Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Je me suis enquis (dit naïvement Du Clercq dans sa Préface) au mieulx que j'ai sceu et pu ; et je certiffie à touts que ne l'ay fait ny pour or, ny pour argent, ny pour sallaire, ny pour compte (1) à prince qui soit, ny homme, ny femme qui vescut. Ne voulant ainsy favoriser, ny blasmer nul à mon pouvoir, fors seulement déclarer les choses advenues ; je prie tout prince, chevaliers et seigneurs, si j'ay en ce mis chose qui desplaise, que sur moy ne le veuillent imputer à mal ; car ne l'ay fait à nulle intention de nuyre, ou vitupérer personne par hayne : aussy s'il y a quelque chose qui plaise, qu'il ne m'en soit point sceu de gré; car ne l'ay fait pour l'amour d'aulcun, ny pour en amender.

Les diverses comparaisons que nous avons faites des récits de Du Clercq, avec ceux des historiens de son temps les plus accrédités, déposent en faveur de sa véracité. L'accord qui règne entre eux sur les mêmes faits qu'ils racontent, est une épreuve de son exactitude, lorsqu'il est question d'anecdotes intéressantes négligées par ses contemporains, et scrupuleusement recueillies par lui seul. Ce sont ces détails particuliers sur-tout que nous avons cru devoir conserver; car nous ne dissimulerons point que nous avons retranché de ces Mémoires tout ce qui ne serait qu'une répétition de ce que l'on a déjà lu dans ceux de Richemont et d'Olivier de la Marche, ou de ce qu'on lira dans Commines et dans la savante préface de Lenglet.

Nous convenons encore, que nous avons été tentés plus d'une fois de refondre entièrement le style de Du Clercq, souvent incorrect, diffus et plein d'expressions populaires. Mais ce que le lecteur y aurait gagné, ne s'acquiert jamais qu'aux dépens d'un bien réel. L'historien qu'on veut faire connaître n'a plus sa physionomie; il a perdu son caractère d'originalité. Cette réflexion a d'autant plus aisément retenu notre plume, que nous atteignons l'époque heureuse où la plu

(1) Complaire. F. D. R.

part des auteurs, qui paraîtront désormais dans cette collection, doivent plaire autant par les agrémens d'une diction naïve, que par la clarté avec laquelle leurs Mémoires sont rédigés.

A ces Mémoires de Du Clercq, nous avons joint deux pièces qui méritent l'attention du lecteur La première (1) est une lettre de la Pucelle d'Orléans, qui n'a jamais été imprimée, et qui peint le caractère fier et singulier de cette fille célèbre. Cette lettre est accompagnée de remarques et d'observations judicieuses. Elles sont l'ouvrage d'un savant, membre de deux académies, aussi recommandable par sa modestie que par la sagesse de son esprit, par la profondeur de son érudition, que par l'application qu'il en a faite à éclaircir les points les plus importans de notre histoire.

La seconde pièce est relative à Jacques Cœur (2). On y relève des erreurs accréditées par le témoignage de plusieurs écrivains, qui, dans leurs recherches, se sont écartés des bonnes sources. Vient ensuite l'extrait d'un ouvrage attribué au même Jacques Cœur. C'est un état des finances du royaume, sous Charles VII, accompagné du tableau de la recette et des dépenses de ce monarque. Ce morceau, presqu'ignoré, nous a paru digne d'être tiré de l'oubli.

Avant de terminer cette notice, qu'il nous soit permis de témoigner notre reconnaissance à MM. les religieux de l'abbaye de Saint-Vaast, qui ont bien voulu nous ouvrir leurs archives. Nous remercions aussi les hommes éclairés qui, par amour pour les lettres, nous ont facilité les moyens d'étendre nos recherches, et de donner un nouveau prix à cette collection.

(1) Voyez à la suite de ces Mémoires l'Observation, No 1. (Nous avons suprimé cette pièce. Voy. la Préface et T. IV, pag. 340. (2) Voyez l'Observation No 15. (T. IV, pag, 346,

F. D. R.)
F. D. R.)

DES MÉMOIRES

DE

JACQUES DU CLERCQ

ET DU FRUIT qu'on en peut tirer.

LES personnes habituées à la lecture des anciens conçoivent difficilement l'intérêt que présentent nos gothiques annales. Chez les historiens grecs et latins, les événemens se pressent, s'accumulent, se rapportent tous à un centre commun. Dans les beaux temps de leurs républiques, les Romains et les Grecs étaient des factieux, qui conspiraient pour le salut ou la prospérité de la patrie. On dirait qu'il n'y avait d'intéressant dans le monde que Rome, Athènes ou Sparte, et que le reste était fait servir d'ornement et de spectacle à leur gloire. Qu'était-ce que l'Afrique auprès des projets ambitieux d'un tribun? A côté de Péricles ou de César, l'Asie se montrait bien petite. Il paraîtrait que l'histoire a suivi la

TOME I.

2

pour

distribution maintenue dans notre littérature, partagée en classique et en romantique. Là, les unités de temps, d'action et de lien sont observées, parfois aux dépens de la vérité; ici on les viole sans scrupule, on se laisse entraîner par les événemens qui prescrivent impérativement les règles au lieu de s'y soumettre. D'un côté il y a plus d'art, de l'autre plus de conscience: et comme nous courons après la franchise en littérature, faute d'en mettre dans nos transactions sociales, nous oublions parfois les mensonges pompeux des Tite-Live et des Hérodote, pour les récits grossiers mais fidèles de nos chroniqueurs. Les historiens, dit Montaigne, sont ma droite balle. Mais il semble qu'il préférait la causerie des mémoires à l'ensemble imposant de ces grands tableaux qui représentent toute une époque. Celle où nous vivons aurait pu le satisfaire de tous côtés les mémoires abondent; chacun se croit obligé d'accumuler les matériaux : quand se montrera l'architecte?

Les Mémoires de Du Clercq ne sont ni un plaidoyer ni un acte d'accusation; il écrit simplement ce qu'il a vu, ce qu'on lui a conté. Son style est incorrect et diffus; ses phrases interminables, surchargées de répétitions, s'enchaînent au moyen des pronoms relatifs, et souvent même restent suspendues comme un roc. Le dialecte, de sa province introduit dans le récit une foule de locutions barbares, rendues plus méconnaissables encore par les fautes des copistes. Plus timide que superstitieux, il n'ose omettre aucun prodige, le moindre conte populaire; mais, comme s'il rendait tous bas hommage à la vérité, il a soin d'ajouter qu'il s'en rapporte à ce qui en est. Une multitude de circonstances ignobles ou puériles prennent place à côté des événemens les plus graves.

Quand il parle de ce qui s'est passé dans des contrées éloignées, il tombe en des fautes grossières; mais ce qui regarde la France et son pays lui est bien connu. Seul il a fait connaître sans dissimulation les désordres que tolérait la facilité de Philippe, et les horribles excès commis par l'avidité de ses courtisans. Le caractère du duc de Bourgogne et de son fils, celui de Louis XI, ne sont point tracés expressément, mais Du Clercq fournit des couleurs précieuses pour cette peinture. En le lisant avec une curieuse attention, on recueille chez lui une foule de détails de moeurs que rejette l'historien proprement dit, quoiqu'ils donnent de l'individualité et ce qu'on appelle de la couleur aux choses et aux personnes. Enfin il répond par des faits aux déclamations de ces critiques chagrins qui s'obstinent à voir dans l'éveil de la raison publique une émeute, dans la génération nouvelle une race dépravée et maudite, indigne des siècles passés ; et ce service qu'à son insçu il rend au bon sens et à la philosophie, il faut lui en tenir compte. Présentés par d'autres que par lui, ou par ses contemporains, ces faits seraient réputés calomnieux; mais que dire à un apologiste du jour qui s'achève et de celui qui commence, s'il vivait il y a près de quatre cents ans?

Du Clercq traverse une époque d'environ vingt années. Les événemens qu'il raconte ont été retracés par Monstrelet (1), Commines (2) et Olivier de la Marche (5).

(1) Il commence en 1400 et finit en 1453, époque de sa mort. Son continuateur l'a porté jusqu'en 1467, et différens éditeurs, par d'autres continuations, l'ont prolongé jusqu'en 1516. M. Dacier a soupçonné que le premier continuateur était JACQUES DU CLERCQ.

(2) Il commence en 1464 et finit en 1498. (3) Il commence en 1435 et finit en 1492.

« AnteriorContinuar »