Imágenes de páginas
PDF
EPUB

LES SIRES DE FAUCOGNEY

I

Le Château de Vesoul

Avant de parler des sires de Faucogney, il est nécessaire de décrire, aussi exactement que les documents contemporains permettent de le faire, les deux châteaux habités par ces hauts barons, en commençant par celui de Vesoul; car si Faucogney leur a donné son nom, on ne doit pas oublier que pendant plus d'un siècle, ils ne furent connus cependant que comme vicomtes de Vesoul.

On a beaucoup écrit sur la haute antiquité de cette ville; d'un côté des mémoires aux allures savantes et érudites, de l'autre des notices qui ne cherchaient qu'à être intéressantes et fantaisistes. Cependant c'est une de ces dernières, la Légende de la Motte de Vesoul, de M. l'abbé Morey, où l'imagination de l'auteur paraît avoir le mieux respecté les textes qui, les premiers, font mention de Vesoul. Cette localité a-t-elle été un municipe romain, comme le prétendent Dumontet de la Terrade, Miroudot de Saint-Ferjeux, MM. Suchaux, Longchamps et Gevrey? On ne peut rien préciser à cet égard. Le silence des géographes anciens, des itinéraires et des notices de l'Empire romain au sujet

de Vesoul quand ils citent pourtant d'autres villes séquanaises, autoriserait à penser le contraire. Ce ne sont pas quelques inscriptions d'une authenticité douteuse, qu'aucun de ces auteurs n'a vues et dont ils ne parlent que par tradition, quelques médailles ou quelques fragments de statuettes qui peuvent venir à l'encontre du silence des documents contemporains, car quel est le village en France dont le sol ne fournit pas des débris romains? Tout au plus est-il permis de conjecturer de la découverte, presque au sommet de la colline dite la Motte, de monnaies des derniers temps de l'Empire, entre autres d'une pièce au type de Decentius (1), que les Romains, au moment des premières invasions barbares, songèrent à utiliser ce sommet dominant une vaste étendue de pays et à proximité de la voie de Langres au Rhin, pour y établir une vigie afin de surveiller et d'éclairer la contrée. Lucain parle déjà de châteauxforts élevés dans le même but sur les principales cimes des Vosges. Ce serait cette vigie qui serait devenue plus tard le castrum vesolense.

Nous n'entrerons pas dans le détail des différentes étymologies proposées pour expliquer ce dernier mot. On a fouillé tous les dictionnaires celtiques et latins afin de lui trouver une signification. Il nous semble qu'Adrien de Valois en faisant venir Vesoul de Visorium et, par transmutation de la liquide r en 1, Visolium, mot de la basse latinité qui peut être rendu par point de vue, a donné l'étymologie la plus admissible, d'autant plus que dans de vieux titres,

(1) Au mois de mars 1873, un vigneron, en creusant une fosse sur le revers S. O. de la Motte, à une centaine de mètres du sommet, sur l'emplacement que devait occuper une des tours de la première enceinte, mit à découvert plusieurs médailles d'empereurs postérieurs à Constantin, et deux fragments de bronze paraissant provenir du bris d'un trépied. L'une de ces médailles nous fut communiquée. C'était un petit bronze du César Decentius, frère de l'empereur Magnence, proclamé César à Milan en 351.

dit Gollut, ce château est appelé de Beauregard ou de Beauvoir. On préférera en tout cas cette signification à celles de tombeau du soleil ou lieu planté de vignes; la première qui viendrait du celtique est trop ancienne et trop obscure, la seconde trop moderne (1).

Quoi qu'il en soit, il faut descendre jusqu'à l'année 899 pour trouver la première mention de Vesoul. L'auteur de la relation des miracles arrivés lors de la translation des reliques des saints Romaric, Aimé et Adelphe à Remiremont, rapporte qu'une jeune fille originaire du château de Vesoul, courbée par la paralysie, fut amenée au tombeau des saints et guérie miraculeusement (2). Nous ne citons cette légende que pour retenir l'expression « castrum Vesulium » avec une date certaine, le 4 février de la douzième et dernière année du règne d'Arnoul de Germanie, correspondant à l'an 899. Mais nous insisterons davantage sur la seconde mention, car elle donne quelques détails sur la topographie du château de Vesoul. L'auteur anonyme de la vie de saint Urbain de Langres racontant un épisode du passage dans cette ville des troupes du comte Lambert de Châlon qui, jointes à celles du duc de Bourgogne, Henrile-Grand, frère de Hugues-Capet, allaient assiéger le château de Vesoul, indique en quelques mots la situation de cette

(1) Notitia Galliarum, p. 600. « Homo quidam utrorumque privatus lumine orbium, sabbate quo verbigena imperator in tumulo quievit, ad sacram martyris addictus est basilicam; erat autem, ut ipse fatebatur, incola castelli quod populariter Vezol, latine Visorium a videndo, eo quod in editissimo constitutum a longe videatur congrue potest appellari. » (De libro quarto miraculorum Sancti Prudentii, auctore Theobaldo Besuensi monacho. Tome II Nova Bibliotheca M. SS. librorum. Labbe, p. 631.)

(2) Bolland. Tome III, mensis septembris, p. 833. « Anno duodecimo et ultimo regni Arnulphi Imperatoris, mense secundo, die quarto, e castro Vesulio puella usque adeo deorsum incurvata erat ut vix, etc. » Charles le Gros mourut en 888. Arnoul, bâtard de l'empereur Carloman, lui succéda et mourut en 899.

forteresse « quod in colle ardui montis situm est (1). » Cet évènement doit être antérieur à l'année 988, date certaine de la mort du comte Lambert. On ne sait pas qui occupait à cette époque le château de Vesoul, ni pour quel motif il fut assiégé. Ce fut peut-être dans une de ces nombreuses guerres qui eurent lieu au dixième siècle entre les ducs de Bourgogne et ceux de Lorraine. Mais les mots employés pour décrire la situation de cette forteresse n'en sont pas moins précieux. MM. Suchaux et Longchamps prétendent qu'il faut traduire « in colle ardui montis » par « sur une colline au pied de la montagne » et ils concluent en pensant que l'auteur de la Légende a voulu désigner par ces expressions non-seulement un simple château, mais encore une ville fortifiée s'étendant sur l'emplacement actuel de Vesoul (2). A l'appui de leur

(1) Vita sancti Urbani Lingonensis, XXIII Januari, apud Bolland. Tome II, p. 493. « Ea etiam tempestate Henrici Ducis exercitus ad obsidionem properabat castri Vesolensis, quod in colle ardui montis situm est; cum quo etiam inter alios Lambertus Comes Cabilonensium adfuit. » Ce comte de Châlon est le fondateur du monastère de Parayle-Monial; il mourut en 988. (Dom Plancher, Tome I, p. 249-250)

(2) Nous croyons devoir reproduire in extenso la discussion de ce texte par M. Suchaux. (Dict. des communes de la Haute-Saône verb. Vesoul), afin que le lecteur puisse mieux comparer son opinion avec la nôtre. « Ch. Longchamps place l'ancien Vesoul sur la partie de l'emplacement de la ville actuelle qui se trouve assez exactement délimitée par l'avenue du Pénitencier, la rue de l'Aigle-Noir, la Pouilleuse et la Porte-Haute, et il estime qu'elle ne devait pas renfermer plus de 1500 à 1600 habitants. Il arrive du reste à cette conclusion en s'appuyant sur le texte de la légende de saint Urbain qui indique la situation de Vesoul in colle montis ardui, c'est-à-dire au flanc du coteau qui marque d'un relief et comme d'une embase le pied de la montagne de la Motte, précisément au point où se trouve la partie déclive de la ville actuelle et où convergaient les voies antiques. MM. Dumontet-la-Terrade et Marc ont lu dans le texte in collo au lieu de in colle, et ils ont placé en conséquence Vesoul entre le milieu et le sommet de la montagne. Ils ont en cela bien traduit, mais ils ont

opinion, ils invoquent la définition du mot collis dans le Dictionnaire de Robert Estienne lui donnant la signification de « pars montis ». Tout en acceptant cette définition, on peut faire observer que rien n'indique dans le cas particulier que cette partie de la montagne dût être forcément à sa base. Si on remarque que le tiers supérieur de la Motte forme une éminence parfaitement caractérisée et détachée de la base, il semblera que l'auteur a voulu dire que le château était placé sur cette éminence, occupait la cime de la montagne, et qu'il s'est servi de l'expression in colle montis » comme Pline l'ancien de celle de colles montani employée par lui pour désigner les sommets des Alpes. Il est vrai qu'avec cette traduction on est conduit à ne voir dans le castrum vesolense qu'un château entouré de murailles au haut de la Motte avec quelques habitations, non pas groupées autour de ces murailles, comme le pense M. Gevrey, mais placées dans l'intérieur même de l'enceinte fortifiée où, de l'aveu de

mal lu. Collis et collum ont deux significations bien différentes dans le cas particulier. (Collis, dit Robert Estienne, est exiguus et leviter assurgens monticulus, sive per se sit a monte separatus, sive pars montis; ita vocatus quia colles post campos cœperunt colere). Collum, au contraire, comme on l'indique, marque un lieu compris entre le sommet et le milieu d'une montagne. Le mot colle, employé par le légendaire, rend très bien compte de la position actuelle de Vesoul. Il a existé, du reste, des habitations particulières (on en a la preuve par différents actes), non-seulement çà et là sur le flanc de la montagne, mais encore jusque dans l'intérieur de l'enceinte du château. M. Gevrey a bien lu in colle et il se prévaut de ce texte pour placer l'ancien Vesoul en cravate sous les murs du château de la Motte où il aurait formé une seconde enceinte, mais évidemment il a mal traduit. Une ville, même une grande ville, jetée sur la circonférence de la montagne, comme les chemins du vignoble, aurait pu trouver une situation acceptable sur l'emplacement que lui assignent MM. Dumontet et Marc, mais, immédiatement sous l'enceinte du château où la place M. Gevrey, les habitants auraient eu peine à maintenir leur centre de gravité. »

« AnteriorContinuar »