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de lui complaire et servir; car on dit communément que diligence passe prudence. Mon fils, étudiez et mettez peine de connoître les bons, et ensuivez leurs œuvres, et tout bien vous en aviendra. »

CHAPITRE XI.

COMMENT JACQUet de LalaiN SE PARTIT DE L'Hôtel de SON PERE, Et s'en vint a LA COUR DU DUC DE BOUR

GOGNE.

QUAND le seigneur de Lalain eut admonesté Jacquet de Lalain son fils, et lui eut dit et fait cette remontrance et doctrine, bien au long et à loisir, lors Jacquet moult humblement se mit à un genouil devant messire Guillaume, son père, et lui dit: Mon très redouté seigneur et père, moyennant la grâce de notre Seigneur, toute mon intention et courage est d'ensuivir (suivre) la belle instruction et doctrine que m'avez cy dite et proposée,et y mettrai peine et diligence.» Lors messire Guillaume regardant son fils lui dit : « Beau fils, Dieu vous en doint (donne) la grâce: car sans son aide ne pouvons faire œuvre vertueuse, ni chose de valeur. >>

Si prit son fils par la main et le fit lever. Si se partirent de la chambre tous ensemble, le seigneur et la dame, en tenant leur fils par la main, et vinrent en la salle, où les tables étoient couvertes; si s'assirent au manger. Puis quand ce vint qu'ils eurent dîné et que les tables furent levées, Jacquet de Lalain moult désirant d'être parti, pour soi met

tre à chemin, ordonna ses serviteurs être prêts et les chevaux être tirés hors de l'étable. Si prit congé de messire Guillaume son père et de la dame de Buignicourt sa mère laquelle tout soupirant le baisa au départir; car c'étoit celui au dessus de ses autres enfants, qu'elle avoit le plus cher, jaçoit-ce-que (quoique) elle les aimât tous.

Après le congé pris de ses frères et sœurs, il descendit les dégrés de la salle et vint en bas, où il trouva son cheval prêt pour monter: mais sans mettre pied à l'étrier il saillit en la selle. Puis quand il vit ses gens et serviteurs être prêts, il brocha (piqua) le cheval de l'éperon, et issit (sortit) hors du châtel de Lalain et prit le chemiu vers Bruxelles. Puis quand il eut chevauché environ une lieue, il donna congé à ceux qui le convoyèrent (accompagnèrent), exceptés aucuns gentilshommes ordonnés par messire Guillaume de Lalain pour le conduire et présenter au jeune duc de Clèves. Et ainsi tout devisant exploitèrent tellement de chevaucher, qu'ils vinrent à Hauls, où le lendemain qu'ils y furent arriva Jacquet de Lalain qui fit chanter une messe devant l'image de la Vierge Marie, où il fit ses humbles prières et requêtes, telles que pour lors sa dévotion l'incitoit à ce faire.

Après la messe ouïe et qu'il eut repu, lui et ses gens montèrent à cheval, et se mirent à chemin, eux tellement exploitant qu'ils entrèrent dedans la ville de Bruxelles. Lors Jacquet de Lalain, ainsi 'comme il alloit chevauchant, en passant pardevant P'hôtel et cour du duc de Bourgogne, il choisit le

jeune duc de Clèves son seigneur et maître, qui alloit vers le duc son oncle, pour l'accompagner à la messe. Le duc de Clèves, qui s'en alloit pour entrer dedans la porte de la cour, choisit venir Jac quet de Lalain; si s'arrêta, en disant à aucuns de ses gentilshommes: « A mon avis il me semble que je vois cy venir Jacquet de Lalain. Or, arrêtons,

jusques à tant que le sçaurons à la vérité. » Lors Jacquet de Lalain qui avoit jeté son regard vers la cour, choisit et connut tantôt le jeune duc son maître. Si mit pied à terre et aucuns de ses plus privés, et vint marchant devers le duc son maître qui lui tendit la main en lui disant: « Jacquet, vous nous soyez le bien venu. » Lors Jacquet, qui avoit été nourri et introduit en tout honneur, mit le genou à terre, et très humblement salua le jeune duc de Clèves son maître, lequel le reçut moult courtoisement, lui disant qu'il fut le bien venu. Si le prit par la main, et lui dit qu'il le meneroit devers le duc son oncle pour lui faire la révérence. Le jeune duc de Clèves tenant Jacquet de Lalain par la main, entra en la cour, et montèrent les degrés, et si à point vinrent, qu'ils choisirent le duc de Bourgogne qui venoit ouïr la messe.

Le duc de Clèves s'avança pour lui être au devant, tenant Jacquet de Lalain par la main, et le présenta au duc son oncle, en disant: " Monseigneur, voyez ici Jacquet de Lalain, qui m'a été baillé par son père messire Guillaume pour vous servir et moi accompagner, si c'est votre plaisir.» Lors le duc le regarda en souriant et lui dit: «< Jac

quet, vous nous soyez le bien venu; beau neveu de Clèves désiroit moult votre venue. » Si le prit par la main et le fit lever. Jacquet de Lalain, ayant fait la révérence au duc de Bourgogne, se tira à part avec le duc de Clèves jusques l'heure fut venue que le duc de Bourgogne vint à l'offrande, pour lui bailler, ainsi comme il avoit accoutumé de faire. L'offrande faite et passée, le jeune duc de Clèves se partit de la chapelle, tenant Jacquet de Lalain par la main, et soi devisant avec lui, jusques il vint à son logis. Puis eux là venus, le duc s'assit à table, et Jacquet le servit de la coupe tout au long du dîner. Le dîner accompli, le duc se leva de la table. Si se prirent tous ensemble à deviser de plusieurs gracieuses devises.

Tant et si gracieusement se devisa et contint le dit Jacquet de Lalain, au duc, en la présence des jouvenceaux, chevaliers et écuyers de leur âge, que tous prenoient plaisir de l'ouïr deviser, en le louant et le prisant sur tous ceux qu'on trouva pour lors léans. Tant et si assurément se devisa et contint avec le jeune duc, que tous lui désiroient à complaire: et tant, qu'il n'y avoit celui qui ne s'émerveillât et désirât de l'ouïr parler: car de sçavoir deviser de chasses et de voleries, nul ne l'en passoit; de jeux d'échecs, de tables, et tous autres ébattements que noble homme devoit sçavoir, il étoit instruit et appris, plus que nul homme de son âge. Tant bien se gouverna avec le jeune duc, qu'il fut prisé et aimés des grands et des petits. Et quand il se trouvoit avec le duc son seigneur, entre

dames et damoiselles, nul ne le passoit de bien sçavoir tenir contenance et manière de parler, et soi deviser tant sagement avec elles que toutes étoient désirant ses gracieuses devises: car tant bien lui afféoit (séoit), que toutes disoient que le pareil jamais n'avoient vu. Et le désiroient plusieurs d'elles, par la beauté et humilité qui étoit en lui. Et tellement, et si bien se gouverna en toutes façons, que le jeune duc son maître le tenoit avec lui pour le plus prochain de son hôtel: car eux deux étoient comme d'un âge et d'une grandeur et de façon de corps et de maintien; parquoi le jeune duc le tint si cher, que peu s'en failloit qu'il ne le tint comme son propre frère. Si aujourd'hui le jeune duc de Clèves vêtoit un nouvel habit, fut de robes ou autres habillements, combien qu'ils fussent riches, Jacquet de Lalain étoit habillé et vêtu de tels ou semblables. Finalement le jeune duc de Clèves l'aimoit tant chèrement, que s'il n'avoit Jacquet de Lalain autour de lui, il lui étoit avis qu'il étoit seul, combien qu'il fut toujours bien accompagné de chevaliers et écuyers.

CHAPITRE XII.

CY FAIT MENTION DES JOUTES ET ÉBATTEMENTS OU LE JEUNE DUC DE CLEVES ET JACQUET DE LALAIN SE TROU

VERENT ENSEMBLE.

AINSI comme vous avez oui, Jacquet de Lalain s'efforça tellement et par si bonne manière de servir

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