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Le premier a tous les défauts de Froissart, excepté sa partialité pour les Anglais, et s'approprie rarement les qualités louables de l'écrivain qu'il continue. Mais il est juste d'ajouter que la principale cause de sa diffusion, la multiplicité des pièces originales qu'il conserve, est précisément ce qui le rend précieux à ceux que n'effraie pas une instruction pénible pourvu qu'elle soit solide. Le curé de Meudon lui reproche d'être baveux comme un pot à moutarde. C'est encore là une de ces bouffonneries de Rabelais auxquelles bien des gens font semblant de trouver du sel et d'entendre malice. Le style d'Olivier de la Marche, moins vieilli que celui de Monstrelet, est peutêtre aussi moins agréable. Cet écrivain attaché à la cour dès sa plus tendre jeunesse, mais n'ayant jamais pris part aux affaires importantes, n'a pas toujours vu les choses du côté remarquable. Les joûtes, les fêtes, les costumes de la noblesse, les graves futilités du cérémonial l'occupent trop souvent, et quoiqu'il soit en général plein de candeur et de sincérité, on lui a reproché d'avoir, dans le récit de la guerre des Gantois contre le duc Philippe de Bourgogne, manqué d'exactitude sinon de bonne foi. Commines lui-même n'a pas échappé à ce reproche en d'autres occasions, mais l'accusation paraît hasardée. On sait que Montaigne en faisait une estime particulière, et que sur son exemplaire il avait écrit : « Vous » y trouverez le langage doulx et agréable d'une naïfve >> simplicité; la narration pure, et en laquelle la bonne foy » de l'auteur reluit évidemment, exempte de vanité, par» lant de soy, et d'affection et d'envie parlant d'aultruy; >> ses discours et enhortements accompagniez plus de bon » zèle et de vérité, que d'aulcune esquise suffisance; et, >> tout partout, de l'autorité et gravité, représentant son

> homme de bon lieu et eslevé aux grandes affaires (1). » C'est là en effet le caractère distinctif de Commines. Sérieux, réfléchi, profondément versé dans la connaissance des hommes et des cours, il pardonnait à la puissance, même quand il s'agissait de lui-même (2), les haines, les fureurs, les vengeances, pourvu qu'elles ne la précipitassent dans aucun danger. La sagesse était le premier mérite à ses yeux; ainsi appelait-il cette prudence toujours maîtresse de soi, qui tend au but avec patience et ne dédaigne pas la ruse et l'intrigue. Moins attaché à la droiture par amour de la vertu, que parce que la justesse de son jugement lui montrait en elle les plus sûrs moyens de stabilité et de succès, il ne semble pas avoir eu assez d'éloignement pour cette politique dont l'Italie se glorifiait alors, que le duc de Milan croyait enseigner à Louis XI, et qui a de nos jours établi cette maxime, à l'occasion d'un épouvantable forfait : c'est pis qu'un crime, c'est une faute. Manière d'envisager les événemens qui se décèle dans le passage curieux où Commines récapitule les sujets de joie qu'eut Louis XI après la mort de Charles-le-Téméraire: « La joie fut très grande au roy » de se voir au dessus de tous ceulx qu'il haïssoit, et qui >> estoient ses principaulx ennemys. Des uns s'estoit vengé » comme du connétable de France, du duc de Nemours et » de plusieurs aultres. Le duc de Guyenne son frère estoit

(1) Liv. II, ch. 10.

(2) Avec quelle simplicité il parle du traitement que Charles VIII lui fit essuyer! « Je crois, dit-il, que j'ai été l'homme du monde à qui il a fait le plus de rudesse ; mais cognoissant que c'estoit en sa jeunesse, et qu'il ne venoit pas de lui, ne lui en sceus jamais mauvais gré. » 11 passa huit mois au château de Loches, enfermé daus une de ces cages de fer qu'avait imaginées I.a Balue. « Plusieurs les ont maudites, dit-il, et moi aussi qui en ai tâté sous le roi d'à-présent, »>

» mort, dont il avoit la succession; toute la maison d'Anjou >> estoit morte, comme le roy René de Sicile, les ducs Jean » et Nicolas de Calabre, et puis leur cousin, le comte du >> Maine, depuis comte de Provence. Le comte d'Armagnac » avoit esté tué a l'Estore; et de tous ceux-ci avoit ledit sei» gneur recueilli les successions et les meubles. » On voit, observe à ce sujet M. J. de Chenier, que Louis XI n'oubliait pas ses intérêts, et qu'il fallait beaucoup de malheureux pour faire son bonheur (1).

Ce connétable dont Louis se vengea avec tant de satisfaction n'est pas le seul des ennemis du maître que Commines ose louer ; mais l'éloge qu'il lui donne vient encore appuyer ce que nous avons dit plus haut. Louis de Luxembourg estoit sage et vaillant chevalier et qui avoit vu beaucoup, et sans doute s'il le blâmait, c'était moins d'avoir encouru une condamnation capitale pour crime de lèse-majesté, que de n'avoir pas eu l'habileté de s'y sous

traire.

Le bon sens de Commines est admirable dans les digressions. Mais quoique son style ait pour destination principale d'enfermer une pensée juste dans un tour énergique, il lui échappe au milieu de ses narrations des traits d'imagination qui contrastent avec sa froideur accoutumée. Veut-il peindre des guerriers qui cachaient leur fuite dans les ténèbres? Il se sert de cette phrase pittoresque : « La nuit n'a point de honte. » S'agit-il de montrer Louis XI sur le champ de bataille? il s'exprime ainsi : << Tous ceux du roy se retirerent sur le bord d'un >> fossé, ou ils avoient esté le matin, car ils avoient crainte >> d'aucuns qu'ils voioient marcher, qui s'approchoient: et

(1) Fragmens du cours de Littérature fait à l'Athénée de Paris en 1806 et 1807; Paris, 1818, in 8°, pag. 159,

» lui fort sanglant, se retira à eulx comme au milieu du » champ. »>etc. Enfin n'est-ce pas à Commines que Walter Scott doit les traits les plus vifs du tableau des emportemens de Charles-le-Téméraire, des terreurs et des menées de Louis XI à Péronne?

Jacques Du Clercq confirme les faits rapportés par les historiens que nous venons de citer, ou conserve des particularités qu'ils ont omises; telles sont celles relatives aux persécutions qu'éprouvèrent les prétendus Vaudois, où le comte d'Étampes joua un rôle si odieux, et qui retombèrent principalement sur les membres du corps municipal dont l'indépendance et l'attachement pour leurs priviléges étaient les véritables crimes, et sur des citoyens opulens dont on convoitait la dépouille. Les personnages qu'il met en scène ont le caractère qu'on leur connaît, quelquefois il est placé dans un nouveau jour.

Il existe entre Louis XI et Tibère plus d'un rapport. Tous deux eurent une jeunesse dissolue; l'un fit à Genappe ce que l'autre avait fait à Rhodes, Amis du pouvoir réel et affectant d'en mépriser les dehors, cruels, actifs, railleurs, superstitieux, ils donnèrent à leur mort le même spectacle. Caprée était une retraite semblable à celle du Plessis-lez-Tours. La Balue tomba comme Séjan; le duc de Guyenne périt comme Germanicus. Mais Louis avait des desseins plus vastes et qu'il poursuivait avec plus d'habileté. Grand besogneur en négociations et en rompemens de foi, après avoir négocié pour s'agrandir, dit un homme d'esprit (1), il trompa parce qu'il avait négocié; il tua, parce qu'il avait trompé, et le plus familier de tous les rois en devint le plus sombre.

(1) Courrier Français, 16 juillet 1823, article signé M.

Sa popularité était moins l'amour des petits que la haine des grands : les idées chevaleresques qui dominaient encore ceux-ci lui coûtaient trop à combattre; il ne fallait point tant de façons avec des gens qu'il tirait des dernières classes de la société. Mais s'il était le roi bourgeois, le duc de Bourgogne représentait le souverain féodal. Qui l'eût cru pourtant? Le prince qui accueillait le mieux les nobles fut aussi celui qui porta à la noblesse le coup le plus funeste, en la conférant pour de l'argent, exemple qu'avait déjà donné en France Philippe-leBel (1); c'est ainsi que l'inconséquence a quelquefois l'air d'une politique profonde et en recueille le fruit.

Du Clercq n'apprend pas seulement à connaître les personnes, mais les coutumes, les mœurs et quelquefois les institutions; pour en convaincre le lecteur, nous avons réuni les détails de cette nature qu'on trouve épars dans ses Mémoires, et nous avons tâché de donner ainsi une idée de l'état de l'Église, de l'armée, de la cour et des lettres, aux Pays-Bas, durant les vingt années dans lesquelles il s'enferme. Nous commencerons par le clergé qui s'arrogeait le premier rang.

Les mœurs de ce clergé étaient scandaleuses. On lit souvent, dans les anciennes poésies, des plaintes énergiques contre ses débordemens. Guyot de Provins s'écrie dans sa Bible:

Corz de Rome, come estes toute
Plaine de pechiez criminax,

Il n'est nul tant desloiax.

(1) Flandriæ Generosæ suppl., p. 119, et plus bas où nous avons cité tout le chapitre consacré à Philippe.

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