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Cents. Aussi le succès apparent du réformateur fut-il de courte durée; car deux mois plus tard le Grand-Conseil, donnant gain de cause au pouvoir exécutif, accorda solennellement à la Seigneurie le jugement suprême en matière d'excomInunication. Mais l'affaire de Servet était terminée, lorsque cette nouvelle décision fut prise, et nous n'avons par conséquent pas à nous en occuper. Il nous faut revenir au prisonnier qui gémissait dans la geôle, pendant que s'agitait, entre la Seigneurie et les ministres, la question de discipline ecclésiastique.

Servet gémissait, mais d'impatience plus que d'abattement, à en juger par la requête qu'il adressa, le 15 septembre, au Conseil. Cette requête forme un frappant contraste avec celle qu'il lui avait présentée trois semaines auparavant, alors qu'il ne songeait qu'à se tirer d'affaire à tout prix. Elle est en revanche tout à fait d'accord avec les dispositions dont nous avons vu qu'il était animé, depuis qu'il avait connu la situation critique de Calvin. Il signale ouvertement celui-ci comme son persécuteur, soit pour avoir provoqué son arrestation, soit pour avoir dirigé le réquisitoire du ministère public. Il réitère la demande d'un avocat, et sollicite que sa cause soit portée au Conseil des Deux-Cents, auquel il en appelle. Ce dernier désir montre assez que des avis du dehors parvenaient à Servet. Etranger à Genève, il fallait pour qu'il fit cette demande que l'existence des Deux-Cents dans la République, et surtout que les dispositions hostiles de la majorité de ses membres contre Calvin, lui eussent été révélées. Il fallait que ses protecteurs lui eussent fait entrevoir comme possible le succès de son appel; il fallait en un mot qu'il fût mis au courant des circonstances extérieures par des amis puissants. Le geôlier ou soudan, nommé Claude de Genève, membre du parti des Libertins et dévoué à ses chefs (1),

(1) Bonnivard, De l'ancienne et nouvelle police de Genève.

était probablement l'intermédiaire dont se servaient Perrin et Berthelier, s'ils ne s'y employaient pas eux-mêmes, pour donner à Servet soit dans son intérêt, soit dans le leur, des directions qui le missent à même d'embarrasser toujours plus leur adversaire commun. La requête suppose nécessairement cette connivence. Elle était ainsi conçue :

« Mes treshonorés Seigneurs,

« Je vous supplie treshumblement, que vous plaise abreger ces grandes dilations ou me mettre hors de la criminalité. Vous voyés que Calvin est au bout de son roulle, ne sachant ce que doyt dire, et pour son plaisir me veult icy faire pourrir en la prison. Les poulx me mangent tout vif, mes chauses sont descirées, et nay de quoy changer, ni perpoint, ni chamise que une méchante. Je vous avoys présenté une aultre requeste la quiele estoyt selon Dieu. Et pour la empêcher Calvin vous a allégué Justinian. Certes il est malheureux d'alléguer contra moy ce que luy mesme ne croyt pas. Luy mesme ne tient poynt, ni croyt poynt, ce que Justinian a dict de Sacrosanctis ecclesiis, et de Episcopis et Clericis et daultres choses de la religion et sçait bien que leglise estoyt desia depravée. Cest grand honte à luy, encores plus grande quil a cinq semeines que me tient icy si fort enfermé et na iamais allégué contra moy un seul passage.

« Messeigneurs je vous avoys aussi demandé un procureur, ou advocat, comme aviés permis à ma partie, la quiele nen avoyt si a faire que moy, que suys estrangier, ignorant les costumes de ce pays. Toute foys vous lavés permis à luy, non pas à moy, et lavés mis hors de prison davant de cognoistre. Je vous requier, que ma cause soyt mise au Conseil de Deux Cents, aveque mes requestes, et si ien puis appeler là, ien appelle, protestant de tous despans dommages et intérés et de pœna talionis, tant contra le premier

accusateur, que contra Calvin son maistre, qui a prins la cause à soy. Faict en vous prisons de Genève, le 15 de septembre 1553. »

Le Conseil ne paraît pas s'être arrêté à examiner la demande de porter le procès de Servet devant le Conseil des Deux-Cents. Déjà l'année précédente, il avait été invité à faire juger par cette assemblée toutes les affaires criminelles (registre du 1er mars 1552), et il n'avait donné aucune suite à cette proposition, qui apportait un changement fondamental aux Édits, et le dépouillait lui-même d'une juridiction dont il était jaloux. Il passa outre également sur la demande que faisait le captif d'être assisté d'un avocat ; mais quant aux plaintes de Servet sur l'état délabré de sa garderobe, il fut arrêté : « que l'on luy face faire des chauses et vestimens nécessaires, à ses despens. » Il paraît toutefois que cette décision ne fut pas immédiatement exécutée, soit qu'on eût omis d'en charger spécialement quelqu'un, soit qu'une négligence fâcheuse l'eût fait perdre de vue à celui qui devait s'en acquitter. Toujours est-il que Servet demeura quelque temps encore dans un triste dénuement.

Sur le fond même du procès, le Conseil décida que l'on communiquerait au prisonnier les différentes pièces, écrites tant par lui que par Calvin, avec la permission de réponla dernière fois à la réplique du réformateur. Cette communication lui fut faite à l'évêché, le même jour (15 septembre), par Messieurs de la justice.

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Servet profitant de la liberté qui lui était laissée de relever les assertions de Calvin, se mit aussitôt à l'œuvre, mais au lieu de rédiger une réplique suivie, il se contenta de placer à la marge et entre les lignes du mémoire signé par les ministres, des annotations tour à tour explicatives et injurieuses, dans lesquelles il en rectifiait les imputations, ou bien lançait contre Calvin des invectives, plus mordantes encore que celles

de son premier factum, et le défiait par ses bravades. «Nies tu que tu sois homicide? je le prouveray par tes actes. Pour moi, ie suis constant en une cause si iuste, et ne crain point la mort. Tu cries comme un aveugle par les déserts, pource que l'esprit de vengeance brusle en ton cœur. Tu en as menti, tu en as menti, tu en as menti, calomniateur ignorant; en toy est la rage quand tu persécutes à mort. Ie voudroye que toute ta magie fust encores au ventre de ta mère, et qu'il me fust libre de faire un rolle de tous tes erreurs. Vous avez tous assez crié jusqu'ici, ajoute-il, à la suite de ses annotations (1), et vous êtes une graude foule de signataires : mais quels passages avez-vous cités pour établir ce Fils invisible et réellement distinct? Aucun. Ainsi ma doctrine n'est repoussée que par vos clameurs, on ne lui oppose ments, ni autorités.

ni argu<< Michel Servet a signé, seul il est vrai, mais ayant Christ pour très-assuré protecteur. »

En rendant, ainsi annotée, la pièce qui lui avait été remise, Servet l'accompagna d'une lettre d'envoi adressée au Conseil, et dans laquelle il s'excusait d'avoir « escrit au papier mesme de Calvin, » l'ayant fait, afin que le pour et le contre, étant ainsi matériellement rapprochés, on jugeât plus aisément et sans confusion, des questions débattues. Il joignait à sa lettre deux livres, probablement Tertullien et Irénée, dans lesquels il avait fait des renvois pour la commodité, disait-il, de « ceux qui seront commis pour iuger et rapporter. » Il demandait enfin que si Calvin faisait une nouvelle réplique, elle lui fût communiquée. Le Conseil reçut le dossier rendu par Servet, dans la même séance où il prit sa décision touchant l'observation des édits en matière d'excommunication. C'était le lundi 18 septembre.

(1) Calvin n'a pas reproduit ce dernier passage dans la Déclaration. On le trouve en latin au dossier du procès.

Le moment était venu de mettre un terme à la procédure, tant orale qu'écrite, commencée depuis un mois; les édits criminels interdisaient de plus longs délais. En conséquence la Seigneurie décida que l'on montrerait encore à Calvin les réponses de Servet, mais que l'on ne communiquerait point à ce dernier ce que Calvin pourrait écrire. Le réformateur prit connaissance des annotations, et ne jugea pas convenable de rien répondre (1). La procédure était dùment close et le débat entre les deux théologiens terminé. Il ne restait plus qu'à faire des pièces écrites l'usage auquel on voulait les employer. Cessant d'être un procès local, la cause de Servet allait devenir l'affaire de la Réforme suisse.

§ 5. Consultation et réponses des Églises suisses.— Requétes, condamnation, et supplice de Servet.

Le mardi 19 septembre, le Petit-Conseil de Genève, adop tant la proposition faite quinze jours auparavant, résolut d'écrire aux Eglises de Berne, de Zurich, de Schaffhouse et de Bâle, pour leur demander leur avis sur la culpabilité de Servet, et de leur expédier sa missive par un messager d'état. Deux jours furent nécessaires pour copier les mémoires manuscrits échangés entre Calvin et Servet, et ce fut le jeudi 21 septembre que Jaquemoz Jernoz, habituellement employé par la Seigneurie pour porter les dépêches en Suisse, reçut les lettres circulaires adressées soit aux magistrats soit aux pasteurs des quatre villes.

Ces lettres étaient accompagnées des pièces du procès, savoir un exemplaire de la Christianismi restitulio, un

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