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pour les survivants de leurs bienfaiteurs. Létéric de Châtillon étant mort en Terre-Sainte, après avoir donné ses biens, ils consentent à en partager la jouissance avec sa veuve (1).

Pons de Montempuy reçoit 90 livres nivernaises pour sa terre de Coulonges qu'il abandonne aux religieux à son départ pour la croisade en 1148 (2), et Geoffroi de Pougues, en se croisant contre les Albigeois, en 1209, donne à perpétuité (3) son fief d'Argenvières moyennant un payement de 400 livres de Gien.

Ces contrats témoignent chez leurs auteurs de la difficulté de se procurer de l'argent. Les seigneurs dépourvus de ressources donnaient, au moment de partir, les terres dont ils n'avaient que faire et prenaient les sommes qu'on voulait bien leur verser en échange. On peut expliquer ainsi l'anomalie de ces actes qui stipulent un payement en considération d'une donation.

La donation après décès n'était pas en pratique, parce qu'elle manquait de base certaine et ne produisait pas d'effet immédiat. Hugues de Lurcy avait donné ses biens en se les réservant de son vivant; il part pour la croisade en 1088, et les moines, redoutant d'être frustrés dans l'avenir, obtiennent d'entrer de suite en possession pour la moitié de la jouissance (4). Terminons cette curieuse époque des croisades. par la donation du comte de Vendôme qui, au retour de la Terre-Sainte, tombe malade à La Charité et meurt en prenant l'habit religieux. En reconnaissance des soins qui lui sont prodigués, il charge ses héritiers de constituer une rente de Io livres sur son château de Vendôme (5). L'acte fut passé bien des années après par son petit-fils.

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La générosité poussait parfois les seigneurs jusqu'à l'imprudence. Barthélemi du Mur, ancien compagnon d'armes du prieur Eudes Arpin, auparavant vicomte de Bourges, fait don de tous ses biens et s'engage dans la vie religieuse, immédiatement quant à lui et plus tard pour son fils. Celuici, parvenu à l'âge d'homme, ne se sentit aucun goût pour le cloître, et son père, désolé des conséquences de sa donation, supplia le prieur de revenir sur sa parole. Eudes Arpin se laissa toucher; il rendit au jeune homme la moitié des biens donnés, mais à la condition qu'ils feraient retour au couvent, à défaut d'héritiers légitimes (1).

Les souvenirs de ces vocations monastiques sont des exemples bien touchants de l'alliance, très-fréquente alors, des idées de bravoure guerrière et de foi ardente. Combien de chevaliers, après une vie de pillage et de combats, vinrent déposer leur épée à la porte d'un couvent pour prendre l'habit de moine et mourir dans la paix du Seigneur! Les annales du Nivernais ont raconté la retraite du comte Guillaume II à la chartreuse. Au moment de quitter le monde il se rendit à La Charité et, assisté de ses deux fils, en présence des religieux (2), il renonce solennellement à tous les droits qu'il peut avoir sur les possessions du prieuré.

On peut voir encore une manière de vocation religieuse dans la situation de Sadon de Patinges. Ce seigneur devait hommage à l'évêque de Nevers pour son fief d'Argenvières. Il résigne ses droits sur ce fief à Geoffroi de Pougues, sénéchal de Nevers, et donne tout au couvent, sauf trois de ses vassaux et sa maison de La Charité qu'il convertit désormais en censive, comme celles des autres bourgeois. Il s'engage lui et ses vassaux à être l'homme-lige du couvent et à prêter serment en cette qualité à chaque nouveau

(1) Page 120.

(2) Ch. de 1143, p. 134.

prieur (1). Sadon reçoit une somme de 200 livres plus une rente annuelle de 20 livres en rémunération de ses services. Cet engagement fut ratifié par le pape Innocent III qui le qualifie nobilis vir. Le cas est isolé et n'offre que le caractère d'un traité particulier, mais il rappelle ces ordres fameux de chevalerie consacrés à la défense de l'Église.

Certains chevaliers, tout en restant dans le monde, étaient reçus dans la confrérie des moines et participaient aux prières du couvent. Dalmace de Semur, en 1160, fit au prieuré une donation qui lui procura ce privilége (2). Le comte de Champagne et sa femme étaient depuis 1085 comptés parmi les frères des religieux (3). La pratique des associations de prières s'efface avec le treizième siècle; la séparation des deux vies s'accentue et les moines s'acquittent des prières prescrites sans considérer le donateur comme un frère. Nous ne retrouvons plus cet usage qu'entre couvents. L'abbé d'Orbais ayant fait un long séjour à La Charité, ses religieux demandent au prieuré d'entrer en communauté de prières et rédigent, en 1294 (4), un acte d'engagement à ce sujet.

Les donations permettaient souvent de sortir d'une contestation embarrassante. Umbert d'Ouche, ennuyé des difficultés suscitées par son cousin Séguin de Prye, abandonne la terre en litige aux religieux, qui désintéressent celui-ci à prix d'argent (5). La terre située à Bulcy était un alleu et les moines en jouissent désormais directement.

Il y avait aussi de la part des seigneurs une intention de réparation pour forfaits et brigandages. Si la cause n'était pas toujours exprimée dans l'acte, le fait n'en avait pas moins lieu. Nous en trouvons l'aveu sincère dans une dona

(1) Sado et heredes sui erunt ligii homines prioris, p. 196.
(2) Quando in eorum fraternitate receptus sum, p. 95.
(3) Societatem comitissæ donaverunt, p. 203.

(4) Page 272.

(5) Page 105.

tion de Ebbes de Charenton qui déclare donner un moulin en raison des forfaits qu'il a commis (1).

La donation n'avait aucune forme précise, tantôt partielle et indicative de l'objet, tantôt générale, sans autre désignation d'héritages qu'un nom de paroisse; les termes étaient vagues et incertains, les choses mal définies, les observations naïves, comme celle de Dalmace de Semur qui, dans un élan de générosité, déclare donner en fin de compte tout ce à quoi on peut penser (2). Le défaut de précision dans les actes obligeait à les recommencer quand ils présentaient une certaine importance. Louis VI avait donné à La Charité quatorze muids de froment sur ses moulins de Bourges, sans dire dans l'acte si les muids devaient être ras ou affaités. Louis VII dut reprendre l'affaire et déclara en 1146 (3) qu'au lieu de quatorze les religieux prendraient seize muids. ras. La chose, d'ailleurs, se passait très-simplement à l'époque du Carême, les religieux envoyaient à Bourges un agent qui surveillait le coffre du moulin où l'on versait le blé pour payement de la mouture, et l'agent restait jusqu'au complément des seize muids auxquels il avait droit.

Les ventes par les religieux sont très-rares et les actes qui en étaient l'objet ne trouvaient pas place dans le Cartulaire; une seule mérite d'être citée. Lors de la croisade de 1190, le prieuré, porté par les officiers royaux à une subvention de treize mille sous, se vit dans l'obligation de céder pour pareille somme sa maison de Coulanges-sur-Yonne à Pierre de Courson, devenu célèbre par ses brigandages dans le comté d'Auxerre. Plus tard, les moines voulurent user de leur droit de retour en acquittant la somme engagée. Le Pape intervint, ordonna une enquête (4), mais les moines parais

(1) Pro quibusdam forisfactis que commiseram, p. 215.

(2) Eis quecumque potest excogitari libertatem indulgeo, p. 95. (3) Page 128.

(4) Bulle de 1192, p. 32.

sent avoir eu le dessous, Coulanges-sur-Yonne ne figure plus dans leurs biens. Ce genre d'acte auquel il vient d'être fait allusion est appelé dans nos textes: Vadimonium, pignus, gageria, mutuum (1). C'est le gage, prêt ou avance d'une certaine somme sur la garantie d'une terre. L'intérêt dû au prêteur est remplacé par la jouissance immédiate et, dans le cas de rachat, le prêteur se réserve la préférence pour un nouveau gage. Les religieux de La Charité étaient toujours prêteurs et la plupart du temps ils restaient propriétaires, les chevaliers, à court d'argent, ne parvenant pas à se rédimer.

L'acte de gage semble avoir absorbé tous les autres (2); les donations avec soulte contenaient implicitement un droit de retour pour le donateur et, en somme, quels que soient les termes employés, qu'il y ait eu donation pure et simple, cession perpétuelle ou facultative, la tradition matérielle devait suffire et les moines une fois entrés en possession conservaient toujours les biens.

La forme testamentaire ne plaisait pas, la transmission étant très-difficile, à cause du consentement des héritiers, condition formelle de validité pour les actes entre-vifs et qui faisait défaut aux testaments. On avait alors recours à une confirmation de la part des ayants-cause, comme pour la rente du comte de Vendôme ou pour la donation de Pierre de Courtenay, qui n'était que l'exécution des dernières volontés de son épouse, la comtesse de Nevers (3). Plus tard, vers la fin du treizième siècle, les officialités firent l'enregistrement des testaments et en assurèrent l'exécution (4).

(1) Entre autres p. 113, 115, 123.

(2) Les exemples du vadimonium sont très fréquents: Geoffroi de Talai à Pouilly en 1060 (p. 91); Sadon de Patinges cède et reprend son fief par périodes de cinq années (p. 113 et 195). Dans un accord avec Barthélemi du Mur les religieux se réservent de faire l'avance de cent livres sur ses propriétés (p. 123).

(3) Page 177.

(4) Testament de la dame d'Herry en 1274, p. 258.

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