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cun d'iceux s'y acquittoit au mieux qu'il pouvoit. Après toutes danses et ébattemens faits, l'heure vint que tous s'en allèrent coucher.

La jeune épousée fut menée en sa chambre, en laquelle cette nuit elle jeut (coucha) avec son seigneur et mari; et tant que, en petit de temps après, ils engendrèrent un moult beau fils, à la naissance duquel sourdit une moult grand' liesse au seigneur de Lalain et à la dame, lesquels moult humblement en remercièrent notre seigneur Jésus-Christ, eux voyants avant leur trépas la chose que plus désiroient au monde être avenue, c'est à sçavoir, de voir hoir légitime apparent, après messire Guillaume leur fils, de la maison, terre et seigneurie de Lalain. Donc en celui hôtel sourdit et fut demenée moult grand'joie, et aussi de tous leurs hommes et sujets, comme de leurs parents et amis. Icelui jeune enfant, après ce qu'il fut venu sur terrre et que la jeune dame à joie en fut délivrée, fut porté baptiser, et lui fut donné à nom Jacques, ou Jacquet; lequel

(1) On trouve dans la même église de Sainte Aldegonde à Lalain dans la chapelle Notre Dame, (suivant le témoignage de J. Chif flet), le tombeau de la dame de Créquy et de Guillaume de Lalain son mari. Voici les deux épitaphes:

Chy gist hault et noble hoinme monseigneur Guillaume, seigneur de Lalain, chevalier, qui trespassa en l'an de grâce M. quatre cent soixante quinze au mois d'aoust le XXVII. Fricz à Dieu pour son âme.

Chy gist haulte et noble dame, daine Jehanuc de Créquy, dame de Lalain, qui trespassa en l'an de grâce mil CCCC LXXXXV au mois d'octobre le XXI jour. Priez à Dieu pour son âme.

Leur fils Jacques de Lalain, surnommé le chevalier sans reproche, héros de cette histoire, mourut avant son père et sa mère en 1451. Voyez dans l'Appendice à la fin de ce volume quelques fragments du récit de la Toison d'or. J. A. B.

nom il porta toujours, jusques à ce qu'il vint en âge. d'être chevalier, ainsi comme plus à plein pourrez ouïr en cette histoire de ce faisant mention.

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CHAPITRE II.

CY FAIT MENTION COMMENT LE JEUNE DUC DE CLEVES REQUIT AU SEIGNEUR ET A LA DAME DE LALAIN AVOIR JACQUET DE LALAIN LEUR FILS AINÉ, POUR L'EMMENER AVEC LUI A LA COUR DU BON DUC PHILIPPE DE BOURGOGNE,

APRES que l'enfant fut nourri et élevé le plus doucement que faire se put, jusques à l'âge de sept ans, et que du tout fut ôté des mains de celles, lesquelles jusques à cet âge l'avoient eu en garde, le père qui étoit sage et prudent, regarda qu'il étoit en bon âge pour l'endoctriner et faire apprendre. Pourquoi fut le dit enfant baillé à un clerc pour l'enseigner, lequel, en assez bref terme, le rendit expert et habile de bien sçavoir parler, entendre et écrire en Latin et en François, si que nul de son âge ne le passoit,

Jacquet de Lalain crut et amenda moult fort; et tant que de beauté pour ce temps on n'eut sçu trouver son pareil; car, à la vérité dire, Dieu et nature à le former n'avoient rien oublié. Il étoit grand, bien fait et bien compassé de tous membres; de mœurs et de vertus étoit tant orné et paré, qu'à le voir et ouïr parler, il contraignoit ceux qui l'oyoient, à bien faire, eux se délectants à le voir, pour

la grand' apparence qu'ils véoient être en lui, pour parvenir à la haute vertu de prouesse et bonne renommée. Le seigneur de Lalain, et la dame, et aussi messire Guillaume de Lalain qui en étoit père, et la jeune dame sa mère, regracièrent et louèrent notre seigneur de leur avoir envoyé hoir légitime apparent, qui après leur trépas tiendroit leurs terres et seigneuries; à laquelle chose ils ne pouvoient faillir, car, assez tôt après, messire Guillaume et la bonne dame sa femme eurent encore un beau fils, qui fut nommé Jean de Lalain, lequel depuis fut prévôt de Saint Lambert de Liége, grand clerc et bien lettré. Puis après eurent deux moult belles filles, dont l'aînée eut à nom Yoland; et la seconde eut à nom Isabeau: et furent mises toutes deux à la cour du bon duc Philippe de Bourgogne, avec la duchesse sa femme. De la beauté et humilité qui en elles étoient, ceries trop ne pourroient être louées; car pour les bonnes vertus dont elles étoient ornées, l'une fut mariée au seigneur de Bréderode, grand baron en Hollande; et l'autre fut mariée et donnée à femme au seigneur de Bossu, grand baron en Hainaut;desquelles issit (sortit) moult belle lignée. Et depuis, messire Guillaume de Lalain, qu'on nommoit le seigneur de Buignicourt, eut deux moult beaux fils; dont l'un eut nom messire Philippe, pour le bon duc de Bourgogne, qui le leva des fonts; et l'autre eut nom Antoine. Lesquels tous deux furent chevaliers preux et hardis aux armes, comme en la fin de cette histoire pourrez ouïr; mais quant à présent nous nous déporterons (différerons) de plus en parler, et

retournerons à parler de Jacquet de Lalain pour qui cette histoire est encommencée ;lequel, quand ce vint à l'issue de son enfance, entre autres passe-temps, se délectoit en chasses et en voleries (chasses au vol); ou très bien et très modérément se contenoit de jeux de tables, et d'échecs. De gracieusement et sagement parler et deviser, passoit tous les autres, qui étoient de son âge: et pour en parler à la vérité, il étoit naturellement enclin et usité à tout ce que cœur de noble homme appéte et doit désirer, reservé qu'il n'avoit jamais porté armes, ni ouï parler, ni vu l'usage de joûter, ni tournoyer (faire des tournois). Mais on dit en un commun parler, que le bon oiseau se fait de lui-même, ainsi comme fit celui bon écuyer: car, lui étant en l'hôtel de son père, le jeune duc de Clèves, neveu de ce très glorieux et bon duc Philippe de Bourgogne, vint en l'hôtel de Lalain, où il fut moult grandement reçu et fêtoyé du seigneur de Lalain, de son fils messire Guillaume et des deux dames leurs femmes, qui à ce jour étoient moult noblement accompagnées de dames et damoiselles, par lesquelles il fut moult liement reçu, lui et tous ceux qui étoient en sa compagnie. La fête qui fut faite au château de Lalain, pour la venue du jeune duc de Clèves, fut moult grande, car le seigneur de Lalain et la dame, qui moult étoient anciens, s'efforçoient de tout leur pouvoir de conjouir et fêtoyer le jeune duc; et pareillement aussi faisoient messire Guillaume leur fils, et la dame de Buignicourt sa femme, qui avec elle avoit Jacquet de Lalain son aîné fils.

Le jeune duc de Clèves voyant Jacquet de Lalain être ainsi comme de son âge, d'une hauteur, d'une tournure, de manière et de contenance tant assurée, il prenoit plaisir à le voir, et pareillement faisoient ceux qui avec lui étoient; et tant plut au jeune duc, qu'abstenir ne se put de requérir à messire Guillaume de Lalain et à la dame de Buignicourt sa femme, qu'ils lui voulsissent (voulussent) donner Jacquet de Lalain leur fils; laquelle requête messire Guillaume de Lalain lui octroya libéralement, et pareillement la dame de Buignicourt sa femme. De l'octroi par eux fait le duc les en remercia moult courtoisement. Jacquet de Lalain, oyant la promesse qu'avoient faite messire Guillaume et la dame de Buignicourt sa mère au jeune duc de Clèves, fut joyeux plus que jamais n'avoit été; et lui tardoit moult que plutôt ne s'en pouvoit partir: mais si tôt ne se pouvoit faire, jusques à ce qu'il fut en point de robes, d'habillements, de chevaux, de harnois, et de tout ce que à lui appartenoit, pour être et aller avec un si haut prince en la cour du bon duc de Bourgogne Philippe.

Le jeune duc de Clèves, après qu'il eut layens (là) été un jour et une nuit, il prit congé du vieil seigneur de Lalain, de messire Guillaume son fils, et des dames et damoiselles, et les remercia moult honorablement de la bonne chère que faite lui avoient. Si prit Jacquet par la main et lui dit: «< Jacquet de Lalain, mon ami, je vous prie que, le plutôt que vous pourrez, venez à la cour du duc mon oncle, et je vous promets que nous ferons bonne chère, et

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