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dans le Nord de la France, et à Laon, en particulier, dès les premières années du XIIe siècle (1).

Chose assez singulière, le Roman du Renart en langue romane, ce poëme universel traduit et imprimé dans toutes les langues, et auquel le génie de Goëthe donna, à la fin du XVIIIe siècle, une jeunesse nouvelle, en parant d'une forme moderne la version allemande (2), fut publié pour la première fois en France en 1826 par les soins de M. Méon qui avait précédemment donné une bonne édition du Roman de la Rose.

Dans les quatre volumes édités par M. Méon sont comprises, non seulement toutes les branches du Roman du Renart proprement dit, mais encore deux œuvres du XIIIe siècle qui se rattachent au roman principal, ce sont: Le couronnement de Renart et Renart-le-Nouvel.

Ces deux ouvrages complémentaires ont eu pour auteurs deux habitants de la Flandre originaires des provinces dans lesquelles l'idiome populaire parlé fut toujours la langue romane (dialecte picard).

Le nom de l'auteur du Couronnement de Renart est resté inconnu jusqu'ici, mais sa nationalité est attestée par le prologue de son œuvre, composée, dit-il, en l'honneur du comte Guillaume, fils de Marguerite de Flandre, et surtout par le vers où il appelle Guillaume son bon seigneur (3).

Quant à Renart-le-Nouvel, il a été écrit dans les

() Voir sur le Roman du Renart, en outre les ouvrages cités dans les notes précédentes, Fauriel, les Romans du Renart. (Histoire littéraire de la France. T. XXII). Raynouart. (Journal des Savants, années 1826-1827 et 1834).

A. Rothe, les Romans du Renart. Paris, 1845.

Paulin Paris, les Aventures de Maitre Renart. Paris, 1860.

Ernest Martin, Examen critique des manuscrits du Roman du Renart. Båle, 1872.

(2) Le Reinecke Fuchs de Goëthe a été traduit en français par M. Ed. Grenier, et publié en 1861 J. Hetzel et Jamar, avec les illustrations de Kaulbach.

(3) Édition Méon, t. IV, vers 3259. On peut lire dans le livre de M. Rothe, déjà cité, un très-bon travail d'analyse sur le Couronnement du Renart, œuvre qui n'est pas sans analogie avec Renart-le-Nouvel.

dernières années du XIIIe siècle, par Jacquemars Giélée, de Lille en Flandre.

On ne sait rien sur la vie de ce trouvère, qui a lui-même révélé sa nationalité en l'inscrivant dans les derniers vers de son poëme. En compulsant les archives de la collégiale de Saint-Pierre, de Lille, nous avons pourtant pu constater que Jacquemars Giélée était encore vivant en 1299, car nous avons trouvé, sur un fragment de compte (1), mention qui indique que le poète occupait, pendant les années 1297 à 1299, une maison qui était grevée d'une rente en faveur de la fabrique. La ville de Lille était à cette époque sous la domination directe de Philippe-le-Bel, en raison de la capitulation signée le 29 avril 1297, et nous pouvons en conclure que Giélée n'avait rien à redouter de la part du roi de France. On verra plus loin pourquoi nous faisons cette observation.

Sauf ce détail, qui n'est pas sans importance, la biographie de Jacquemars Giélée, comme celle d'Alain de Lille, le Docteur universel, qui écrivit dans la seconde moitié du XIIe siècle et qui mourut dans les premières années du XIII, est complètement inconnue (2); et nous ne pouvons que déplorer le mystère qui entoure l'existence des deux écrivains célèbres que Lille vit naître au Moyen-Age(). De tous les auteurs français qui ont collaboré à cet ensemble de poésies diverses connues sous le titre de

(4)

(1) Computatio Jacobi Clerici de Trelia de receptis et datis ad opus fabrice ecclesie Sancti Petri Insulensis a vigilia Sancti Thome apostoli (20 décembre) M. CC. nonagesimi septimi usque festum beati Joannis Baptiste (24 juin) anni M. CC. nonagesimi noni.

Redditus :

A Jacobo dicto Giélée X3. (Pour quatre termes de six mois de la Nativité de l'année 1297 à la Saint-Pierre 4299). Arch. dép. fonds. de Saint-Pierre, carton No 5.

(2) Fauquet, La Croix du Maine, Pacquot, Prosper Marchand mentionnent l'œuvre de J. Giélée, mais ne donnent aucun renseignement sur l'auteur.

(3) Voir dans les Mémoires de la Société des Sciences de Lille (année 1849), le travail critique remarquable que M. Àlb. Dupuis a composé sur les œuvres d'Alain.

(4) Nous appelons Giélée un poëte français, à cause de la langue dans laquelle il écrivit; le comté de Flandre était du reste un des grands fiefs du royaume de France, et la Flandre Wallonne ne connut jamais d'autre langue que la langue française.

Roman du Renart, nous ferons remarquer que Jacquemars Giélée est le seul, comme le constate M. Raynouard ("), qui ait obtenu l'honneur d'être translaté en prose, et imprimé dans cette forme vers les premières années du XVIe siècle.

En effet, à une date non exactement précisée, Jean Tennesax fit paraître une imitation de l'œuvre de notre compatriote sous ce titre : Le Livre de Maistre Reynart et de dame Hersaint, sa feme, livre plaisant et facétieux contenant maintz propos et subtils passages couverts et cellez pour monstrer les condicions et meurs de plusieurs estats et offices (2).

Ce livre obtint un grand succès, nous en avons pour preuves les éditions successives parues au XVIe siècle, à Paris, à Lyon et à Rouen; mais ce succès ne servit en aucune façon à faire connaître Jacquemars Giélée, par la raison que J. Tennesax s'appropria sans scrupule l'œuvre du poëte lillois et la publia sous son nom, sans indiquer qu'il ne faisait que traduire en prose une satire rimée du XIIIe siècle.

Jean Tennesax, comme tant d'autres, se crut autorisé à piller un auteur inédit, mort depuis deux cents

ans.

Si l'esprit que l'écrivain parisien a prodigué dans son imitation plaide du reste en sa faveur les circonstances atténuantes, le plagiat n'en est pas moins complet et manifeste. Tennesax a suivi pas à pas le plan de Giélée; mais, moins audacieux que l'auteur du XIII° siècle, il a

(1) Journal des Savants, années 1826 à 1827.

(2) Paris, Philippe-le-Noir, libraire, en la Grande-Rue-Saint-Jacques, à l'enseigne de la Rose Blanche couronnée. Petit in-4o Goth. L'exemplaire que possède la bibliothèque de l'arsenal (No 6563 ter) porte au dernier feuillet: Imprimé à Paris, l'an quinze cent seize, le XXVIII' jour de mars.

Brunet signale une édi'ion à Lyon, chez Oliv. Arnoulet, 1528, et deux autres éditions du même livre, sous ce titre : Le docteur en malice, maistre Reynart démontrant les ruses et cautelles qu'il use envers les personnes. La première, Rouen, 1550, la seconde chez Nicolas Buffet, 1554.

par prudence, lui qui écrivait à l'aurore de la Réforme, supprimé certains passages trop hardis, selon lui: par exemple, la scène de l'excommunication de Renard; et il a remplacé par des railleries les attaques directes du croyant indigné. C'est que certaines libertés, tolérées au XIII° siècle, auraient pu, au XVI°, entraîner pour leur auteur une accusation d'hérésie (").

Grâce à Tennesax, l'allégorie de Renart-le-Nouvel, qui avait amusé le Moyen-Age, reprit au XVIe siècle une nouvelle jeunesse, et conquit une nouvelle popularité.

A la même époque Jehan Bouchet, poëte poitevin, composa la satire intitulée : Les Regnars traversant les périlleuses voies des folles siances du monde, que l'imprimeur Vérard publia à Paris (2), en l'attribuant à Sébastien Brandt, dont le livre la Nef des Fols, traduit de l'allemand en latin et en français, avait obtenu un succès retentissant (3)

Enfin, après plus de cinq siècles d'oubli, l'œuvre de Jacquemars Giélée obtint, elle aussi, les honneurs de l'impression, et fut comprise, nous l'avons dit, dans l'édition des différents poëmes du Renart français, que M. Méon publia en 1862), d'après les manuscrits de la bibliothèque nationale.

Cette riche collection possède quatre reproductions de

(1) Le Renard flamand, Reinaert de Vos figure dans l'Index librorum prohibitorum dressé par les pères du Concile de Trente. (Du Méril déjà cité, p. 134; note 4). Nous ajouterons que M. Colin de Plancy a publié un Roman de Renart expurgé dans lequel il a fait figurer l'œuvre de Jacquemars Giélée, revue et corrigée. M. Charles Potvin dans des conférences littéraires qu'il a données à Bruxelles, a fait justice de ces mutilations inintelligentes. Les conférences de M. Potvin ont été publiées. (Bruxelles, A. Lacroix, 1870).

(2) Nous avons vu à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à Paris, une édition de ce livre imprimé par Philippe-le-Noir, le 23 juillet 4522 ( No Y 526 25 ), et une autre imprimée par Denis Janot, le 25 janvier 4530.

(3) Voir Brunet pour les différentes éditions de S. Brandt.

(4) Le Roman du Renart, publié d'après les manuscrits de la bibliothèque du roi, par M. Méon, Paris, Treuttel et Wurtz. MDCCCXXVI.

l'œuvre de Jacquemars Giélée qui présentent entre elles quelques variantes, publiées dans le volume complémentaire donné par M. Chabaille en 1835 (2).

Lorsque parut l'édition de M. Méon les manuscrits n'étant connus que de quelques érudits, ce fut comme une véritable révélation littéraire sur les mœurs et les habitudes du Moyen-Age, et la critique se hâta d'analyser et de commenter le roman satirique offert à sa curiosité.

Parmi les articles inspirés par le Roman du Renart, il faut citer ceux que M. Saint-Marc Girardin écrivit dans le Journal des Débats (3); hâtons-nous de le dire, ce fut surtout Renart-le-Nouvel, c'est-à-dire l'œuvre de notre concitoyen, qui attira et qui fixa l'attention de cet écrivain. Nous ne discuterons pas l'opinion acceptée sans examen par M. Saint-Marc Girardin, suivant laquelle Isengrin, le Loup, représenterait allégoriquement un certain Swentebold, roi de Lorraine, et Le Goupil, Renart, le comte Regnier (Reginaldus).

Ces explications, mises en avant à propos de certaines branches allemandes ou flamandes du Roman du Renart, ont été péremptoirement réfutées (), et ne pourraient dans aucun cas, s'appliquer au roman français. Nous ne nous occuperons, par conséquent, que de l'appréciation littéraire de M. Saint-Marc Girardin.

Nous ne savons pour quelle cause, si ce n'est pour être plus facilement compris de ses lecteurs, M. Saint-Marc

(1) Voici les numéros de ces manuscrits:

Nos 372. Cangé 69.

4584. Lancelot 465.

4593. Fauchet 7645.

25566. La Vallière 84.

Nous nous occuperons plus loin de ces manuscrits.

(2) Paris. Sylvestre, in-8° 1835.

(3) Ils ont été publiés dans un volume intitulé: Souvenirs de voyages et d'études. Paris, Amyot, 1853.

(4) Voir sur ces hypothèses d'Eckaert et de Mone, les travaux de MM. Grimm et Raynouard précédemment cités.

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