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que j'ai pu me procurer, et me donner enfin sur place tous les renseignements nécessités par l'étude de leur religion.

Dans le Sud de l'Inde, j'ai trouvé des temples splendides, un culte très pur et des prètres aussi exaltés qu'ignorants de leurs propres croyances. Là, les processions d'éléphants, les danses de bayadères, les réceptions religieuses avec salam et guirlandes de fleurs, toutes les pompes extérieures ont été mises en usage pour accueillir le délégué de votre ministère; mais les renseignements religieux ont complètement fait défaut.

Dans le Nord de la Péninsule, au contraire, le culte a perdu ses antiques traditions; les étrangers sont reçus avec indifférence; mais les brahmes, élevés dans les écoles anglaises, sont à même de fournir tous les éclaircissements possibles sur leurs propres idées et sur celles du peuple qui les

entoure.

J'espère que quelques jeunes Indous se décideront à venir travailler à l'école orientale de Lyon. La difficulté à surmonter, c'est que tout individu qui s'éloigne de son pays perd sa caste, et quand on est brahme cela mérite quelques réflexions.

Les savants que j'ai eu l'honneur de voir ont bien voulu me dresser des listes de tous les livres spéciaux que je pourrai trouver à Londres ou à Paris; ils se sont chargés, en outre, de me procurer tous les travaux locaux publiés en brochures, et qu'on ne peut trouver en Europe.

C'est également grâce à leur obligeance que je pourrai avoir peu à peut une collection aussi complète que possible de toutes les représentations divines du pays, et aussi de tous les vases sacrés et objets symboliques qui servent au culte des différentes sectes.

CONCLUSION

En résumé, Monsieur le Ministre, j'espère pouvoir établir à Lyon : 1° Un MUSÉE RELIGIEUX, qui contiendra tous les dieux de l'Inde, de la Chine, du Japon, et de l'Egypte. Ces deux dernières collections sont déjà complètes;

2° Une BIBLIOTHÈQUE des ouvrages sanscrits, tamoul, singalais, chinoisjaponais et européens, traitant particulièrement les questions religieuses; Près de trois mille volumes sont déjà rassemblés ;

3o Une ÉCOLE, dans laquelle les jeunes orientaux pourront venir apprendre le français, et les jeunes Français pourront étudier les langues mortes ou vivantes de l'extrême Orient.

Cette école aura des professeurs indigènes, de croyances différentes. Je

suis déjà assuré du concours de cinq sectes bouddhiques japonaises, de deux sectes bouddhiques indiennes, d'un confucéen et de plusieurs shintoïstes.

J'ai tout lieu de supposer que cette institution, aussi utile aux INTÉRÊTS COMMERCIAUX qu'à la PHILOSOPHIE et à la PHILOLOGIE, sera fréquentée par les nombreux jeunes gens de Lyon, qui se destinent au commerce extérieur ou que l'éloignement de la capitale prive des moyens de se livrer aux études des langues.

Cette école sera en relation constante avec les correspondants spéciaux que j'ai établis dans l'Inde, la Chine, le Japon, et toute personne qui s'intéresse aux questions religieuses pourra y trouver des informations sûres et immédiates.

C'est grâce à cette organisation que je pourrai successivement publier EN FRANÇAIS, AVEC LE TEXTE ORIGINAL EN REGARD, les traductions des documents inédits que j'ai rapportés.

La première publication reproduira les notes manuscrites, rédigées sur mes questionnaires, et remises par les prêtres mêmes des religions qui ont fait l'objet de mes études.

Vous voyez, Monsieur le Ministre, que j'ai fait tous mes efforts pour que la mission dont vous m'avez chargée ne soit pas sans résultats. Il a fallu toute la force que me donnait votre protection officielle pour me permettre d'accomplir en quelques mois ce qui, en toutes autres circonstances, eût nécessité des années.

Croyez que je conserverai le souvenir le plus reconnaissant de cet appui bienveillant et efficace.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre,

De Votre Excellence, le très-dévoué serviteur,
ÉMILE GUIMET.

Une chose que ne dit pas le rapport c'est que, chemin faisant, je me suis attardé à causer avec les lettrés, les artistes, les amateurs et surtout les céramistes de la Chine et du Japon. Je ne pouvais me désintéresser de cette magnifique industrie de la porcelaine qui fait, depuis des siècles, la gloire de l'ExtrêmeOrient; et, parallèlement à mes collections religieuses, je rassemblais des séries de poteries; profitant de mes conversations avec les fabricants pour me renseigner sur les procédés qu'ils emploient de père en fils, éclairant ces explications de mes connaissances d'industriel.

Je revenais en France au moment où l'on préparait l'Exposition universelle de 1878, et, tout en faisant construire à Lyon le bâtiment qui devait être le Musée, j'eus l'idée de faire profiter les Parisiens et les étrangers d'une partie des documents que j'avais rapportés. Une travée des galeries historiques du Trocadéro fut mise à ma disposition. J'y montrais tous les tableaux de Régamey et le contenu des premières caisses ouvertes.

En cherchant à présenter convenablement ces objets, j'eus une sorte de révélation qui me charma; c'est qu'une exposition doit avoir la clarté, l'unité, l'intensité d'une œuvre d'art ; qu'il faut en faire harmonieuses les grandes lignes, y former des points saillants, lumineux, qui arrêtent et y ajouter des parties sombres et calmes dont le mystère attire. Une certaine mise en scène est l'éloquence des choses, surtout quand ces choses doivent instruire. Et, dans les détails, j'éprouvais la jouissance d'ordonner une vitrine, de profiter du classement méthodique pour juxtaposer des pièces qui se font ressortir par la différence des formes, par la variété des couleurs; ou encore de disposer des masses, monochromes qui aident à l'éclat d'un document qu'on veut souligner.

Depuis cette époque j'ai eu bien souvent l'occasion d'organiser des galeries, de composer des vitrines et toujours j'éprouve cette surexcitation émue qu'on ressent en peignant un tableau ou en écrivant une partition.

Le Congrès des Orientalistes de Saint-Étienne, celui de Florence, celui de Lyon que j'organisai, créèrent autour de moi un mouvement scientifique dont profitèrent mes recherches.

Au Congrès de Lyon, à l'occasion des réceptions ou des banquets, je me permis quelques déclarations plutôt humoristiques qui donnent une idée de mes préoccupations: <«< Messieurs, disai-je en inaugurant les bâtiments du Musée, je vous demande de me seconder dans mon entreprise. Aujourd'hui déjà, vous m'avez donné un appui considérable en venant assister à nos travaux scientifiques. Je vais avoir besoin de cet appui, d'une manière constante, pour compléter cette collec

tion, pour la classer, et, enfin, pour avoir un personnel de lecteurs, de visiteurs, d'auditeurs et d'élèves. Car, je cherche à propager la science, à semer de la graine de savants, et si, sur cent graines, une seule prospère, j'aurai atteint mon but. C'est pour cela que je demande votre concours. » Et, à Neuville-surSaône, à la fin d'un banquet : « Il y a des savants qui se cachent, qui se tiennent à l'écart. Ils se choisissent, se comptent, se retirent dans le saint des saints et ferment le rideau derrière eux. Eh bien, moi, je fais des trous au rideau! Je veux voir et je veux que tout le monde voie! >>

Le Musée s'installa rapidement, et, le 30 septembre 1879, M. Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, accompagné de M. Dumont, directeur de l'Enseignement supérieur, et de M. Rambeaud, chef de cabinet, vint en faire l'inauguration solennelle.

J'avais été frappé de l'organisation des Musées d'Amérique, comme le Smithsonian Institut qui ont à côté des collections, leurs conférences et leurs publications et, en outre, des cours que j'avais créés, je fondais deux séries d'ouvrages scientifiques, les Annales du Musée Guimet et la Revue de l'Histoire des Religions.

Je n'avais fait construire qu'un tiers du Musée définitif. Les objets, d'abord assez au large, se resserrèrent, puis ne trouvèrent plus de place. A Paris, j'avais, avenue du Trocadéro, deux grands appartements où j'avais entassé mes dernières acquisitions qui ne pouvaient être présentées à Lyon qu'après l'édification d'une seconde aile du bâtiment.

D'autre part, je m'aperçus qu'à Lyon ne venaient pas les savants, archéologues, philosophes, philologues, qui auraient pu m'être utiles, que là n'aboutissaient pas les documents nécessaires. De plus, les érudits qui pouvaient s'intéresser au Musée se trouvaient rarement en province, tandis qu'à toutes occasions ils visitaient Paris. J'avais fait avec nos publications, nos conférences, les voyages organisés, les fouilles entreprises, les indigènes rassemblés une sorte d'usine scienti

fique, et je me trouvais loin de la matière première et loin de la consommation. Dans ces cas-là on déplace l'usine, c'est ce que je fis: je transportai le Musée à Paris.

Cela n'alla pas tout seul et en tête de ce volume nous reproduisons l'article de la Revue de l'histoire des Religions, qui a raconté les péripéties de cet exode et leurs solutions heureuses.

Depuis cette translation l'institution s'est développée sans cesse. Les dons, les collections arrivent avec une telle abondance que le Musée, ainsi qu'une industrie prospère est amenée à créer des « filliales », se voit forcé d'organiser des succursales en province.

Le musée archéologique de Toulouse bénéficie du trop-plein des objets préhistoriques et la Faculté de médecine de Bordeaux a installé avec beaucoup de goût et de science dans une suite de salles nombreuses qui remplissent plusieurs étages, un véritable musée tout à fait somptueux, rien qu'avec les prêts que nous avons pu lui faire.

Les publications se composent actuellement de cinq séries : la Revue de l'histoire des Religions, les Annales du Musée Guimet, la Bibliothèque d'études, la Bibliothèque de vulgarisation et en plus la Bibliothèque d'Art dont le premier volume va paraître à l'occasion de notre jubilé. Ces ouvrages représentent déjà près de 110 volumes parus, d'une valeur considérable; la collection est estimée 12 000 francs, et comme le service en est fait gratuitement à toutes les Sociétés savantes, à toutes les grandes bibliothèques publiques de l'Europe et de l'Amérique, c'est par centaines de mille francs que l'on peut chiffrer les dons ainsi faits à chaque nation.

Des missions scientifiques ont été données par le Musée en Chine, en Indo-Chine, aux Indes, en Égypte, etc. Elles ont enrichi nos galeries et procuré à nos publications des ouvrages de premier ordre.

Enfin les conférences faites d'abord les dimanches d'hiver dans notre modeste salle de cours ont obtenu un tel succès grâce à la valeur des orateurs et à l'attrait scientifique de leurs com

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