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NOTICE

SUR GEORGES CHASTELLAIN.

PENDANT tout le siècle qui s'écoula depuis la malheureuse bataille de Poitiers en 1356, jusqu'aux dix années qui précédèrent l'expulsion définitive des Anglais en 1453, la France, déchirée à la fois. et par les attaques des ennemis du dehors et par les querelles intestines du souverain avec les grands vassaux qui l'abandonnaient au moment du besoin ou se joignaient même aux Anglais contre lui, sans agriculture, sans industrie, sans commerce, sans capitale qui pût servir au moins de refuge aux arts et aux lettres naissantes, sans trève et sans repos, ne semblait plus conserver assez de vie pour pouvoir jamais se former en corps de nation forte et unie. Tandis que les Anglais occupaient ses plus belles provinces du sudonest et étendaient leur influence turbulente sur celles du nord, le roi de Navarre au midi s'avançait pour venger ses injures, et fort de ses anciens droits sur la Champagne enlevée à sa famille et de ses nouveaux droits sur le comté d'Évreux, prince français, il entourait les souverains français de sa puissance et de ses intrigues. Au nordouest les ducs de Bretagne alliés constants des Anglais aspiraient à l'indépendance, et les ducs de

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Bourgogne, souverains d'un état opulent, n'étaient déjà plus dépendants que de nom. Il y avait en France des Bourguignons, des Bretons, des Provençaux, des Navarrois, des Anglais; on se de-. mandait où étaient les Français.

De tous les grands vassaux les ducs de Bourgogne du sang des Valois, furent ceux qui conservèrent le plus long-temps leur influence audedans de la France et leur prépondérance dans leurs propres états. « Je veulx bien que chacun scaiche, disoit Philippe-le-Bon en 1464 au chancelier de France, que s'y j'euisse voullu je feusse roi. » C'est à lui surtout que l'empereur Constantin Paléologue, menacé de près par les Turcs, s'adressait pour réclamer des secours. Les nombreux vaisseaux des marchands flamands qui parcouraient les mers du Levant () l'avaient fait placer par les peuples de l'orient au rang des plus puissants souverains et on le connaissait sous le nom de Grand duc de l'occident. Si ce duché ne devint pas un royaume à la faveur des troubles qui désolaient les états du suzerain, il faut moins l'attribuer peut-être à la jolousie de l'empereur d'Allemagne et du roi de France qu'à l'esprit de résistance qui animait encore les villes opulentes de la Flandre. Malgré tous les efforts des ducs de

(1) Mémoires de J. du Clercq L. 5 Ch. 15. J. A. B.

(2) Voyez un excellent mémoire de Mr. de Reiffenberg sur l'état de la population, des fabriques et manufactures et du commerce dans les provinces des Pays-Bas, pendant le 15e. et le 16e. siècle. Ce mémoire, couronné par l'académie royale de Bruxelles, se trouve dans la collection des Mémoires des prix pour 1820. J. A. B.

Bourgogne pour anéantir les priviléges des Flamands, les villes de Gand, de Bruges, de Liége, de Malines, de Dordrecht, opposèrent constamment une digue puissante aux empiétements du despotisme ducal. « Ce nom de roi, disait dans le siècle suivant Guillaume de Nassau dans son apologie, en parlant de Philippe II, ce nom de roi m'est inconnu... Je ne connais en ce pays qu'un duc et un comte duquel la puissance est limitée selon nos priviléges, lesquels il a jurés à sa joyeuse entrée. » Souvent comprimées dans leurs révoltes par le secours que prêtaient les rois de France à leurs ducs, elles n'en conservaient pas moins toujours des habitudes de liberté qui donnaient une grande impulsion à tous les développements intellectuels de leurs habitants. Le commerce, presque dégagé de toutes entraves, avait élevé les villes manufacturières de Bruges, de Lille et de Dinant au plus haut degré de splendeur ("), et malgré la prodigalité désordonnée du

(1) Cette opulence entraînait souvent les ducs de Bourgogne à des exactions aux quelles il n'était pas toujours aisé de résister; ou en jugera par le fait suivant raconté par J. du Clercq (L. 3 Ch. 27)

« En icelui temps (1457) un Pelletier nommé Jean Pinte étant mort, le lendemain matin, ainsi que Jean Pinte fut mis en terre, sa femme, la quelle étoit jeune femme de trente-quatre ans ou environ, fiança et épousa ce propre jour un nommé Willemet de Noeuville, Pelletier aussi, de l'âge de vingt ans ou environ, et la nuit ensuivant coucha avec son dit second mari. Je mets ce par écrit, pour tant que comme je crois, on a vu peu de femmes soi plustôt remarier; combien que en aucunes manières on la pourroit excuser, car en ce temps, par tout le pays du duc de Bourgogne, sitôt qu'il advenoit que aucuns marchands, labouriers, et aucune fois bourgeois d'une bonne vile, ou officier trépassoit de ce siècle, qui fût riche, et il délaissât sa

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souverain et les pillages des gens de guerre, une industrie active réparait à mesure les sottises du gouvernement. Le despotisme n'était pas moins destructeur dans les autres pays voisins et on n'avait pas les mêmes ressources pour réparer ses ravages. « En Flandre, dit Meyer, l'opulence régnait partout et tous les genres de commerce avaient pris une grande extension. La France était au contraire si désolée que non-seulement on n'y ensemençait par les terres, mais que les bruyères et les mauvaises herbes croissant partout lui donnaient l'apparence d'une immense forêt d'où sortaient comme d'un sûr repaire les loups et d'autres bêtes féroces pour attaquer et emporter les hommes. Un grand nombre de marchands de la ville même de Paris avaient suivi le duc de Bourgogne en Flandre. »

Pendant que l'industrie commerciale des Flamands fournissait à Philippe-le-Bon les moyens de satisfaire son goût pour la magnificence, l'institution de l'ordre de la Toison-d'Or, fondé par lui

femme riche, tantôt le dit duc, son fils, ou autres de ses pays, vouloient marier ces dites veuves à leurs archers ou autres leurs serviteurs; et falloit que les dites veuves, si elles se vouloient marier, qu'elles épousassent ceux que leurs seigneurs leur vouloient bailler, ou fissent tant par argent, au moins tant à ceux qui les vouloient avoir comme à ceux qui gouvernoient les seigneurs, et aucunes fois aux seigneurs mêmes, que ils souffrissent que elles se mariassent à leur gré; et encore étoient elles les plus heureuses qui par force d'amis et d'argent en pouvoient être délivrées car le plus souvent, voulussent ou non, si elles se vouloient marier, il falloit qu'elles prissent ceux que les seigneurs leur vou'oient bailler. Et pareillement, quand un homme étoit riche et il avoit une fille à marier, s'il ne la marioit bien jeune, il étoit travaillé (tourmenté), comme est dit ci-dessus. J. A. B.

(1) Annales Flandriæ Lib. XVI. fol. 273 verso, à l'année 1429. J. A. B.

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