Imágenes de páginas
PDF
EPUB

aurons temps à souhait, et si bon que meilleur ne sçauriez querre.» Lors Jacquet de Lalain répondit: «Monseigneur, quand ce sera le bon plaisir de monseigneur mon père et de madame ma mère, de m'envoyer vers vous, et fut dès maintenant, je serai prêt. >> Alors le jeune duc de Clèves s'en partit, et tira vers Bruxelles, où il trouva le duc son oncle qui le reçut moult liement, et comme en souriant lui dit: << Beau neveu, d'où venez-vous maintenant? Jà sont quatre jours passés que je ne vous vis. »>«<Monseigneur, dit le jeune duc, j'ai été voir le seigneur de Lalain où j'ai été bien reçu moi et mes gens; et avec ce j'ai tant fait, qu'il m'a baillé son aîné fils être et demeurer avec moi. pour Mon neveu, ce dit le duc, je vous en sçais bon gré, et avez bien fait; car de la maison de Lalain sont issus maints bons chevaliers et écuyers, desquels nous et nos ancêtres avons été bien servis; et je crois que celui qui vous doit venir servir, ne forlignera point, mais suivra la trace de ceux dont il est issu.» Et atant (alors) cessèrent leurs devises. »

[ocr errors]

[ocr errors]

་་་་་་་་་་་་་

mmm

CHAPITRE III.

COMMENT MESSIRE GUILLAUME DE LALAIN ET LA DAME de Buignicout, PÈRE ET MÈRE DE JACQUET DE LALAIN, L'INTRODUIRENT ET A MONESTÈRENT DE PLUSIEURS BELLES DOCTRINES AVANT SON PARTEMENT.

ASSEZ

ASSEZ avez ouï par ci-devant, comment le jeune

duc de Clèves vint au château de Lalain en Hainaut, et comment à son departement il demanda à messire Guillaume de Lalain, Jacquet son fils aîné, lequel il lui octroya, et lui promit de lui envoyer, comme il fit. Car quand le jour fut venu, et que tous les habillements qui faits étoient pour son fils, tant serviteurs, comme chevaux et harnois à lui nécessaires furent prêts, messire Guillaume lui bailla quatre bons roncins, un gentil-homme pour le servir, et un clerc bien lettré pour toujours lui montrer et apprendre, afin qu'il n'oubliât son latin, et un varlet pour penser des chevaux. Et puis quand messire Guillaume de Lalain et la dame de Buignicourt sa femme, le virent prêt et ordonné pour lendemain partir, ils l'appelèrent et le menèrent en une chambre, où ils ne furent que quatre tant seulement; c'est à sçavoir le seigneur et la dame qui étoient le père et la mère, Jacquet qui étoit aîné, et Philippe son frère qui moult étoit jeune: et quant est de Yoland et de Isabel, elles demeurèrent avec les demoiselles de léans.

Quand le seigneur et la dame furent entrés en la chambre, ils firent clorre les huis (portes), puis s'assirent sur un banc qui là étoit. Et lors le seigneur commença de parler et admonester son fils, en lui disant: «< Jacquet, vous êtes mon aîné fils, et le plus apparent d'être le droit hoir de cette maison de Lalain. Et pource que de tout mon coeur je la désire ́augmenter et accroître, et la voir en mon temps être entretenue, non point anéantie, comme anciennement nos prédecesseurs ont mis grand'peine de l'éle

ver afin de lui bailler nom immortel, et pour ce, je vous jure sur celui qui me fit et forma, que j'aimerais plus cher votre mort, que par vous y eût faute, et qu'elle en fût en rien amoindrie: laquelle chose j'espoire(espère) que non, si ce n'est par vos péchés,qui mènent et attrayent (attirent) les hommes et les femmes à damnation. Et afin que sachiez que c'est de vice, et que vous vous gardiez de cheoir en ce danger, Jacquet, beau fils, je vous dirai la manière, et comment vous en pourrez faire. De toute votre force et puissance mettez peine d'accomplir les commandements de Dieu: et tant qu'est au regard de notre âme, nous devons sçavoir que, qui se garde de pécher mortellement, il est sauvé: car sachez, mon fils, que les autres péchés véniels sont éteints et annullés à (avec) bien peu de pénitence. Doncques pour vous garder de pécher mortellement, si faire voulez ainsi comme je vous dirai, faillir ne pouvez d'être sauvé.

CHAPITRE IV.

DU PÉCHÉ D'orgueil.

«OR doncques, mon fils, pour acquérir gloire et bonne renommée, vous qui allez demeurer à la cour de si haut prince, il vous convient suivre ceux lesquels vous verrez y être de bonnes moeurs. Mais premièrement, sur toute rien il vous convient fuir le péché d'orgueil, si vous voulez venir à bien et acqué

rir la grâce de votre très désirée dame. Car sachez que peu de nobles hommes sont parvenus à la haute vertu de prouesse et à bonne renommée, s'ils n'ont dame ou damoiselle de qui ils soient amoureux. Mais, mon fils, afin que sachiez de quel amour j'entends que devez être amoureux, je le vous dirai. Si ainsi advient que, en tout honneur, vous soyez amoureux d'aucune dame ou damoiselle qui rien ne vous soit, et dont vous vous pourriez acointer, gardez, sur tant que désirez de parvenir à la haute vertu de prouesse, que ce ne soit de folle amour; car à toujours vous seroit tourné à grand' vilainie et reproche. Et pour ce, beau fils, si vous voulez ètre tel comme je vous dirai, et que vous veuilliez faire mon conseil et ensuivre ma doctrine, il vous convient être doux, humble, courtois et gracieux, afin que nulle deshonnête parole ne soit dite de vous. Car sachez, mon fils, que si vous aviez le trésor de Salomon et sa grand' sapience, et la grand' noblesse du roi Priam de Troye, et avec ce toute perfection de corps, le seul orgueil, s'il est en vous, détruira toutes vos vertus. Et àce propos dit le sage Socrates: Quantumcumque potes, fili, non esto superbus. Et tant d'autres autorités, des quelles, si les racontois, trop longue seroit l'histoire: pourquoi à présent, m'en veux déporter (dispenser). Et vous dis je, mon fils, pour venir à mon propos, que le vrai amoureux, tel que je vous dis,qui aura la vertu d'humilité à l'encontre de ce seul péché d'orgueil, ne pourra faillir de parvenir en la grâce de sa très desirée dame. Et par ainsi, bannissez et déchassez arrière de vous ce

très déplaisant et abominable péché d'orgueil et toutes ses circonstances; et vous ne pourrez faillir de venir à salvation et en la grâce de votre très désirée dame, en tout honneur.

་་་་་་་

m

CHAPITRE V.

DU PÉCHÉ D'Ire.

Er quant est au second péché, qui est nommé ire (colère), certes oncques vrai amoureux ne fut ireux. J'ai bien ouï dire que aucunes déplaisances amours leur ont donné, pour les essayer: mais si n'étoient ils pas irés, s'ils n'étoient férus d'autre mal que d'amour. Et pour ce, beau fils, que ce péché est déplaisant à Dieu, si l'est-il aussi à l'honneur et au corps de celui qui l'a, veuillez le fuir à votre pouvoir, et ensuivre le dire du philosophe: Tristitiam mentis caveas plusquam mala dentis. Segnitiem fugias. Numquam piger ad bona fias. C'est a dire, mon fils, fuyez tristesse de pensée plus que le mal de dents; aussi fuyez paresse pour passer la douleur de votre cœur; et faites toujours bien fuir courroux et ire, afin qu'ils ne te baillent point leur cruelle pestilence; car ce sont les voies qui font fourvoyer du droit chemin, et sont nourrices de tous schismes et divisions. Mon fils, ne portez à nul, ire ni haine; mais pacifiez à chacun; car quiconque hait son prochain il est homicide, comme dit l'évangile; et à ce propos dit saint Augustin en une de ses épîtres, que

« AnteriorContinuar »