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moult; il vint vers les comtes du Maine et de SaintPol, avec lesquels il alla jusques à la cour du roi qui à cette heure étoit en la chambre des dames, où étoient les reines de France et de Sicile, madame la dauphine, les duchesses d'Orléans, la duchesse de Calabre; et plusieurs autres duchesses, comtesses, baronnesses, dames, et damoiselles en très grand nombre. Quand là furent venus, eux comme les autres, après ce qu'ils eurent salué le roi, les reines et toutes les dames se prirent à deviser avec elles. Avec lesquelles (ces dames) Jacquet de Lalain se contint et devisa si gracieusement, qu'il n'y eut celle des plus grandes jusques aux moindres qui ne prît plaisir à l'écouter et ouïr parler; et disoient entre elles: « Certes, ce jeune écuyer montre assez qu'il a été nourri en lieu de haut affaire, et qu'il soit issu et parti de noble extraction.» Ainsi les dames de telles ou semblables paroles faisoient leurs devises. Mais entre les autres étoient deux moult grands dames, fort à avoir ci-devant ai fait mention, qui désiroient dont par ses devises; et étoit de chacune d'elles si bien en grâce, sans que l'une s'apperçut de l'autre, que merveilles étoit. Si l'oyoient moult volontiers parler, désirants que leurs maris le resemblassent. Elles d'eux n'avoient pas mal choisi; car il étoit tant bel et bien fait de tous membres, que Dieu et nature à le former n'avoient rien oublié. Certes, avec ce étoit débonnaire et courtois en faits et en paroles, dévôt vers Dieu et aumônier; sa conversation étoit tant plaisante, que chacun qui le véoit, désiroit à avoir lui accointance. Si ne m'émerveille pas, si vo

lontiers étoit vu des dames, comme il étoit: car icelles deux dames étoient en tel point, que nuit et jour ne sçavoient que penser, pour trouver moyen honnête depouvoir parler à lui et de avoir ses devises.

Jacquet de Lalain s'apercevant de l'amour que les deux dames avoient à lui. Lesquelles un chacun jour l'envoyoient quérir par un leur secret message: si y alloit assez souvent soi ébattre et deviser avec elles: puis un jour devisoit avec l'une, le lendemain avec l'autre; ou si apoint s'y gouverna en tout honneur, quoncques il ne fit chose dont il dut être repris devant Dieu, ni le monde. Il craiguoit et aimoit Dieu sur toutes rien: toujours avoit en souvenance les beaux admonestements et doctrines qu'à son partement lui avoit fait messire Guillaume de Lalain son père. Assez souvent avoit nouvelles des deux dames, lesquelles, sans que l'une sçut rien de l'autre, il contentoit si très apoint, que de toutes les deux il étoit aimé et cher tenu. Et ne tenoit qu'à lui que encore n'en fut mieux: mais pour la doute de son corps, et aussi pour la salutation de son âme, il ne s'y voulut oncques avancer que bien à point. Ainsi comme ouïr pouvez, Jacquet de Lalain pour icelui temps étoit en ce pays, et y fut tant comme il fut à la cour du roi, et désiroit moult fort à avoir achevé son emprise et mis à fin: car chacun sçait, ou doit sçavoir, que l'ennemi ne chasse à autre chose, que mener à perdition les hommes et femmes, afin d'avoir leurs âmes; et pour ce un chacun jour Jacquet de Lalain, avant qu'il partît de son logis, faisoit chanter messe, laquelle il oyoit moult

dévotement, faisant ses prières à Dieu et à la Vierge Marie sa mère, qu'il le voulût garder d'encombrier. (malheur) Puis, après la messe ouïe, pensoit et ordonnoit ses affaires; si se partoit de son hôtel et alloit vers la cour du roi, avec les comtes du Maine et de Saint-Pol. Eux là venus, souventes fois le roi prenoit ses devises à lui, et l'avoit bien en sa grâce; et tant qu'il le retint de son hôtel. Et par ainsi Jacquet de Lalain, par l'humilité qui étoit en lui, eut à ce jour grand bruit en l'hôtel du roi; et n'y avoit duc, comte, baron, chevalier, écuyer, dame, ni damoiselle, dont il ne fût bien accointé; en spécial des reines et princesses, desquelles ilétoit volontiers vu, au-dessus de tous ceux qui là étoient. Et en spécial le roi, monseigneur le dauphin, et le duc d'Orléans, et autres les ducs, comtes, barons, chevaliers, et écuyers, et généralement tous ceux de la cour du roi le véoient volontiers; disants tous que faillir ne pouvoit de parvenir à un haut bien, si mort ne l'avançoit.

CHAPITRE XVIII.

COMMENT JACQUET DE LALAIN S'APPRÊTA, ET VINT passer DEVANT LES HOURTS DES DAMES, ACCOMPAGNÉ DES COMTES DU MAINE et de Saint-POL.

QUAND les chevaliers, et écuyers de l'hôtel du roi virent le jour approcher que les joûtes se devoient

faire, chacun en droit soi se pourvut et apprêta de tout ce que mestier (besoin) leur fut, comme raison étoit. Car si adonc vous eussiez été à Nancy, vous y eussiez vu et ouï si grand bruit et telle noise des armoyeurs, selliers, maréchaux, qui ferroient lances et destriers, et le henissement des chevaux, qu'il sembloit être un ost, et qu'on se combattît l'un contre l'autre. François, Champenois, et autres nations s'efforçoient chacun à son pouvoir d'y être le mieux en point. Bien se vantoient les aucuns de mettre peine de bouter hors des lices Jacquet de Lalain, lequel aucuns François disoient que ce lui procédoit d'un grand orgueil et présomption d'avoir empris un si haut fait,comme de vouloir attendre et fournir tous ceux qui venir y voudroient, quatre jours durant, et les fournir chacun de trois lances rompues.

Or vint le jour, qui moult étoit désiré de Jacquet de Lalain, que sur toutes choses il avoit mis peine et fait grande diligence que ses besognes fussent prêtes, comme elles furent: car il avoit gens, nobles hommes et serviteurs, experts et usités à ce sçavoir faire. Si se fit armer et ordonner, son destrier roüan (bai) fut tiré hors de l'étable tout houssé d'orfevrerie moult riche. Et quant est de son heaume, il avoit au-dessus une très riche guimple, toute bordée et garnie de perles, à franges d'or battants jusques en terre, laquelle lui avoit été envoyée par l'une des deux dames. Et dessus son senestre · (gauche) bras, avoit une moult riche manche, où par-dessus avoit grand' foison de perles et pierres

que la seconde dame lui avoit envoyé, par un sien message secret. Certes, quand il fut monté son destrier, armé et habillé ainsi comme vous oyez, il ressembloit bien homme de haut affaire, à voir et à regarder ses manières et contenances. Ceux qui là étoient ne se pouvoient saouler de le garder, pour le plaisir qu'ils y prenoient.

Si vint l'heure qu'il fût temps de partir;et lui fut signifié qu'il dût venir; car c'étoit celui qui devoit tenir le pas; et que les rois et les reines de France et de Sicile, et les hautes princesses, dames et damoiselles étoient déjà toutes montées sur les hourts. (échafauds) Jacquet de Lalain, à qui il tardoit moult de partir, n'attendoit fors la venue de messeigneurs les comtes du Maine et de Saint-Pol, lesquels, le soir devant, lui avoient promis de l'accompagner et servir de ses trois premières lances, comme ils firent: car incontinent, sachant Jacquet de Lalain être prêt,se partirent de leurs logis et vinrent par devers lui, où ils le trouvèrent monté sur son destrier et appareillé pour partir. Si le saluèrent en souriant. Lors trompettes, clairons et ménestrels commencèrent à sonner et demener si grand bruit qu'à les ouir étoit grand'mélodie: et ainsi adextré (soutenu) des deux comtes du Maine et de Saint-Pol,se partit grandement accompagné de chevaliers et d'écuyers; et s'en vinrent en la place où les joûtes se devoient faire. Puis quand là fut venu, il vint passer devant les hourts. Si salua le roi, et toutes les dames dont il fut moult regardé,en spécial des deux dames, dont il étoit moult aimé; et si ne sçavoient rien l'une de

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