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NOTICE

SUR LA VIE ET LES OUVRAGES

DE J. RACINE

JEAN RACINE, né à la Ferté-Milon, le 21 décembre 1639, d'une famille noble, fut élevé à Port-Royal-des-Champs, où il fit ses humanités, et où Claude Lancelot, sacristain de l'abbaye, fut son maître dans l'étude de la langue grecque.

Racine montra dès ses premières années un goût dominant pour la poésie, et surtout pour les poëtes tragiques. Il allait souvent se perdre dans les bois de l'abbaye, un Euripide à la main, méditant dès lors les hardiesses heureuses dont il devait enrichir sa langue. Claude Lancelot lui brûla successivement trois exemplaires grecs du roman de Théagène et de Chariclée, qu'il apprit à la troisième lecture.

Après avoir fait sa philosophie au collège d'Harcourt, il débuta dans le monde par son ode sur le mariage du roi, intitulée LA NYMPHE DE LA SEINE. Cette pièce, qu'il publia en 1660, fut jugée la meilleure de toutes celles qui

a

parurent sur le même sujet. Chapelain, que le jeune Racine avait consulté, parla en sa faveur à Colbert, qui lui envoya cent louis de la part du roi, et lui fit donner une pension de six cents livres.

Ce succès détermina sa vocation. En vain un de ses oncies, chanoine régulier et vicaire général d'Uzès, l'appela dans cette ville pour lui résigner un riche bénéfice; Racine, par complaisance, s'appliqua à la théologie, mais sans perdre de vue ses occupations favorites. Étudiant tour à tour saint Thomas, Virgile et l'Arioste, il faisait des extraits des poëtes grecs, lisait Plutarque et Platon, et formait son goût non-seulement à l'école. des anciens dont il devait emprunter les tours, les expressions et les images, mais même à celle de nos vieux auteurs, dans les écrits desquels il cherchait à retrouver le véritable génie de la langue.

L'instinct du talent le rappelait à Paris. Il y revint en 1664, fit connaissance avec Molière, et donna sa première pièce de théâtre, la Thébaïde, ou les Frères ennemis, coup d'essai qui promettait un maître. Il se lia la même année avec Boileau, qui se vantait de lui avoir appris à faire difficilement des vers faciles, et dès ce momen il s'établit entre eux une amitié dont aucun nuage n'altéra jamais la confiance.

Sa liaison avec Molière ne fut pas de si longue durée. Alexandre, joué en 1665, fut l'époque et la cause d'un refroidissement sans retour; mais ils ne cessèrent jamais de s'estimer et de se rendre mutuellement justice. Corneille, à qui Racine lut cette tragédie, lui dit qu'il avait du talent pour la poésie, mais non pas pour le théâtre. Paris en jugea autrement; Alexandre eut encore plus

de partisans que de censeurs, et Saint-Évremont, quoique fidèle, comme disait madame de Sévigné, à ses vieilles admirations, écrivit qu'il ne craignait plus de voir finir la tragédie avec Corneille.

Racine portait alors l'habit ecclésiastique et le titre de prieur de l'Épinay. Mais ce bénéfice ne lui produisit qu'un procès que ni lui ni ses juges n'entendirent jamais.

Il en eut bientôt un autre qui fit plus de bruit. Nicole, en réfutant les rêveries du visionnaire Desmarêts de Saint-Sorlin, traita les poëtes dramatiques d'empoisonneurs des âmes. Racine prit ce trait pour lui, et récrimina par une lettre pleine d'esprit et de sel que les jésuites mirent à côté des Lettres provinciales. Barbier d'Arcourt et Dubois répondirent pour le pacifique Nicole, et donnèrent lieu à une réplique aussi ingénieuse et aussi piquante que la première lettre.

Deux ans après Alexandre, parut Andromaque (1667); Racine avait alors trente ans, et les bons juges durent être frappés de l'intervalle immense qui sépare ces deux tragédies. Aussi cette pièce excita-t-elle le même enthousiasme que le Cid, et eut trop d'admirateurs pour n'avoir pas d'ennemis.

Les chicanes qui l'avaient dégoûté de la poursuite de son bénéfice, la lecture des Guêpes d'Aristophane, et la société de Boileau, de Chapelle et de Furetière, firent naître les Plaideurs. Cette comédie, jouée en 1668, n'eut d'abord qu'un médiocre succès; le suffrage de Molière, el, bientôt après, celui de Louis XIV ramena le public. Britannicus suivit de près Andromaque; mais sa destinée ne fut pas aussi heureuse : cette pièce, « où l'on « trouve, dit Voltaire, toute l'énergie de Tacite exprimée

« dans des vers dignes de Virgile, » parut peut-être offrir un caractère trop sévère dans un temps où un amour romanesque dégradait presque tous les héros du théâtre. Mais si la justice qu'on lui rendit fut tardive, cette tragédie eut du moins le mérite de faire sentir à Louis XIV qu'il est des talents que doit dédaigner un prince, et le poëte eut la gloire de corriger le monarque.

Bérénice, représentée l'année d'après (1671), fut un duel entre Racine et Corneille qu'Henriette d'Angleterre se plut à mettre aux prises la victoire resta au plus jeune; et cette pièce, jugée avec partialité par Fontenelle, et peut-être trop légèrement par Voltaire luimême, ce commentaire admirable de ces trois mots de Suétone, invitus, invitam dimisit, eut la faveur publique et le suffrage du grand Condé.

Racine prit un essor plus élevé en 1672, en traitant le sujet de Bajazet avec une profondeur et un succès qui inspirèrent de la jalousie à Corneille.

Mithridate, joué en 1673, et traité dans le goût de son rival, la justifia encore davantage, et ouvrit à l'auteur les portes de l'Académie française, où il remplaça La Mothe-Le-Vayer.

Iphigénie, qu'il donna en 1675, fit couler plus de larmes qu'elle n'en coûta jadis aux Grecs assemblés en Aulide. Le Clerc, son confrère à l'Académie, osa lutter contre lui, en traitant le même sujet; mais cette malheureuse tentative n'est connue que par sa chute et par une épigramme qui en constate le souvenir.

Tant de succès avaient irrité l'envie pour mettre en défaut sa malveillance, Racine fit mystère de sa Phèdre; mais son secret transpira, et la cabale suscita Pradon,

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