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moins curieux ici que Du Clercq. Je rapporterai, dit-il, un passage des chroniques de Monstrelet: il parle, à la vérité, de malheureux qui n'avaient avec les Vaudois, de commun que le nom mais il parle aussi des persécutions que ce nom excita, et il mérite ainsi, à tous égards, de figurer au milieu des horreurs de la barbarie et du fanatisme (1). «En cette année 1459,en la ville d'Ar>> ras ou pays d'Artois, advint un terrible cas et pitoya»ble, que l'on nommoit Vaudoisie, ne sais pourquoi ; >> mais l'on disoit que ce estoient aulcunes gens, hom» mes et femmes, qui, de nuit, se transportoient en aul>> cuns lieux arriere de gens, es bois ou es deserts....... et >> trouvoient illecq un diable en forme d'homme, duquel >> ils ne veoient jamais le visage, et ce diable leur lisoit ou >> disoit ses commandements et ordonnances, et comment » et par quelle maniere ils le devoient adorer et servir. >> Puis faisoit par chascun d'eulx baiser son derriere, et » puis il bailloit a chascun un peu d'argent. Et finablement >> leur administroit vins et viandes en grandes largesses >> dont ils se repaissoient; et puis tout a coup chascun >> prenoit sa chascune, et en un point s'eteindoit la lu» miere, et cognoissoient l'ung l'autre charnellement ; >>et, ce fait, tout souldainement se retrouvoit chascun en >> sa place, dont ils estoient partis premierement: pour >> cette folie feurent prins et emprisonnés plusieurs no» tables gens de ladite ville d'Arras, et aultres moin>> dres gens, femmes folieuses (de mauvaise vie) et aul» tres, et feurent tellement gehennés (torturés) et si » terriblement tourmentés, que les ungs confesserent le >> cas leur estre tout ainsi advenu comme dict est (2). »

(1) Esprit de l'Église, T. VI, p. 266.

(2) T. III, fol. 84. Paris, 1572.

Du Clercq, avec sa modération ordinaire, laisse entrevoir sa pensée touchant la Pragmatique-sanction. Il ne dissimule pas les abus qu'elle avait fait naître, mais semble apprécier le bien qu'elle devait produire. Il rap porte la satire allégorique que l'on dirigea contre le cardinal d'Albi et que les clercs de l'Université représentérent: c'étaient des rats qui mangeaient les sceaux de la pragmatique et qui, après le repas, avaient la tête rouge. « Icelluy cardinal, ajoute Du Clercq, estoit le plus » grand clerc qu'on sceut estre : il estoit grand orateur » et grand promecteur, mais tenoit peu ce qu'il pro>> mectoit: il estoit fort convoiteulx et ne lui estoit rien >> impossible a entreprendre, mais qu'il y euist prouf» fit (1). »

Notre auteur ne fournit qu'un exemple des empiétemens du clergé sur l'autorité civile, et il nous convainct que Philippe savait au besoin se faire respecter par les moines.

»

En 1459, le 23 de mai, « après disner Jehan Piccavé, » huissier d'armes de Philippe, duc de Bourgogne, ac»compagné de plusieurs gens, entra en l'eglise Nostre >> Dame des Carmes, lez Arras, et illecq en rompant et >> faisant rompre les huys que on avoit clos contre lui, >> feit desmollir et despechier une brasserie que lesdits carmes avoient fait faire, par mandement du duc, impetré a la requette de ceulx de la ville d'Arras, et >> ne l'avoient lesdits carmes vollu desmollir ladite bras>> serie, jasoit ce que le duc leur en euist rescript par >> deux fois ou plus (2). » Ces révérends pères essayaient de soutenir un siége, comme représentans de l'Église

(1) T. IV, p. 22.
(2) T. II, p. 345.

militante. En effet les champions du tabernacle tenaient alors la houlette et le glaive. Occupons-nous de ceux qui, par destination, ne défendent que des intérêts profanes et à qui l'épée semble mieux convenir.

Le système militaire était encore trop imparfait pour qu'on pût exécuter avec suite de grandes entreprises et arrêter un plan compliqué. Les seigneurs accouraient avec leurs vassaux, souvent mal équipés, presque toujours mal ou point payés; on pillait le pays, on brûlait des châteaux et des villages, on faisait ce qu'on appelle une pointe, puis l'on se débandait et l'on retournait dans ses foyers. Quelquefois ces gens, une fois armés, restaient en troupe, et, au lieu de servir leur seigneur, faisaient la guerre des grands chemins sous le nom d'écorcheurs ou de retondeurs. Il arrivait aussi que le seigneur ne rougissait pas de s'associer à ce brigandage et d'en recueillir les profits. Tel était ce Guillaume de la Marck qu'on surnomma le Sanglier des Ardennes. Cependant la régularité commençait à s'introduire dans le service. Philippe-le-Bon et sur-tout Charles-le-Hardi eurent une milice permanente. On donna plus d'attention au matériel des armées qui devinrent plus nombreuses. La discipline fut aussi plus sévère et les rivalités des seigneurs qui nuisaient à l'unité, par conséquent à la force du commandement, durent plier sous la main de fer du fougueux Charollois. Lorsqu'il fut maître de Dinant en 1466, il défendit qu'on outrageât les femmes : « Mais il en y >> eut aulcuns qui ne cesserent, desquels le comte en » feit pendre trois..... lesquels, publiquement et en plein » jour, feit venir parmy l'ost trois fois, adfin que chas>> cun prist exemple, et puis les feit pendre a ung gibet.

>> Laquelle justice feit cesser que on n'osat plus les femmes >> violer; car le comte aussy avoit juré que touts ceulx » qui violeroient femmes, FUISSENT NOBLES OU NON NO>> BLES, qu'il les feroit mourir (1). » Cette rigueur était à sa place, mais quelquefois elle dégénérait en férocité. Souvent le comte frappait ses gens d'armes et «menaçoit » de faire mourir prestement dès qu'ils ne faisoient a sa » vollonté, et pour peu de chose, comme on disoit; il » tua un archier, pour ce qu'il ne se tenoit pas bien en > ordonnance, et s'y n'estoient pas devant leurs ennemys; >> pour telles choses et moindres, plusieurs en blessa et » navra, et mesme ferit plusieurs nobles hommes et >> hommes d'armes, et n'y avoit sy grand homme ne ar>> chiers qui ne le crenissent, et n'y avoit point tant d'a» mour que de crevecoeur (2). » Dans un autre endroit Du Clercq dit encore : « Il n'y avoit sy grand sur qui il » n'euist frappé de quelque baston qu'il tenist, quant il >> les trouvoit en desroy, ou qu'ils ne faisoient ce qu'il >> commandoit, et n'euist epargné de faire mourir, en >> cas de desobeissance, NON PLUS LE GRAND QUE LE PE» TIT (3). » Ce fut peut-être cet emportement qui occasionna sa mort ; en effet quelque temps avant la bataille où il perdit la vie, il avait insulté Nicolas de Montfort, comte de Campo-Basso, dans le royaume de Naples, en lui appliquant un soufflet avec son gantelet. On n'ignore pas que Campo-Basso passa du côté des ennemis; mais il est vrai qu'il trahissait déjà son maître avant d'en avoir été outragé. Louis XI lui-même en avait averti Charles qui refusait de le croire. D'après une tradi

(1) T. IV, p. 278.

(2) T. IV, p. 262. (3) T. IV, p. 239.

TOME I.

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tion populaire dont Walter Scott a tiré parti en la rectifiant, Commines, dans sa jeunesse, se trouvant à la chasse avec le comte de Charollois, le prince lui avait dit de lui tirer ses bottes; Commines, abusant de la familiarité qui régnait entre le comte et lui, avait réclamé ensuite le même service de sa complaisance; le prince mécontent de ce manque de respect, l'avait frappé de sa botte à la tête, d'où lui était resté le surnom de téte bottée (1). Le mouvement de colère du comte de Charollois paraît naturel; l'indiscrétion attribuée à Commines n'était pas dans son caractère mesuré, et Walter - Scott l'a senti.

La terreur que Charles inspirait retenait les soldats, quoiqu'ils fussent mal payés; on prétendait que le maréchal. de Bourgogne dérobait quelquefois une partie de l'argent destiné aux troupes. Aussi le duc Philippe s'écria-t-il un jour dans un accès de fureur: « Qu'esse-cy? Jamais je ne >> croirai personne a payer mes gens d'armes, que je ne les >> fasse payer moy mesme : suis-je donc mis en oubly (2)?» C'étaient les provinces qui en souffraient. Durant la guerre contre les Liégeois, les gens d'armes, malgré la crainte que leur causait le fils du duc, « tenoient, pour ce qu'ils >> ne pouvoient entrer au pays de Liége, moult grande » cruauté, car ils ne se pouvoient tenir ensemble sans » argent; sy se partirent par le plat pays de Braband, » Namur et ailleurs, et y en avoit jusques au pays de » Lorraine, et jusques a Vallenciennes ; pourquoi les dits >>pays, par iceulx quinze jours durants, feurent encore » tout pilliés et mangiés (3). » Heureusement pour le duc

(1) Biogr. Univ. T. IX, p. 349.

(2) T. IV, p. 261.

(3) T. IV, p. 247.

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