demandant où étoit le roi. Il lui fut dit que pour ce temps il étoit à sejour au bois Cher-amer, dequoi il fut moult joyeux; si tira cette part, lui et sa compagnie; et tant fit qu'il parvint au lieu où il trouva le roi accompagné de grand nombre de princes, chevaliers et nobles hommes.

Le roi Charles, averti de la venue de messire Jacques de Lalain, et de la cause pourquoi il venoit par devers lui, le reçut à grand' joie et honneur; et aussi firent tous les princes, barons et chevaliers, qui pour lors étoient en l'hôtel du roi. Si fut fêtoyé de chacun d'eux moult honorablement. Puis entre plusieurs autres devises, le chevalier raconta au roi, mot après autre, la cause de sa venue; ensemble la forme et manière des chapitres faisants mention de son emprise d'armes; puis dit au roi: « Sire, entre les autres royaumes ne devoit point être oubliée la très noble et très chrétienne maison et royaume de France, que premièrement et avant toutes autres, je n'eusse fait noncier (annoncer) mes chapitres

d'armes. >>

Le très noble roi de France oyant les devises et le haut vouloir d'icelui messire Jacques de Lalain,

regarda les princes d'entour lui; puis après, à chère joyeuse, lui dit: « Messire Jacques de Lalain, vous nous soyez le bien venu. Vos faits et oeuvres ont beau commencement; Dieu y veuille mettre le parfait, où Vous ne pourrez faillir, comme il nous semble, car nous connoissons vos faits et vos vertus jà à bonne espace, dès que estiesmes (étions) à Nancy, où alors perçûmes et vîmes que vous ne pouvez faillir de parvenir à la haute vertu de prouesse et bonne renommée, si vous ensuivez vos premières œuvres, ou si fortune ne vous est contraire. » Lors messire Jacques, oyant le roi de France lui faire si grand honneur, se mit aux genoux, remerciant très humblement le roi, en disant: << Sire, Dieu le veuille par sa grâce, » Le roi, que pour lors on tenoit le plus sage prince de son royaume, demarcha un pas en prenant messire Jacques de Lalain par la main, et en le faisant lever, lui dit: « Messire Jacques, nous vous tenons de notre hôtel, et voulons, pour passer temps, que vous reposez et vous fêtoyez avec nos gens. » Et commanda au seigneur de Bessey sénéchal de Poitou, et à messire Jean de Hangest seigneur de Senlis, et à plusieurs autres, de le festoyer et lui faire tout l'honneur qu'ils pourroient. Laquelle chose fut faite, ainsi comme par le roi avoit été commandé. Après tous festoiements à lui faits, il vit que nul ne paroissoit pour toucher à l'emprise qu'il portoit au bras dextre; c'est à sçavoir, un bracelet d'or, auquel avoit attaché un couvrechef de plaisance, lequel il avoit porté en plusieurs lieux, en intention d'accomplir les armes contenues et déclarées en ses chapitres, lesquels seront ci-après déclarés.

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