estimés de notre pays (1). On a prétendu que, avant le xvo siècle, il n'exista d'autres confréries que celles annexées aux corporations. Les associations formées dans un but purement religieux ou charitable seraient toutes postérieures à l'an 1400. Une pareille thèse ne peut se soutenir: l'histoire générale et l'histoire locale la démentent également. N'ayant à traiter ici la question qu'à un point de vue spécial et d'une façon tout accessoire, nous n'irons pas chercher d'éléments de controverse en dehors du Limousin. Sans remonter aux pieuses confréries dont nos annales attestent l'existence dans la province aux premiers siècles du Christianisme, nous savons, et des documents authentiques, des pièces originales établissent qu'il y avait à Limoges, au xme siècle, c'est-à-dire deux cents ans avant la date indiquée plus haut, diverses associations fondées en dehors de l'organisation corporative, et dont les membres se proposaient un but exclusivement religieux ou charitable celles de Notre-Damede-Saint-Sauveur (plus tard de Saint-Martial), de Notre-Damedu-Puy, et des Pauvres-à-Vêtir, pour ne citer que les plus célèbres. Nous avons dit que les compagnies de Pénitents n'avaient rien de commun avec les corporations de métiers et leurs fréries. Ajoutons qu'on ne saurait non plus y voir des associations analogues à nos modernes sociétés de secours mutuels. On a fait fausse route en voulant établir un rapprochement entre deux ordres d'institutions qui, pour un petit nombre de points de contact, offrent dans leur esprit, dans leur origine, dans leur objet, de profondes différences. Il est assurément d'un réel intérêt de retrouver dans le passé le germe des choses d'aujourd'hui ; on doit néanmoins se garder d'admettre avec trop de facilité des assimilations hasardées et des généalogies douteuses. La tendance est trop commune de tout accommoder aux idées actuelles : (1) Aug. Bosvieux, Documents relatifs aux Confréries de la Marche. (Bulletin de la Société des Sciences archéologiques et naturelles de la Creuse, T. II, p. 414.) Dans son Traité des Indulgences, Mgr Bouvier prétend que la plus ancienne confrérie connue est celle du Gonfalon de Rome. Cette assertion tombe d'elle même en présence d'une foule de documents relatifs à des confréries purement religieuses ou de charité, et dont la fondation est certainement antérieure à 1264, date de l'établissement du Gonfalon. on doit savoir y résister en face d'institutions ne présentant pas l'une avec l'autre ces traits frappants de ressemblance auxquels il est impossible de se méprendre. En ce qui concerne les confréries de Pénitents, il faut ne les avoir étudiées ni dans leur histoire ni dans leurs statuts, pour leur prêter comme but principal un de leurs objets les plus secondaires. Sans doute la charité de leurs membres s'exerçait, si besoin était, à l'égard des confrères, et les associés se devaient l'un à l'autre, non-seulement l'aide de leurs conseils pieux, de la prière et du bon exemple, mais aussi la visite en cas de maladie, et, avec des secours spirituels et des consolations, l'assistance matérielle que pouvait comporter une situation gênée: les statuts de quelques compagnies sont à cet égard très-explicites; toutefois ils ne s'occupent que des confrères accidentellement malades. Ceux de trois ou quatre associations tout au plus, notamment de la confrérie du Très-Saint-et-Très-Auguste-Nom-de-Dieu de Marseille, obligent les membres à prêter assistance aux associés infirmes ou simplement nécessiteux (1); mais ce devoir, ces préceptes, sont tout accessoires dans le principe. L'objet de la confrérie n'est pas là. Le cas dont nous nous occupons devait du reste se présenter rarement au début. Les fondateurs avaient eu d'autant moins à s'en préoccuper que les Compagnies, à l'origine, s'étaient surtout recrutées dans les rangs du clergé et de la bourgeoisie aisée. Il faut ajouter que la corporation de métier avait des secours pour ceux de ses membres mis par l'âge ou les infirmités dans l'impossibilité de travailler. Les artisans qui appartenaient à une compagnie de Pénitents durent s'adresser, dans leurs maladies et leurs épreuves, à la corporation, qui était la véritable société de secours mutuels, avant de recourir à la confrérie, où ils ne virent et ne purent voir pendant longtemps qu'un lien religieux. A la fin du xvII° siècle, et surtout au XVIII, cette manière d'envisager les choses changea; mais ce fut l'effet de la décadence de l'institution. Nous le répétons : l'idée première qui a présidé à la formation des confréries de Pénitents est une pensée exclusive (1) « Si quelqu'un de cette Compagnie se trouvoit réduit à une telle nécessité qu'il ne pût pas travailler pour gagner sa vie, il seroit assisté de l'argent qu'on tireroit de la boëtte destinée pour les pauvres; s'il n'y en avoit pas assez pour suffire à son entretien, tous les Pénitents y contribueroient en particulier, selon leur pouvoir et leur dévotion. » ment pieuse, et qui voudra y chercher autre chose méconnaîtra le véritable esprit de ces sociétés. « Le motif de ceux qui ont formé les confrairies de Pénitents, dit Etienne Molinier dans son curieux Traité sur la matière (1), a esté le désir de..... suivre le chemin que la bonté de Dieu, riche en miséricorde, ouvre et présente à ceux qui se sont égarés de l'innocence et n'ont plus d'autre ressource que la pénitence. >>> On ne saurait indiquer, même d'une façon approximative, la date de l'organisation de la plus ancienne confrérie permanente de cette espèce: on ne constate avec certitude qu'au xm° siècle l'existence d'associations de pénitence; encore faut-il remarquer que leurs membres, à bien peu d'exceptions près, n'ont pris le nom de Pénitents qu'aux xvo et xvi° siècles. Il paraît toutefois certain que, dès les premiers temps de l'Eglise, les chrétiens soumis à des pénitences publiques ou les Pénitents volontaires se réunissaient pour assister à certaines cérémonies ou vaquer en commun à certains exercices. On a peu de détails sur ces réunions; on sait seulement que les personnes rangées dans cette classe de fidèles se répartissaient en plusieurs catégories, dont chacune était désignée sous une qualification spéciale et avait ses exercices particuliers. Parmi les précurseurs de l'institution dont nous nous ocсиpons, on ne peut omettre les Flagellants. Ce nom fut donné à des troupes d'hommes qui parcoururent à diverses époques certaines contrées de l'Europe, en prêchant au peuple la pénitence, et en cherchant à l'émouvoir par les sanglantes macérations auxquelles on les voyait se livrer publiquement et avec une sorte de fureur. Les historiens ne sont pas d'accord sur la date de l'apparition de ces bandes de fanatiques. La plupart ne les signalent qu'au x siècle; quelques-uns font remonter cette sorte d'épidémie religieuse à l'an 1020; mais les indications données par ces derniers ne sont pas très-précises, en sorte qu'il est assez difficile de se prononcer pour l'une ou l'autre opinion. Ce qui semble certain c'est que, en 1170, des compagnies de Flagellants (1) Des Confrairies pénitentes, ou il est traicté de leur institution, reigles et exercices, par M. E. Molinier, prestre et docteur. - Tolose, Raymond Colomiez, 1625. s'étaient déjà montrées sur plusieurs points de l'Allemagne et de l'Italie. Selon l'abbé Boileau, - qui a écrit une curieuse histoire des Flagellants (1), et qui retrouve dans les confréries permanentes de Pénitents les principaux traits de ces associations toutes spontanées et éphémères, nées d'un élan de ferveur et d'une crainte exagérée de la justice divine, - l'usage de la discipline volontaire aurait été peu répandu ou même n'aurait pas été connu du tout avant le xro siècle, époque où le sentiment religieux subit une assez profonde modification. Ce qu'il y a de certain, c'est que, à ce moment, sous l'influence de souffrances réelles, mais plus encore d'appréhensions vagues, de terreurs sans objet défini, un réveil de l'esprit de pénitence se produisit dans les masses, et avec une vivacité dont l'histoire n'avait pas offert encore d'exemple en Occident. Le besoin de souffrir volontairement, de se sacrifier, d'expier, se fit sentir dans tous les rangs de la société, qui reçut un ébranlement profond. Les Croisades entretinrent cette fièvre pendant un siècle et demi, mais eurent aussi pour résultat d'en atténuer singulièrement les dangers. Les expéditions d'outre-mer, en ouvrant une carrière presque sans bornes à l'activité des inquiets, des aventureux, des ambitieux, débarrassèrent l'Europe de ferments que la féodalité et l'Eglise elle-même n'avaient pu voir se développer sans concevoir de sérieuses craintes. Au xme siècle, les Flagellants reparurent en Italie. Un moine dominicain de Pérouse, nommé Reynier, touché des maux que causaient aux peuples les discordes intestines dont la Péninsule était le théâtre, se mit à parcourir les villes et les campagnes en prêchant la pénitence. Ses accents passionnés émurent ses auditeurs; beaucoup le suivirent, et on vit pendant quelque temps errer sur les places et sur les chemins des troupes d'hommes, à moitié vêtus, armés de fouets ou de lanières dont ils se frappaient jusqu'au sang, en appelant à grands cris la miséricorde de Dieu sur eux et sur le monde. De l'Italie ces manifestations gagnèrent l'Allemagne. Un contemporain, moine de SainteJustine de Padoue, nous a laissé la description du singulier spectacle qu'offraient les troupes de Flagellants. « On voyait, dit cet auteur, marcher confondus dans leurs rangs des personnes (1) Historia Flagellantium. - Paris, Anisson, 1700. de naissance illustre et des hommes de la plus basse condition, des vieillards et des jeunes gens, jusqu'à des enfants de cinq ans, tous entièrement nus à l'exception du vêtement qu'exige la pudeur. Ils s'avançaient en procession, deux à deux, sur les places des cités; chacun tenait à la main un fouet formé de lanières de cuir, et, avec de grands gémissements et des larmes, ils se frappaient violemment les épaules, jusqu'à ce que le sang jaillît. Ce n'était pas seulement durant le jour qu'ils donnaient un pareil spectacle: on en vit la nuit, au milieu de l'hiver le plus rigoureux, parcourir les villes et les églises, tenant à la main des cierges allumés. Et ces processions comptaient cent, mille, dix mille personnes..... On n'entendait partout que la psalmodie lugubre de ces pénitents (1)... » Des prêtres, des religieux marchaient à la tête de la multitude. A chaque halte, l'un d'eux prenait la parole, et exhortait le peuple à expier ses péchés. Quand il se taisait, c'était une explosion de cris, de coups, de hurlements. Les larmes et le sang coulaient tout autour de l'orateur. Puis la troupe se remettait en marche. De telles scènes devaient frapper vivement l'imagination des masses. La contagion s'étendait de proche en proche. Dans certains villages, presque tous les habitants avaient abandonné leurs demeures. Des femmes se mêlaient aux Flagellants, et, comme eux, à deminues, partageaient leurs cruels exercices. Ces foules ne pouvaient se déplacer et vagabonder ainsi sans causer sur leur passage des désordres qui émurent les autorités ecclésiastique et laïque. On donna la chasse aux Flagellants; ils furent dispersés par la force, et leurs dernières bandes se dissipèrent d'ellesmêmes. En 1349, après la grande peste, ils reparurent. Mais, cette fois, on eut à leur reprocher autre chose que les excès inséparables de l'existence nomade qu'ils avaient embrassée: les Flagellants du xrve siècle propagèrent des hérésies que condamna l'Eglise, et voulurent les imposer aux populations par la vio (1) «... Nobiles pariter et ignobiles,'senes et juvenes, infantes etiam quinque annorum, nudi per plateas civitatum, opertis tantummodo pudendis, bini et bini processionaliter incedunt : singuli flagellum manibus de corrigiis continentes, et cum gemitu et ploratu se acriter super scapulis usque ad effusionem sanguinis verberantes... Non solum itaque in die, verum in nocte cum cereis accensis in hieme asperrima centeni, milleni, decem millia quoque per civitates et ecclesias currebant... Sola cantatio pœnitentis lugubris audiebatur ubique. » - Ce mot: pœnitentis doit être remarqué. |