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DES VISIONS.

<< Pendant le sommeil, dit Tertullien, sont révélés les honneurs qui attendent les hommes; pendant le sommeil des remèdes sont indiqués, des larcins dévoilés, des trésors découverts. Ce fut ainsi que la nourrice de Cicéron put prévoir la gloire réservée à celui-ci ; ce fut ainsi qu'Achille guérit Cléonyme 1. >>

On voit que Tertullien adoptait toutes les croyances de l'antiquité relativement aux songes. Nous ne pourrions réellement décider si, à cet égard, les chrétiens des premiers siècles et du moyen âge ne se sont pas montrés plus crédules que les païens. Pour ceux-là, en effet, les rêves, suivant leur nature, étaient l'ouvrage de Dieu, des saints, ou des esprits infernaux. De là, le soin qu'ils mettaient à expliquer du mieux qu'il leur était possible les rêves les plus insignifiants. «Un de mes religieux, dit Guibert de Nogent que nous aurons à citer souvent dans le cours de ce chapitre, aperçut en songe trois poutres énormes placées contre les genoux du crucifix dans l'église de la bienheureuse Vierge Marie, et le lieu où Gérard fut assassiné, lui parut couvert de sang. Le crucifix désigne ici Gaudri (évêque), le personnage le plus éminent de l'Église de Laon; les trois poutres près de tomber sur lui, sont évidemment les mauvais moyens dont il se servit pour arriver à l'évêché, le crime qu'il commit contre Gérard, et celui enfin dont il se rendit coupable envers le peuple; trois choses qui furent pour lui de

Tertullien," Liber de anima, ch. 46.

grandes pierres d'achoppement et amenèrent sa mort 1.>> Ailleurs, en parlant d'un certain Raoul qui fut assassiné, «< ce chevalier, dit-il, eut une vision qui lui pronostiquait le sort dont il était menacé dans l'avenir. Il lui sembla entendre son écuyer lui dire «Seigneur, je viens

« de trouver ton cheval d'un énorme et extraordinaire << embonpoint dans la partie antérieure de son corps, << mais d'une telle maigreur dans la partie postérieure, « que jamais je ne vis rien de semblable. >> Raoul possédait beaucoup de biens et une grande opulence; inais toute cette abondance de richesses fut réduite à rien par la mort cruelle qu'il éprouva. Cette vision était claire, car le cheval désigne la gloire de ce monde 2. >>

L'avénement de Gui, archevêque de Vienne, à la papauté 3, fut prédit par une vision non moins claire que les précédentes, au dire de l'abbé Suger. «Pendant son sommeil, Gui eut un songe miraculeux qui le regardait clairement, quoiqu'il n'en saisît pas d'abord le sens: il vit un être puissant qui portait la lune cachée sous un manteau, et la lui donnait à garder ; mais il reconnut parfaitement la vérité de cette vision, quand ceux de l'Église romaine, réfugiés alors en France, l'élurent bientôt après souverain pontife *. »

Les visions les plus fréquentes dans l'antiquité et au moyen âge étaient celles qui avaient pour but le culte de nouveaux dieux ou de nouveaux saints". Les histoires de la translation de reliques sont pleines de visions de ce

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1 De Vila sua, l. 11, ch. 15, collection Guizot, t. Ix, p. 72.

2 Ibid., t. x, p. 52.

3 Il succéda sous le nom de Calixte à Gélase II, le 29 janvier 1119. Suger, Vie de Louis le Gros, collection Guizot, t. viu, p 145.

5 Voy. la vision de Ptolémée Sot r, Tacite, Histoire, l. iv, ch. 85.

genre, nous nous contenterons de renvoyer le lecteur aux Bollandistes et aux annales de l'ordre de Saint-Benoît.

Dans les CURIOSITÉS LITTÉRAIRES 2 nous avons mentionné quelques visions relatives aux destinées de l'homme après la mort, et entre autres celles du chevalier irlandais Owen, et du prêtre Gauchelin 3. Les questions d'enfer, de purgatoire, de paradis, préoccupaient tellement les esprits pendant le moyen âge, qu'il est peu de chroniques où ne soit rapporté quelque récit merveilleux des mystères de l'autre vie. Nous allons citer ceux qui nous ont paru les plus propres à montrer quelles étaient à cette époque les étranges rêveries qui couraient par le monde.

<< Sunniulphe, abbé de Randan (monastère de Clermont), avait coutume de raconter que, dans une vision, il avait été conduit auprès d'un fleuve de feu dans lequel venaient tomber une foule de gens qui couraient sur les bords comme un essaim d'abeilles: les uns y étaient jusqu'à la ceinture, les autres jusqu'aux aisselles, plusieurs jusqu'au menton, et ils criaient avec beaucoup de gémissements, à cause de la violence de la brûlure. Sur le fleuve était placé un pont si étroit, qu'à peine pouvait-il contenir la largeur du pied d'un homme. Sur l'autre rivage, paraissait une grande maison toute blanche par dehors; et lorsqu'il demanda à ceux qui étaient avec lui ce que cela voulait dire, ils lui répondirent: « Celui qui sera

1 L'une des plus remarquables est celle qui eut pour résultat la translation du corps de saint Antoine en France. Voy. Bollandistes, janvier 17, t. I, p. 153.

2 Chapitre Analogie de sujets, p. 120 et suiv

3 La première est rapportée par Mathieu Paris, la seconde par Orderic Vital.

« trouvé làche et mou à contenir le troupeau confié à << ses soins, sera précipité du haut de ce pont; celui qui << s'y appliquera avec exactitude, passera sans danger, <<< et arrivera plein de joie dans la maison que tu vois « sur l'autre bord. » En entendant ces paroles, il se réveilla, et se montra depuis plus sévère envers ses moines 1. >>>

Saint Sauve, qui fut plus tard évêque d'Alby, tomba une fois en léthargie dans un monastère dont il était abbé. Les moines le crurent mort, et ils se disposaient à célébrer ses funérailles, lorsqu'il s'agita dans son cercueil, parla comme sortant d'un profond sommeil, et, rendu à la vie, resta trois jours sans boire ni manger. Le troisième jour, il rassembla les moines et leur raconta ce qui suit:

«Lorsque, il y a quatre jours, vous m'avez vu mort <«< dans ma cellule, je fus emporté et enlevé au ciel « par des anges, de sorte qu'il me semblait que j'avais << sous les pieds, non-seulement cette terre fangeuse, « mais aussi le soleil et la lune, les nuages et les astres; << on m'introduisit ensuite par une porte plus brillante « que le jour dans une demeure remplie d'une lumière << ineffable, dont tout le pavé était resplendissant d'or et « d'argent; elle était obstruée d'une si grande multitude « de différents sexes, que, ni en longueur, ni en largeur, « les regards ne pouvaient traverser la foule. Quand les <«< anges qui nous précédaient nous eurent frayé un che<< min parmi les rangs serrés, nous arrivâmes à un en<< droit que nous avions déjà aperçu de loin et sur le<< quel était suspendu un nuage plus lumineux que toute

1 Grégoire de Tours, l. iv, ch. 35, traduct. Guizot, t. 1, 189. 2 Il mourut en 584.

<< lumière; on n'y pouvait distinguer ni le soleil, ni la « lune, ni aucune étoile, et il brillait par sa propre clarté << beaucoup plus que tous les astres; de la nue sortait <<< une voix semblable à la voix des grandes eaux.... M'é« fant placé dans l'endroit qu'on m'indiqua, je fus inondé « d'un parfum d'une douceur exquise, qui me nourrit << tellement, que je n'ai encore ni faim ni soif. J'entendis <«< une voix qui disait : Qu'il retourne sur la terre, car il « est nécessaire à nos Églises. J'entendais une voix, car « on ne pouvait voir celui qui parlait... Ayant donc laissé << mes compagnons, je descendis en pleurant, et sortis « par où j'étais entré.» A ce discours, tous restèrent stupéfaits.... En écrivant ceci, ajoute Grégoire de Tours, saisi d'un scrupule qui s'emparait quelquefois des écrivains du moyen âge, je crains que quelque lecteur ne le trouve incroyable... J'atteste le Dieu tout-puissant que j'ai entendu dire de la propre bouche de saint Sauve ce que je raconte ici 1. »

Ce fut aussi pendant une léthargie qu'un moine d'Evesham eut, en 1496, une vision qu'il raconta longuement à ses frères. Guidé par saint Nicolas, il marcha vers l'orient et arriva dans une plaine marécageuse, où il y avait une si grande multitude d'âmes, que le nombre dépassait tout ce que l'on pouvait imaginer. Chaque pécheur était puni de divers tourments, selon la nature de sa faute et de la profession qu'il avait exercée pendant sa vie terrestre. « La variété des supplices dont j'ai été le témoin était infinie ceux-ci étaient rôtis au feu, ceux-là étaient frits dans des poêles, ceux-ci avaient la chair labourée par des ongles de fer qui mettaient à découvert la charpente os

4 L. VII, ch. 1, collect. Guizot, t. 1, p. 375.

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