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beaucoup de familles, et nous en avons plus d'une fois, au cours de nos recherches, recueilli la touchante expression: - « Il n'y a pas de pauvres parmi nous », disaient en 1782, dans un mémoire que nous citerons plus loin (1), les prieurs des six compagnies de Limoges. - Ils pouvaient le dire en toute vérité. Cet esprit s'affirma avec éclat en plusieurs occasions. Lors du grand incendie qui détruisit plusieurs quartiers de la ville, en 1790, les Pénitents se firent remarquer par la générosité avec laquelle ils vinrent en aide aux confrères atteints par le fléau. Le lendemain même du sinistre, toutes les compagnies s'assemblèrent et prirent les mesures nécessaires pour secourir sur le champ les victimes. Les Pénitents Bleus comptaient vingt-quatre membres qui avaient perdu leur avoir dans la catastrophe: la confrérie leur distribua d'abord tout ce qu'elle avait en caisse; puis elle ouvrit en leur faveur une souscription à laquelle s'associèrent beaucoup de compagnies de la province et même des parties du royaume les plus éloignées, invitées par une circulaire pressante à venir au secours de confrères malheureux (2).

Auprès du mot de Charité, partout on trouve cet autre mot: Paix! inscrit en tête du réglement des confréries de Pénitents. Partout, à cette question du prieur : « Que demandez-vous, mon frère ? » le récipiendaire répond : « La paix ». Il n'entend pas seulement par ce mot le calme intérieur que donnent une vie pure, une conscience tranquille, la pratique des œuvres pieuses auxquelles il va se vouer: le Pénitent doit vivre en paix nonseulement avec lui-même, mais aussi avec le prochain. Nous avons partout signalé l'obligation pour le nouveau confrère de se réconcilier avec ses ennemis, et pour les officiers d'intervenir, si besoin est, pour opérer la réconciliation. Nous avons vu partout l'arbitrage des supérieurs recommandé, imposé même, dans les différends entre associés. Combien de procès, sources de dépenses considérables, cause de ruine parfois, et point de départ de longues inimitiés, furent ainsi évités! A ce point de vue encore, les compagnies rendirent à la société d'immenses services.

Disons du reste que nous trouvons dans les Statuts synodaux du clergé du diocèse, notamment dans le Réglement général pour toutes les confrèries et congrégations, publié en 1619

(1) Voir le chapitre suivant.

(2) Papiers divers communiqués par Mme veuve Audoin.

par Mar Raymond de la Marthonie, le germe de toutes les excellentes pratiques de ces associations. L'objet qui leur est proposé n'est pas seulement la gloire de Dieu, le salut, l'édification du prochain: c'est << le secours et soulagement des pauvres »; c'est « l'aide et assistance mutuelle >> que les confrères « se doivent rendre charitablement les uns aux autres, soit pour le temporel, soit pour le spirituel, soit en la vie ou en la mort, ou après qu'ils sont décédez ». Les personnes qui sont placées à la tête des confréries « s'employeront à accorder les différends », à réconcilier les ennemis, « et à retrancher tout ce qui peut blesser, refroidir ou diminuer la charité chrétienne, soit entre eux ou entre les autres (1) ».

Après avoir rendu justice aux grands et beaux résultats de l'institution des Pénitents, nous nous sentirons plus à l'aise pour parler des abus qui s'étaient glissés dans les compagnies, et des incidents fàcheux qui marquèrent leur décadence. Nous n'avons pas ici, grâce à Dieu, à nous occuper du ròle joué par les Pénitents dans la lutte des partis. Les confréries de Limoges, venues après l'apaisement des discordes civiles, n'ont pas d'incidents politiques dans leur histoire.

Les compagnies avaient, dans les commencements, fait de grandes dépenses pour réparer et orner les églises où elles s'étaient établies. « Ces esglises ont receu, déclarait le P. Bonaventure de Saint-Amable dans la seconde moitié du xvr° siècle, un grand accroissement par les confréries de Pénitens, qui ont pris à tâche d'orner et d'embellir les lieux sacrez qui leur ont esté accordez pour y faire leur exercice (2) ». Mais les rapports de ces associations avec le clergé paroissial laissèrent souvent à désirer. Nous avons parlé des démêlés des Pénitents Bleus avec le curé de Saint-Paul; d'autres compagnies, pour n'avoir pas des débats aussi bruyants avec les desservants, n'en vivaient pas moins en assez mauvaise intelligence avec le clergé, vis-à-vis duquel les associations de ce genre affectaient en général de regrettables allures d'indépendance, en dépit des ordonnances synodales

(1) Ordonnances synodales du Diocèse de Limoges, revues et imprimées de nouveau par l'ordre de Mgr de Carbonnel de Canisy. Limoges, Pierre Barbou, 1703.

(2) Histoire de Saint-Martial, T. III, col. 846.*

attribuant la direction de toutes les confréries au curé ou à un autre prêtre de la paroisse cet article ne paraît pas avoir été sérieusement appliqué aux Pénitents avant la Révolution. Les confrères de la Sainte-Croix eux-mêmes, qui avaient si longtemps édifié la ville, étaient accusés, en 1767, de n'apporter aux pasteurs et aux paroissiens de Saint-Michel-de-Pistorie que du trouble et de l'incommodité (1). Souvent, soit à Limoges, soit sur d'autres points du diocèse, les curés dûrent solliciter l'intervention de l'évêque pour mettre fin aux taquineries ou aux empiètements des compagnies.

Cette intervention était aussi réclamée par les confréries ellesmêmes, pour réprimer les abus qui s'étaient introduits dans leur sein ou pour y rétablir la paix. Ces fréquents recours au pouvoir ecclésiastique pour trancher des questions d'ordre intérieur que les supérieurs de l'association auraient pu et dû résoudre en vertu de l'autorité conférée à leur charge par les statuts, amenèrent peu à peu l'ingérence abusive des évêques dans le gouvernement intérieur des compagnies. Ainsi on voit ces prélats intervenir quelquefois dans l'élection des officiers, ou ordonner aux confrères de rouvrir leurs rangs à des sujets qui en ont été exclus par des délibérations régulières. Le fait se passa notamment en 1777 : sur l'ordre de Mar d'Argentré, les Pénitents Pourpres dûrent recevoir plusieurs membres renvoyés par application des statuts (2). - Disons néanmoins que, presque toujours, l'action de l'autorité épiscopale s'exerça pour prévenir ou réprimer des abus, et rappeler les confrères à l'observation des articles les plus essentiels de leur réglement.

Le but que s'étaient proposé les fondateurs des compagnies en ordonnant des processions était certainement d'édifier le public par la tenue humble, l'extérieur contrit, la ferveur des confrères. Au bout de quelque temps, les Pénitents se départirent de leurs traditions premières de simplicité et d'uniformité: on les vit porter des rubans, des bijoux, chercher à se distinguer par des habits d'étoffe plus fine que ceux de la foule des associés. Les processions devinrent pour eux l'exercice principal en même temps que le grand attrait de la confrérie; le désir d'avoir un rôle dans ces solennités, d'y figurer sous un costume, était trop

(1) Archives de la Haute-Vienne, liasse 1121. (2) Id., liasse 1605, et collection Audoin.

souvent l'unique mobile des nombreuses demandes d'admission sur lesquelles avaient à statuer les confréries. Peu à peu il s'établit entre celles-ci une sorte de concurrence de luxe et de représentation. Chacune voulut surpasser les autres et éblouir la population par sa magnificence: Richesses du voile de la croix, des bâtons, des panonceaux, de l'habillement des courriers, musique pour les recevoir dans chaque église, rien n'était épargné (1) ». C'était à qui, dans les processions générales surtout, aurait les ornements les plus coûteux, les plus gros cierges; c'était surtout à qui offrirait le plus nombreux cortége. Cette rivalité, qui était poussée fort loin, amena, comme nous l'avons dit; les compagnies à admettre, pour grossir leurs rangs, les postulants sans exiger d'eux les garanties morales les plus indispensables. On vit enfin les associations travailler à s'enlever réciproquement leurs membres. D'un autre côté, la facilité avec lesquelles plusieurs d'entre elles recevaient les confrères chassés des autres associations ou les ayant quittées par légèreté, était un encouragement pour ces derniers. Ces pratiques amenèrent un relâchement et une insubordination tels qu'il fallut enfin s'entendre et recourir à une mesure générale pour en arrêter les progrès. Sur la demande des officiers des six compagnies, Mar d'Argentré défendit expressément, en 1765, l'admission dans aucune d'elles de confrères indociles ou peu zélés ayant appartenu à une autre (2). Les statuts de deux de ces associations avaient, on se le rappelle, dès le principe, formulé la même exclusion, qui était du reste prononcée dans d'autres villes où existaient aussi plusieurs confréries de Pénitents.

La coutume s'était introduite de laisser figurer aux processions, dans les rangs des compagnies, des confrères ne portant pas l'habit, ou des membres de la famille des associés, des enfants en particulier : à la demande des vicaires généraux, toutes les confréries prirent en 1776 une délibération pour décider qu'à l'avenir les Pénitents en costume figureraient seuls aux processions (3).

Dès 1698, comme on l'a vu plus haut, Mar de Carbonnel de

(1) Bullat, Tableau ecclésiastique.

(2) Legros, Mélanges manuscrits, T. I, p. 411-412.

(3) Legros, Continuation des Annales.

Canisy avait dû, pour éviter les désordres de la promenade nocturne du Jeudi-Saint, arrêter que les processions des Pénitents devraient être rentrées avant sept heures du soir et ordonner qu'après cette heure toutes leurs chapelles seraient fermées. Plusieurs évêques durent rappeler les dispositions des statuts du diocèse qui interdisaient toute danse, tout festin, à l'occasion de la fête patronale des compagnies (1). On fut néanmoins obligé de tolérer un banquet, mais à la condition expresse qu'il ne se ferait pas dans une taverne ou autre lieu public. Malgré des défenses cent fois répétées, l'usage se conserva de payer sur la caisse commune, chaque fois qu'il y avait une procession, un repas aux choristes, dont quelques-uns souvent n'appartenaient pas à la compagnie (2). Cette coutume ne s'est éteinte qu'avec les confréries elles-mêmes. Les repas dont il s'agit passaient pour être arrosés de libations trop abondantes, et rien ne contribua davantage à donner aux Pénitents la mauvaise réputation qu'à tort ou à raison ils avaient naguère sur cet article (3).

(1) Ordonnances synodales de Mgr Raymond de la Marthonie (1619): « Défendons à tous confrères de faire aucun fou de feste, de se masquer, de courir la bague, d'avoir aucuns menestriers, tambours ou trompettes, de faire des dances ou des bals en public ou en particulier, aux jours qu'ils s'assemblent pour la célébration de leur festes, ou de porter des armes, des espées, des enseignes, des massues, de prendre leurs repas dans les tavernes, les cabarets, ou les hôtelleries publiques».

(2) A Toulouse on avait voulu remédier à des abus semblables. Un accord conclu en 1602, sous les auspices de l'archevêque, entre les compagnies de cette ville, interdisait de donner « aucune somme d'argent à ceux qui chanteroient » et de faire chanter dans les processions d'autres personnes que les confrères les membres des diverses associations devant s'assister les uns les autres en cas de besoin et se fournir mutuellement les éléments qui pourraient manquer au chœur de chacune d'elles.

(3) On connaît les proverbes :.

Couloumbaïré, pipeyaïré, péniten,
Soun treï meytiéy de vaurien.

Le matin blanc, bleu, rouge ou noir,
Gris le soir.

Pénitent, blanc par dehors, rouge dedans: goût de canaille, etc., etc.

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