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Le même sieur de Blathwayt, eut la bonté d'écrire au nom du Roy son Maître, et par son ordre exprès au R. P. Renier Payez (1), commissaire général de notre Ordre à Louvain (), pour le prier de me donner une Obéissance pour les Missions de l'Amérique, et le temps qui seroit nécessaire pour demeurer dans telle des Provinces Unies, où je trouverois à propos de me rendre pour travailler aux mémoires de ma découverte ».

Vu la situation politique du pays belge troublé par les hostilités et regorgeant de soldats, le P. Commissaire paraît être resté perplexe et préféra temporiser.

La requête royale restant sans issue, le P. Hennepin, voulant dégager la responsabilité de son supérieur, se rendit chez l'internonce à Bruxelles (3), et obtint par cette entremise, une pancarte officielle du R.me P. Général, Bonaventure Pcërius (1694-97), datée le 31 mars 1696. Muni de ses patentes, Hennepin se rendit au couvent d'Anvers (*), pour y attendre les dépêches nécessaires au voyage ultérieur. Grâce à l'intervention du baron de Malqueneck, favori de son Altesse Electorale de Bavière, et du sieur Coxis, chef président pour S. M. Catholique, Hennepin reçut de par le roi d'Angleterre les moyens de gagner la Hollande, pour y surveiller l'impression de ses notes et se préparer à la traversée (°).

Les conditions peu favorables à son dessein l'éloignèrent d'Amsterdam et le décidèrent à se fixer temporairement à Utrecht, sous la protection du comte d'Atholone, général de la cavalerie des Etats. C'est à Utrecht que parurent les deux ouvrages consécutifs la Nouvelle Découverte en 1697 et le Nouveau Voyage en 1698; l'un et l'autre décrits plus bas, à la partie bibliographique.

La vie civile d'Hennepin finit ici brusquement, comme un coup de théâtre. La dernière date connue se rapporte à son séjour à Rome, au couvent de l'Ara coeli, où venait d'avoir lieu le chapitre général de la Pentecôte 1700, sous la présidence du Cardinal Fabricius Spada, protecteur de l'Ordre. Le nouveau Général, P. Louis de Torre,

(1) Revère de Payez, dit fautivement la ND: Avis, f. 11 r.

(2) Renier Payez, ancien provincial, fut Commissaire de la Nation Germano-belge à partir du 17 juin 1691 jusqu'au 18 mai 1697. Dirks, Hist. litt. 383-4. Il est mort le 16 avril 1716.

(8) La seconde période de la Nonciature de Bruxelles (1632-1725) ne comprend que des Internonces. De 1690-6 Giulio Piazza occupait cette charge et de 1696-8 Orazio Filippo Spada; L. Van der Essen, Nonciature de Flandre, I, Bruxelles 1924, p. XLVII.

(4) Le couvent d'Anvers, comme celui de Louvain, appartenait à la Province flamande de la Basse-Germanie.

(5) ND: Avis, 23s.

mourut dès le 13 octobre 1700; on désigna à sa place comme Vicaire général, Ildephonse de Biezma, le 5 décembre suivant. Le 23 janvier 1702 Biezma fut nommé Ministre général (1).

Ces événements purent retarder l'éxécution du plan d'Hennepin et jettent une certaine lumière sur sa présence à Rome vers cette époque. Nous savons en effet qu'il insistait depuis longtemps auprès du Cardinal Protecteur et des supérieurs majeurs pour obtenir la permission de rentrer au Canada, sa chère mission (1). A côté de ces points acquis, il y en a un autre non moins certain qui pourrait fournir la clef de la triste énigme dont semblent se prévaloir les détracteurs d'Hennepin.

Nous estimons pouvoir escompter l'indulgence du lecteur soucieux de l'entière vérité, et donnons l'extrait suivant du Rapport sur les Archives de France relatives à l'histoire du Canada (2).

Il conste par ces documents officiels que dix mois après l'octroi donné à Hennepin de passer à Québec, le Roi très-chrétien ordonne de s'assurer de ce religieux Flamand (sic). Pontchartrain donne une permission chiffrée, de pour qu'elle soit divulguée et pour mettre à couvert l'autorité royale. Le rapprochement des dates pourrait faire aboutir à une révélation inattendue. Les archives du temps ne peuvent rester muettes, semble-t-il, sur un cas d'une telle gravité.

Voici quelques textes relevés dans un dossier manuscrit des Archives nationales (3), qui nous font connaître une démarche, jusqu'à présent ignorée, du P. Hennepin auprès de l'ambassadeur de France à La Haye, en 1698, M. de Bonrepaus.

1. C'est d'abord une lettre de M. de Bonrepaus à M. de Pontchartrain, datée de La Haye, le 26 juin 1698 (*):

< Vous sçavez, Monsieur, qui est le P. Hennepin, Récollet, et autrefois missionnaire au Canada. Il a fait la relation de la Louisiane, et étant repassé dans la Flandre Espagnole dont il est originaire, son inquiétude le porta à chercher parmi les Anglais et les Hollandais une occasion de repasser dans l'Amérique Septentrionale. Le Roy d'Angleterre reçut. favorablement ses propositions et l'a entretenu jusqu'ici à Utrecht, où il a écrit deux volumes touchant la découverte du fleuve Meschassipi.

(1) P. Van den Haute, Brevis hist. ord. Fr. Minorum, Romae [1777], 202, 342. (1) La présence du P. Hennepin à Rome nous est connue par une lettre de l'abbé Dubosc: voir p. 331.

(2) Par Edmond Roy, Ottawa 1911, in-8°, 1093 pp.; dans les Publications des Archives du Canada, no 6. Nous devons la communication de cet important rapport à l'obligeance du R. P. Théodoric Paré, O. F. M., à Montréal. Le savant religieux veuille recevoir nos remerciements fraternels.

(3) Monuments historiques K. 1349: IX: Négociations, Hollande.

(4) Ibid. n. 75.

Archivum Franciscanum Historicum. AN. XVIII.

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Il a dédié son livre au Roy d'Angleterre avec des Epitres liminaires fort bizarres pour un religieux, et il fait actuellement imprimer un troisième volume de découvertes qu'il prétend avoir faites dans cette partie du monde, mais la même inquiétude qui l'a fait sortir de France, lui a fait désirer à présent d'y rentrer. Il m'en est venu faire la proposition et je lui ai dit simplement que je me donnerais l'honneur de vous escrire et je le fais, Monsieur, non pas que je crois que cet homme vous puisse être fort nécessaire pour l'avancement des colonies de l'Amérique septentrionale, mais j'ay cru que vous ne seriez peut-être pas fâché d'oster cet homme de ce pais et de l'envoyer à Quebecq, où il y a plusieurs religieux de son ordre et où M. le Comte de Frontenac le pourrait retenir sous prétexte de l'employer aux missions de Quebecq, et l'empescher par ce moyen de revenir en ce pais exciter les Anglais et les Hollandais à faire de nouveaux establissements dans l'Amérique méridionale [sic pour septentrionale]. J'attendrai vos ordres, Monsieur, sur cela, et j'observeray icy cependant le secret qu'il m'a recommandé, et que je trouve moy-mesme qu'il est nécessaire de garder ».

II. — Pontchartrain répond à Bonrepaus, de Versailles le 2 juillet 1698 (1):

Je rendray compte à Sa Majesté de ce que vous prenez la peine de m'escrire au sujet du P. Hennepin, récollé (2) et vous feray savoir ses intentions sur son sujet... ».

«

III.

Le 9 juillet 1698 il lui écrit de nouveau (3):

J'ai rendu compte au Roi de ce que vous avez pris la peine de m'escrire au sujet du P. Hennepin. La Majesté veut bien lui permettre de revenir en France et elle luy accordera la permission de retourner en Amérique septentrionale comme il le désire ... » .

IV. Le 17 juillet 1698 Bonrepaus répond de La Haye à Pontchartrain():

«... depuis que je me suis donné l'honneur de vous escrire, Monsieur, au sujet du P. Hennepin, il m'est venu trouver et m'a fait voir des lettres qu'on lui écrivait d'Angleterre, par les quelles il parait qu'on y forme une compagnie pour la rivière de Mississipi et qu'on lui demande des mémoires sur cela; mais comme cet homme est fort inquiet, il me fit connaître le désir qu'il avait d'aller faire un tour en Italie et qu'il en trouverait l'occasion par un capitaine d'un grand vaisseau de Toscane, qui est à Amsterdam, qui lui offrait de le prendre comme aumônier de son vaisseau. J'ai cru ne le devoir point détourner de prendre ce parti, cet homme n'estant point nécessaire au Canada, et mon intention ayant été seulement de l'oster de ce païs et de l'occasion d'exciter les Anglais à faire de nouveaux établissements dans l'Amérique septentrionale. Il m'a cependant dit qu'il repasserait en France

(1) Ibid. n. 85.

pour ceux qui suivent.

(2) Les passages soulignés sont chiffrés. Il en est ainsi (4) Ibid. n. 89.

(3) Ibid. n. 88.

pour aller au Canada dès que je lui manderais que vous l'aviez agréable, et il m'a laissé son adresse; mais cet homme ne sait rien de ces païs là que vous ne puissiez savoir mieux que lui par les mémoires de feu M. de la Salle et de plusieurs autres personnes qui sont encore dans le service et qui ont été employez dans cette découverte... » .

༢.

Le 23 juillet 1698, Pontchartrain écrit de Versailles à Bonrepaus ('):

Je vous ay escrit que le Roy trouvait bon que vous accordassiez au Père Hennepin, récollet, la permission de revenir en France et qu'elle le ferait passer à Quebecq par la première occasion; mais comme il n'est question que de lui oster les occasions d'exciter les Anglais et les Hollandais d'aller chercher le Mississipi, il lui importe peu qu'il aille en Italie ou en Canada, ne pouvant nous rien donner que nous soyons en état d'avoir beaucoup plus sûrement par d'autres canaux que le sien.

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Il suffit de constater que cette série de textes, en même temps qu'elle révèle un petit épisode de la vie très mouvementée du religieux récollet, jette une certaine lumière sur d'autres épisodes de sa vagabonde existence. Le P. Hennepin, qu'on supposait s'être retiré à la fin de ses jours, a bien habité ce pays de 1697 à 1700, mais une lettre de J. B. Dubosc à Thoinard en date de Rome, le 1er mars 1701, nous apprend qu'alors ce religieux se trouvait dans cette ville au couvent de l'Ara Coeli, et qu'il aurait emberluquoqué le cardinal Spada, lequel lui faisait le fonds d'une nouvelle mission pour les pays mississipiens» (2).

«

Après s'être entretenu des faits et gestes d'Hennepin, Louis XIV prit, à la fin du mois de mai 1699, la décision de le faire arrêter par les autorités de la Nouvelle-France, si jamais il débarquait dans la colonie. Versailles, le 27 mai 1699: lettre du roi à Callières et Champigny:

Sa Majesté a été informée que le P. Hennepin, récollet flamand, qui a esté autrefois au Canada, voudrait y retourner. Comme Sa Majesté n'est pas satisfaite de la conduite de ce religieux, Elle veut qu'ils s'assurent de luy, s'il y repasse et qu'ils l'adressent à l'Intendant de Rochefort, à qui Sa Majesté fera savoir ses intentions sur son sujet » (3).

C'est Mr. Henri Froidevaux qui, le premier () a signalé les documents que nous donnons ci-dessus.

Ce tournant de l'histoire dans la vie du P. Hennepin serait un mystère profond, si celui-la même, qui en fut la victime, ne nous avait

(1) Ibid. n. 90. () Brunet, Manuel de libraire, III, Paris 1862, Ve édit., 99. (3) Archives des colonies, B. 20, fol. 199.

(4) Dans le Journal de la Société des Américanistes de Paris, nouv. série, t. 2, 1905, 281-7: Un épisode ignoré de la vie du P. Hennepin.

fourni la clef de l'énigme. Lasalle, rentré en France en 1683, l'année même de la publication du livre d'Hennepin:

< fit (1) connaître (au P. Hyac. Le Fèvre), comme je l'ay seu depuis, qu'il était fort mal satisfait de ce que je l'avois prévenu dans la Découverte du Fleuve Meschasipi depuis sa source jusque au Golphe de Mexique, dans le voyage que j'y avois fait en l'an 1680, deux ans avant celuy du dit sieur de la Salle. ... Le P. Hyacinthe dissimula l'entretien, qu'il avait eu avec le dit Sieur de la Salle, dans lequel il avoit fait paroitre toute son animosité contre moy. Pendant que j'étais Gardien des Récollects de Renti en Artois, ... il me pria de retourner en Canada seulement pour un an, disant que M. le Comte de Frontenac (*), qui en est le Vice-Roy, le souhaitoit. Je luy répondis que j'avois essuyé assez de fatigues et de dangers pendant onze ans, que j'avois demeuré dans l'Amérique (3). Mais parce qu'il me pressoit fort instamment de faire ce voyage, je luy répliquai que les loix particulières de notre ordre ne nous obligeoient point d'aller aux Missions d'outre-mer contre notre sentiment (*), et qu'ainsi je le priois de me laisser dans ma liberté, puisque j'avois déjà passé tant d'années dans le Nouveau-Monde. Depuis ce refus le P. Hyacinthe m'a toujours été opposé en toutes choses. Il m'empêcha d'accompagner le R. P. Alexandre Voile, Pro-Ministre des Récollects d'Artois au chapitre général tenu à Rome (5). Il me fit ensuite retourner à nôtre couvent de Saint-Omer, et du depuis il me fit donner une obeissance par un ordre prétendu, et non écrit de M. de Louvois (“), premier Ministre d'Etat, qu'on a fait même parler après sa mort, par lequel il m'étoit commandé de me rendre sur les terres du Roy d'Espagne, mon souverain, à quoy j'obéis ponctuellement ».

Cette citation empruntée au deuxième ouvrage d'Hennepin, en dit long. De fait la publication de la Description de la Louisiane n'a pu manquer d'être intempestive aux yeux de Lasalle. Celui-ci vit tout-àcoup ses projets traversés, ses plans troublés. En effet jusqu'en 1686 il sut garder le secret concernant ses découvertes encore discutables ('). Déjà en 1685 les Jésuites avaient proposé de reconnaître le Mississipi

(1) ND: Avis, f. 6v.

(2) Celui-ci... a été de mon temps le vray Père de nos Récollects, qu'il soutenait dans nos missions du Canada; NV 382; voir aussi ND 62 et DL 5. (3) Cet espace de onze ou de quinze ans consacrés à sa mission d'Amérique se trouve expliqué dans le NV. Préf. f. 5-5v.

(4) Voir p. 325.

(5) Regula bullata O. F. M., cap. XII.

() Pour apprécier Louvois, il suffit de consulter son biographe: C. Rousset, Histoire de Louvois, I, 120. Louvois ordonna de couper les forêts des moines « gens inutiles, et pour la plupart fort affectionnés à nos ennemis... » ; et il ne faut pas songer à gagner la Flandre, sans troupes ni canons, en négociant avec des moines et accordant des privilèges. Louvois mourut le 28 octobre 1685.

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() Lettre de Mr. Tronson, supérieur de Saint Sulpice à l'abbé Belmont; avril 1686; Margry, Mémoires, III, 578.

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