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chacun jour le Turc s'efforçoit de tout son pouvoir de vouloir détruire et anéantir.

Après ce que celui ambassadeur eut fait et proposé sa légation de par l'empereur de Constantinoble, le duc lui répondit qu'il avoit bien ouï et entendu tout ce, qu'il avoit dit et proposé, et que sur ce il auroit briève réponse; comme il eut: car le duc, après qu'il eut parlé à son conseil, conclut d'envoyer au secours de la chrétienté vers l'empereur de Constantinoble certain nombre de gens d'armes et de trait. Et fut élu, pour de cette armée avoir la conduite, le seigneur de Waurin, lequel avec ses gens d'armes, montèrent sur galées à Venise; et avec lui et en sa compagnie étoit messire Vascq chevalier espagnol, et un moult vaillant et expert chevalier aux armes nommé messire Gauwain Quieret, natif des pays de Picardie; lesquels exploitèrent tellement de nager, qu'ils vinrent à Modon, où ils trouvèrent le cardinal de Sainte Croix, pour lors légat de notre saint père le pape, et avec lui quatre galées armées aux dépens de notre dit saint père. De leur armée et de ce qu'ils firent, ne veux faire ni tenir long conte, mais comme j'entendis pour lors ils ne profitèrent guère à la chrétienté; ni aussi ne fut faite chose, qui fut à leur profit, dont à présent veux cesser d'en

(1) Le duc de Bourgogne envoya même Jean de Coucy et Jacques de Lalain, chevalier de la Toison d'Or et ambassadeur auprès des rois de France et d'Aragon en 1451 pour les prier de se joindre à lui afin de secourir l'empire d'Orient (Salazar, hist. de la Toison d'Or introduction.) Voyez aussi dans l'appendice la description faite par Olivier de la Marche des banques allégoriques données à cette accasion. J. A. B.

plus parler, mais parlerons des choses qui puis advinrent.

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CHAPITRE XIV.

COMMENT LE DUC PHILIPPE DE BOURGOGNE CONQUIT LA VILLE ET PAYS DE LUXEMBOURG.

APRÈS que le bon duc Philippe de Bourgogne eut

par grand' délibération de conseil, ordonné et envoyé gens au secours de la chrétienté, comme ci dessus avez ouï, et qu'il eut dépêché l'ambassadeur de l'empereur de Constantinoble, et lui eut fait de grands dons, il se partit de sa cité de Châlons et prit son chemin vers Dijon, avec lui le duc de Bourbon, le duc de Clèves son neveu, les deux comtes de Nevers et d'Etampes, frères et cousins germains du duc Philippe. Eux là venus, furent faites grands fêtes et ébattements, et spécialement de joûtes, où Jacquet de Lalain, avec son seigneur et maître le jeune duc de Clèves, se gouverna tellement et si bien que, fut dedans ou dehors, le prix lui étoit donné et présenté par les dames; et de l'autre côté au seigneur de Waurin, lequel pour le temps de lors on tenoit pour un moult vaillant joûteur. Et quand eux deux se trouvoient à la joûte, certes pas ne se départoient sans y avoir rompu grand'foison delances: et souventes-fois se tenoient tant et si longuement sur les rangs, qu'il convenoit les ramener aux torches: et toujours eux deux, quand ils joû

toient, ne failloient point d'avoir le prix, l'un dedans, l'autre dehors. Puis après les joûtes, comme il est accoutumé de faire, on venoit au banquet: puis aux danses et ébattements, où Jacquet de Lalain au dessus de tous autres se gouvernoit si modérément, que de toutes dames et damoiselles il étoit aimé et prisé. Et tellement se conduisit et gouverna en tous lieux et places où il se trouvoit, qu'il fut tant en la grâce du duc de Bourgogne et de son neveu le duc de Clèves, qu'en plusieurs lieux, et consaux (conseils) privés, il étoit appelé devant beaucoup de barons et chevaliers assez plus âgés de lui. Et là où il se trouvoit en aucune question où son avis lui étoit demandé, tant et si modérément en répondoit, que souventes-fois sur son avis on s'arrêtoit, en prenant conclusion sur la cause mise avant; dont plusieurs voyant son âge, ne se pouvoient assez émerveiller; car pour lors n'avoit que vingt ans d'âge.

Or advint qu'en cette saison, le duc Philippe de Bourgogne, pour aucuns grands droits qu'il avoit sur la duché de Luxembourg, lesquels on lui vouloit extordre et anihiler, qui étoit chose que jamais il n'eut voulu souffrir, pour y pourvoir et aller à l'encontre, fit grand amas de gens d'armes et de trait, tant de Bourgogne, comme d'Artois et de Picardie, et se partit de Dijon accompagné de son neveu le duc de Clèves et des comtes de Nevers et d'Etampes, ses cousins germains, et de plusieurs chevaliers et écuyers de ses pays; et prit son che

( 1) En l'année 1143. J. A. B.

min vers Luxembourg et pays d'environ, où il parvint. Là y avoit aucunes villes que le comte de Vernembourg, lieutenant commis de par lui au dit pays,et messire Simon de Lalain, qu'il avoit devant envoyé avec lui, accompagné de plusieurs nobles chevaliers et écuyers, et grand nombre de gens d'armes, avoient mis en l'obéissance du dit duc Philippe de Bourgogne; et avec ce plusieurs nobles chevaliers et écuyers dudit pays, par lesquels la chose fut tellement conduite, que le bon comte d'Etampes, cousin germain du duc, et eux avec lui, se départirent du duc, ensemble avec lui grand' foison de chevaliers et écuyers; comme le seigneur de Saveuse, le dit messire Simon de Lalain seigneur de Montigny, le seigneur de Créquy son beau-frère, et autres plusieurs chevaliers et écuyers, garnis d'échelles et autres habillements de guerre. Si vinrent en grand arroy les dresser au plus secrètement qu'ils purent, environ trois heures devant le jour et tant firent que, sans être aperçus, montèrent contremont la muraille de la ville et entrèrent dedans. Puis eux dedans, demenants grand bruit, criants: Notre Dame ! Bourgogne! vinrent jusques en la place de la ville, qui étoit devant le châtel; et gens de plusieurs rues et places de la ville s'assemblèrent; et les bourgeois de la dite ville cuidants (croyant) résister et les debouter dehors, vinrent armés et embâtonnés. Alors le comte d'Etampes et ceux de sa compagnie, moult vivement les reboutèrent: auquel reboutement Jacquet de Lalain fit de moult belles appertises d'armes, tant de lances comme de

les

l'épée, qu'à le voir férir à dextre et à senestre, ceux qui le voyoient ne s'en pouvoient assez émerveiller. Finalement le comte d'Etampes, et ceux qui avec lui étoient, eurent la victoire; et ceux de la ville furent du tout contraints de prendre la fuite. Là en y cut assez de morts et de pris. Les aucuns d'iceux saillirent dehors par la muraille, pour eux sauver et mettre à garant(sureté). La ville fut courue et pillée. Le lendemain matin le duc de Bourgogne entra dedans la dite ville de Luxembourg, en grand triomphe; et vint devant le châtel, auquel s'étoit retrait (retiré)le comte de Clicq, capitaine de la place, commis pouret au nom du duc de Saxe, lequel, dedans briefs jours après la prise de la dite ville de Luxembourg, s'en issit (sortit) hors par la muraille du dit châtel et s'en alla où bon lui sembla. Ceux qui dedans le châtel étoient demeurés, rendirent le châtel au duc de Bourgogne; et par ainsi, sans guère de perte, il fut seigneur de la ville et du châtel de Luxembourg. Après qu'il eut mis léans gens en garnison, et y eut laissé Cornille son fils bâtard, il s'en partit en grand'gloire et louange et retourna en sa ville de Bruxelles, où à grand'liesse il fut reçu des bourgeois et communauté de la ville.

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