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le 10 Janvier 1429 à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal, en donnant un lustre nouveau à la chevalerie faisait de sa cour le rendezvous de tous ceux qui cherchaient à retrouver dans ces jeux et l'image et la gloire des véritables faits de guerre. Dans toutes les fêtes, dans toutes les occasions solennelles, des joûtes étaient proclamées, et les nouveaux chevaliers de la Toison-d'Or, ainsi leurs nombreux émules, se que présentaient pour rompre quelque lance en l'honneur des belles. J. Duclercq raconte dans ses intéressants mémoires (") un fait qui peint parfaitement les habitudes de cette cour galante et guerrière.

« La comtesse de Nevers, dit-il, après avoir été festoyée dix jours durant à Lille par des joûtes et courses de lance se partit le 11 de la dite ville pour aller à Englemoustier où étoit la comtesse d'Étampes sa belle sœur; et la convoya (conduisit) le duc Philippe, et Adolphe de Clèves avec Ini sixième, armé au blanc, chacun ayant sa lance derrière; et comme ils la convoyoient, environ un quart de lieue près la dite ville, à un poncelet (petit pont), vinrent à l'encontre des dites dames Charles comte de Charolois, fils du dit duc, et messire Anthoine, bâtard du dit duc, eux sixièmes armés tout au clair; lesquels vinrent au dit poncelet et demandèrent au dit Adolphe qui il étoit et où il menoit ces dames; lequel leur répondit qu'il ne leur chaussit (importât), et qu'ils

(1) Livre 3. Ch. 36. Les mémoires de J. du Clercq formeront trois volumes de cette série de ma collection. J. A. B.

les laissassent passer leur chemin, car ils ne demandoient rien. Lors le dit Charles, comte de Charolois, lui et ses gens, avalèrent (abaissèrent) leurs lances, et le dit Adolphe pareillement, et férirent ensemble; et rompit chacun sa lance; puis saisirent leurs épées, lesquelles étoient rabatues et tournantes, et illecq (là), comme en un tournoi, traitèrent tant l'un l'autre que chacun se recrandesist (rendit); et quand fut recrant (rendu), ils ôtèrent leurs heaumes, et vinrent aux dames, et les mirent en un très bel hôtel assez près du dit pont, qui étoit au frère maître Betremy, à la Truye, jadis maître de la chambre des comptes du dit duc, auquel lieu le dit comte de Charolois avoit fait appointer un moult riche manger; et après manger, chantèrent et dansèrent; et après tout ce, les dames remontèrent à cheval; et illecq (là) prit congé le duc aux dames et s'en retourna à Lille, et les dames et le dit comte de Nevers et comte d'Étampes à Englemoustier. »

Pour que ces beaux coups de lance ne restassent pas en oubli, parmi les quatre grands officiers de l'ordre de la Toison-d'Or, deux, le secrétaire ou greffier et le roi d'armes, étaient spécialement chargés de les enregistrer et de les chroniser. Jean le Febvre seigneur de Saint-Remy fut le premier roi d'armes de la Toison-d'Or, et il nous a laissé des mémoires fort curieux sur son temps. (1). Son successeur Georges Chastellain, auteur de cette chronique du chevalier de Lalain, acquit une bien plus haute célébrité encore. II

(1)Ces mémoires font partie de cette collection. J. A. B.

n'est pas un écrivain du temps qui n'en fasse les plus brillants éloges.

<< Hélas, mon prince, monseigneur et mon maître, dit Olivier de la Marche en s'adressant à l'archiduc Philippe, je plains et regrette, pour mettre ces points jusqu'à votre connaissance, que je suis lai, non clerc, de petit entendement et nud langage et que je ne puis avoir le stile et le subtil parler de messire Georges Chastellain, trépassé, chevalier de ma connaissance, natif Flamand, toutefois mettant par écrit en langage François, et qui tant a fait de belles et fructueuse choses de mon temps, que ses œuvres, ses faits, et la subtilité de son parler lui donneront plus de gloire et de recommandation à cent ans à venir que aujourd'hui.

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Le Febvre de Saint Remy ""), Molinet (3), Robertel, Geoffroy de Tory Pierre Fabry (5). Guillaume Crétin "); Jean le Maire Belge, Étienne Pasquier (8), Pontus Heuterus (9), Aubert le Mire("),

(1) Introduction des mémoires d'Olivier de la Marche. J. A. B. (2) Dans ses mémoires. J. A. B.

(3) Dans sa chronique restée manuscrite mais dont M. de Reiffenberg va donner une édition avec l'exactitude et la saine critique qui le caractérisent. J. A. B.

(4) Dans son livre intitulé le Champ Fleury. J. A. B.

(5) Dans son prologue sur l'art de pleine rhétorique. J. A. B.

(6) Dans sa Déploration sur le trépas d'Ockegem trésorier de St. Martin de Tours. J. A. B.

(7) Dans son traité intitulé La concorde des deux langages François et Toscan, imprimé à Paris en 1528. J. A. B.

(8) Recherches de la France, liv. 7, chap. 8. J. A. B.

(9) Res Burgundicæ lib. 4, à Philippo bono, sub finem. J. A. B. (10) In Elogiis Belgicis. J. A. B.

Valère André, et en un mot tous les écrivains belges de son siècle et tous ceux qui ont écrit sur l'état de la Belgique sous Philippe-le-Bon se sont empressés de placer Chastellain au premier rang des écrivains. Et cependant cet écrivain si célèbre de son temps est complétement inconnu, même de nom, aujourd'hui. En lisant ce qui nous restait de lui je me suis convaincu qu'il ne méritait pas un aussi complet oubli. Le public français va être à même d'en juger par La Chronique de Jacques de Lalain et par une partie de la Chronique de Philippe-le-Bon qui feront partie de cette collection.

Georges Chastellain, dit l'Aventureux, naquit à Gand en 1404. Il vécut dans la familiarité des plus illustres chevaliers de la cour de Bourgogne et ses mémoires sont remplis du récit des évènements auxquels il s'est trouvé mêlé et dont il a reçu personnellement la confidence. Après avoir long-temps fait la guerre il entra au service du duc Philippe de Bourgogne en qualité de panetier et de conseiller intime. En 1468 il succèda à Le Febvre de Saint-Remy dans la charge de premier roi d'armes de la Toison-d'Or. En 1473, lors du chapitre général de l'ordre de la Toisond'Or célébré à Valenciennes, il reçut de Charlesle-Téméraire la dignité de chevalier et le titre d'Indiciaire ou historiographe de l'ordre. Il mourut pendant le siége de la ville de Bruges en 1474 et fut enterré dans l'église de La Salle-le-Comte à Valenciennes où on lisait autrefois son épitaphe conçue ainsi qu'il suit et attachée dans un tableau contre un pilier.

(1) In Bibliothecâ Belgicâ. J. A. B.

Ci dessous gist, d'excellente mémoire, George Chastellain, chevalier, lequel. après avoir circuy diverses régions et en icelles exercé ses armes militaires, en eage florissant, au pouvoir de ses sens, s'est venu rendre au service du très victorieux Philippe duc de Bourgogne, en estat de panetier et privé conseil; et au reste de vieillard a prins si glorieuse occupation à réduire les gestes de ce feu tant triomphant prince par tel ordre et diligence, que à la récitation de ses escrits fleuriront en perpetuelle recordation ès cœurs des nobles et clairs engins. Vive et règne son esprit en éternelle félicité ! Et au comble de LXX ans décéda de ce siècle le XX de Mars MCDLXXIV.

Priez Dieu pour son áme.

Jean le Maire, neveu de J. Molinet et secrétaire de Marguerite d'Autriche a composé sur Georges Chastellain et sur J. Molinet son oncle l'épitaphe suivante.

ÉPITAPHE.

EN MANIÈRE DE DIALOGUE.

De feus, de mémoire éternelle, messire Georges Chastellain autrement dit l'adventureux, et maître Jean Molinet chanoine de Vallenciennes, jadis indiciaire et historiographe de la très illustre maison de Bourgogne, en vers Alexandrins interrogatifs et responsifs.

Dis mois qui gist ici sans que point tu m'abuses? Cy gist l'amy privé d'Appolo et des Muses. Quels choses avec luy sont mortes et transies? Dits subtils, savoureux, jeux, ris et facécies. - Qui est ce qui pour luy de pleurer continue ? - C'est rhétorique en chef qui fort s'en diminue.

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