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dans le passage curieux où Comines récapitule les sujets de joie qu'eut Louis XI, après la mort de Charles-le-Téméraire : « La joie fut très grande » au roy de se voir au-dessus de tous ceux qu'il » haïssoit, et qui estoient ses principaux ennemis. >> Des uns s'estoit vengé comme du connestable de >> France, du duc de Nemours et de plusieurs au» tres. Le duc de Guyenne, son frère, estoit mort, >> dont il avoit la succession. Toute la maison d'Anjou estoit morte, comme le roy René de Si»cile, les ducs Jean et Nicolas de Calabre, et puis » leur cousin, le comte du Maine, depuis comte » de Provence. Le comte d'Armagnac avoit esté » à l'Estore; et de tous ceux-ci avoit ledit sei» gneur recueilli les successions et les meubles. » On voit, observe à ce sujet M. J. de Chenier, que Louis XI n'oubliait pas ses intérêts, et qu'il fallait beaucoup de malheureux pour faire son bonheur 1.

>>

Ce connétable, dont Louis se vengea avec tant de satisfaction, n'est pas le seul des ennemis du maître que Commines ose louer; mais l'éloge qu'il lui donne vient encore appuyer ce que nous avons dit plus haut. Louis de Luxembourg estoit sage et vaillant chevalier, et qui avoit vu beaucoup; et sans

I. Fragmens du cours de Littérature fait à l'Athénée de Paris en 1806 et 1807. Paris, 1818, in 8o, page 159.

doute s'il le blâmait, c'était moins d'avoir encouru une condamnation capitale pour crime de lèse-majesté, que de n'avoir pas eu l'habileté de s'y soustraire.

Le bon sens de Commines est admirable dans les digressions. Mais quoique son style ait pour destination principale d'enfermer une pensée juste dans un tour énergique, il lui échappe, au milieu de ses narrations, des traits d'imagination qui contrastent avec sa froideur accoutumée. Veut-il peindre des guerriers qui cachaient leur fuite dans les ténèbres? il se sert de cette phrase pittoresque : « La » nuit n'a point de honte. » S'agit-il de montrer Louis XI sur le champ de bataille? il s'exprime ainsi : «< Tous ceux du roy se retirèrent sur le bord » d'un fossé où ils avoient esté le matin, car ils >> avoient crainte d'aucuns qu'ils voyoient mar» cher, qui s'approchoient; et lui fort sanglant, » se retira à eux comme au milieu du champ. » etc. Enfin, n'est-ce pas à Commines que Walter Scott doit les traits les plus vifs du tableau des emportements de Charles-le-Téméraire, des horreurs et des menées de Louis XI à Péronne?

Jacques Du Clerq confirme les faits rapportés par les historiens que nous venons de citer, ou conserve des particularités qu'ils ont omises; telles sont celles relatives aux persécutions qu'éprouvèrent les prétendus Vaudois, où le comte d'Etampes

joua un rôle si odieux ; et qui retomberent principalement sur les membres du corps municipal, dont l'indépendance et l'attachement pour leurs priviléges étaient les véritables crimes, et sur des citoyens opulents dont on convoitait la dépouille. Les personnages qu'il met en scène ont le caractère qu'on leur connaît; quelquefois il les place dans un nouveau jour.

Il existe entre Louis XI et Tibère plus d'un rapport. Tous deux eurent une jeunesse dissolue; l'un fit à Genappe ce que l'autre avait fait à Rhodes. Amis du pouvoir réel, et affectants d'en mépriser les dehors, cruels, actifs, railleurs, superstitieux, ils donnèrent à leur mort le même spectacle. Caprée était une retraite semblable à celle du Plessis-lezTours. La Balue tomba comme Séjan; le duc de Guyenne périt comme Germanicus. Mais Louis avait des desseins plus vastes, et qu'il poursuivait avec plus d'habileté. Grand besogneur en négociations et en rompements de foi, après avoir négocié pour s'agrandir, dit un homme d'esprit, il trompa parce qu'il avait négocié; il tua, parce qu'il avait trompé, et le plus familier de tous les rois en devint le plus sombre.

Sa popularité était moins l'amour des petits que la haine des grands : les idées chevaleresques qui dominaient encore ceux-ci lui coùtaient trop à

combattre; il ne fallait point tant de façons avec des gens qu'il tirait des 'dernières classes de la société. Mais s'il était le roi bourgeois, le duc de Bourgogne représentait le souverain féodal. Qui l'eût cru pourtant? Le prince qui accueillait le mieux les nobles, fut aussi celui qui porta à la noblesse le coup le plus funeste, en la conférant pour de l'argent; exemple qu'avait déjà donné en France Philippe-le-Bel 1; c'est ainsi que l'inconséquence a quelquefois l'air d'une politique profonde, et en recueille le fruit.

Du Clercq n'apprend pas seulement à connaître les personnes, mais les coutumes, les mœurs et quelquefois les institutions; pour en convaincre le lecteur, nous avons réuni les détails de cette nature qu'on trouve épars dans ses Mémoires; et nous avons tâché de donner ainsi une idée de l'état de l'église, de l'armée, de la cour et des lettres, aux Pays-Bas, durant les vingt années dans lesquelles il s'enferme. Nous commencerons par le clergé, qui s'arrogeait le premier rang.

Les mœurs de ce clergé étaient scandaleuses. On lit souvent, dans les anciennes poésies, des

1. Flandriæ Generosa suppl., page 119, et plus bas, où nous avons cité tout le chapitre consacré à Philippe.

plaintes énergiques contre ses débordements. Guyot de Provins s'écrie, dans sa Bible:

Corz de Rome, come estes toute
Plaine de péchiez criminax,
Il n'est nul tant desloyax.

Il n'entendent, ne rien ne dotent,
De tant vilain morsel englotent,
En povres mesons qu'ils destruient,
Quand de lor despense se fuient.
Il n'ont contenance, mesure,
Il ne vivent selon droiture;
Moult menjuent et pou se blecent,
A bien faire petit se drecent;

Il font molt pou de ce qu'ils doivent,
Il sormenjuent, il sorboivent,

Par foi durement i escotent,

Qu'ils enveillissent et radotent, etc. 2.

Dans les Cent Nouvelles nouvelles, les meilleurs tours sont ceux des moines et des prêtres. Un fabliau traduit par Legrand d'Aussy, contient une fiction assez ingénieuse, et qui sert de complément à ce que dit Guyot de Provins : «< Dieu, quand il eut créé le monde, y plaça trois espèces d'hommes, les nobles, les ecclésiastiques et les vilains. Il donna les terres aux premiers, les décimes et les aumônes aux seconds, et condamna les derniers à travailler toute leur vie pour les uns et les autres. Les lots ainsi faits, il se trouva néan

1. Ils boivent et mangent avec excès, ils surmangent, ils surboivent.

2. Recueil de M. Méon, T. II, p. 330, 334.

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