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et gouverner l'Eglise. Cestuy Duc tint le saint siège apostolique par plusieurs années, fit et ordonna de nouveaux cardinaux, et si le appeloit-on le pape Felix.

Quand le bon pape Felix sceut que le pape Eugène étoit allé de vie à trépas, l'église de Rome voulut faire une élection au saint siège apostolique, et fut eslu pape Nicolas. Et le bon pape Félix, meu de pitié et de compassion et aussi par deschisme en la sainte Eglise Catholique 88), révoqua le concile de Bâle et le transféra à Lausanne auquel lieu tous ses cardinaux s'étant trouvés, et là publiquement, purement, librement et simplement céda, quitta et résigna au pape Nicolas V tout droit et action en la dignité papale. Ce qu'il fit en très grande humilité et objection de soy-mesme, n'ayant égard sinon à la tranquillité de la sainte Chrestienté. A quoy ayant égard le concille de Lausanne nomma le duc Amé Eveque de Sabine, Cardinal de Sainte Eglise romaine, légat et vicaire perpétuel du saint siège apostolique par toutes terres et jurisdictions du duc de Savoie, prince de Piémont, marquis de Montferrat, semblablement en la province de Lyon deça la Saone, et par les Diocèse d'Aouste, Lausanne, Bâle, Strasbourg, Constance, Coyre et Syon. Les quelles choses eurent lieu à Lausanne aux septiemes calandes de may l'an mille quatre cents quarante neuf 89).

85) La sainte Eglise étoit divisée entre deux chefs: les François au commencement favorisoient Pape Felix, et autant en faisaient les Suysses, le duc de Milan et les pays de Savoie et Piedmont, comme aussi le roi d'Espagne. D'autre part la plupart d'Italie étoient favorables au pape Eugène, comme les Vénitiens, les Florentins, quasi toute Toscane. Aussi le duc Philippe de Bourgogne, encore qu'il fût neveu du pape Felix, favorisoit Eugène, car il étoit survenu entr'eux quelque grabuge qui enfin porta grand dommage au pape Felix. L'Empereur d'Allemagne Frederic III favorisoit Felix au commencement, mais à la fin se départit de lui. Les villes et pays d'Allemagne se Dommoient neutres (Paradin.)

89) Au nombre des six chevaliers qui accompagnèrent Amédée dans sa retraite de Ripaille était Henri de Colombier, son conseil et son ami. Il fut l'un des plus illustres parmi les seigneurs du château de Vafflens. De bonne heure il s'était attaché aux princes de Savoie. En

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Ici finissent les Chroniques de Savoie. Celle de maître Cabaret s'arrête même brusquement à la minorité d'Amédée VIII, et le chapitre qui concerne ce Duc pontife est entièrement de la composition de Simphorien Champier qui, écrivant un peu plus tard, a osé dire quelque chose de cette biographie difficile à traiter. Si extraordinaire, en effet, que soient les gestes des premiers comtes de Savoie, ceux d'Amédée VIII, le premier Duc, leur successeur, le sont encore plus, et il faut pour les croire qu'ils soient attestés par les documens les plus authentiques et les actes même de deux conciles. Ce que dit Champier de ce fameux personnage, qui abdiqua le pouvoir, se retira à Ripaille pour vivre en solitaire, fut ensuite pape sous le nom de Félix V, puis Cardinal légat et administrateur de plusieurs Evêchés importans, sans pour cela jamais cesser de diriger les affaires de Savoie sous le faible gouvernement de son fils le duc Louis; rien de cela n'est romanesque. Ces détails singuliers n'ont rien que de parfaitement vrai.

Perrinet du Pin, auteur de la Chronique du Comte Rouge,

1397 il figure au nombre des grands feudataires du Pays de Vaud qui soutinrent le malheureux Othon de Grandson contre les accusations de Gérard d'Estavayer. En 1407 devenu conseiller du Comte Amé VIII il est chargé de négociations importantes et il exerce en 1417 les fonctions de capitaine de Piémont. Il fut en 1426 l'un des négociateurs de la paix entre Milan et Venise. Quand Amédée, fatigué du bruit du monde, éprouva le besoin de jouir du calme que donnent la retraite et la religion, c'est à Henri de Colombier et a Claude de Saix, seigneur de Rivoire, qu'il confie son projet de fonder un ordre de chevalerie séculière qui allierait la solitude avec les affaires. A la tête de ces premiers chevaliers de Saint Maurice nous retrouvons Henri de Colombier. Tous devaient être gentilshommes, sans reproche, et faire voeu de continence. Les logemens de leurs hermitages étaient séparés. Chaque chevalier avait le sien dans une tour, celle du Prince plus élevée que les autres.

Amédée visita souvent Henri, son ami et son conseiller, dans son château de Colombier sur Morges ou l'on voit encore son portrait en habit pontifical peint sur la muraille d'une chambre. Du moins c'est l'explication que l'on donne de cette image coiffée de la thiare.

qui complète et amplifie celle de Cabaret, pour le règne de ce prince, avait entrepris, comme nous l'avons vu au commencement de ce travail, une Histoire complète d'Amédée VIII pour laquelle il avait sollicité des matériaux de la duchesse Yolande de Chypre, femme du duc Louis, qui pouvait mieux que personne les lui faire obtenir puisqu'elle était absolument Dame et maîtresse sous le règne de son époux. Cet ouvrage ne nous est pas parvenu et il y a lieu de croire que s'il a été entrepris, il n'a pas été achevé ou qu'il a été détruit pour quelque motif important. L'imprimerie, qui venait d'être découverte en ce moment, multipliait déjà les productions des auteurs au point qu'un Chrouiqueur de cour, dont le travail était censé devoir rester secrêt entre l'écrivain et le prince qui le commandait, devait craindre d'exercer sa plume sur une histoire scabreuse. Quelque solennelle et digne qu'ait été l'abdication de Felix V, les années de son pontificat seront toujours pour l'histoire de l'Eglise et pour celle de l'Europe à la fin du moyen âge une période difficile, un pas périlleux à franchir. Le temps des Chroniques est déjà passé et l'on entre alors dans une autre voie que les grandes inventions du quinzième siècle, la découverte d'un nouveau monde, la chute définitive de l'empire de Byzance, ouvrent aux historiens. Mais ce n'est pas sans un certain regrêt qu'on se sépare de ces récits naïfs, si amusans dans leurs invraisemblances et dont le style facile, négligé et sans prétention, ne sera pas remplacé par celui d'auteurs plus savans, plus curieux des noms et des dates et plus châtiés dans leurs expressions. Les Chroniques de Savoie, au milieu de leurs redites, de leurs périodes uniformes, avec leurs constructions monotones et sans phrases incidentes, ont parfois des éclairs d'une véritable éloquence, d'un émouvant intérêt. Parfois leur style n'est pas inférieur à celui de Froissard ou de Commines. On sent que la vie est là dessous, que l'histoire est au fond de cet amas d'invraisemblances, d'exagérations et de redites. Il y a là un élément de la conscience du peuple qu'il faut savoir dégager. Les histoires de Tite-Live sont-elles autre chose que d'admirables Chroniques?

La chronique est à l'histoire documentaire ce que le droit coutumier est au droit écrit. Les coutumes se forment on ne sait trop comment. Nul ne sait quand elles prennent naissance; personne ne veut avoir été le premier à les formuler. C'est un ramas des anciens usages, des plus équitables, de ceux que l'assentiment le plus général a consacré. On les suit par instinct, bien qu'elles n'aient pour elles le patronage d'aucun grand nom de légistateur, parce qu'elles se sont introduites avec le seul guide de la raison naturelle, ou par la puissance de leur analogie avec d'autres lois semblables que la nature humaine s'est donnée le mot pour adopter en même temps presque partout.

Il en est de meme de la Chronique. Personne ne veut avoir été le premier à l'écrire; on se défend d'avoir contribué à la mettre en crédit, on la traite de menteuse, de vagabonde et d'éhontée; mais cependant on l'écoute, on la lit, on la commente et on la repète. Il y a dans ces légendes un fond humain, quelque chose de naïf et de vrai qui contraste avec d'autres histoires plus prétentieuses. Quand la chronique perd de son charme et de sa valeur, c'est seulement quand elle commence à être remaniée, épluchée et couchée par écrit par des écrivains aux gages d'un prince ou d'un gouvernement qui cherchent à profiter de sa popularité pour accréditer certaines idées de gouvernement, certaines traditions favorables à des intérêts de cour ou de dynastie. Alors il faut s'en défier et se mettre doublement en garde contre elle. Cette dernière tendance, on a pu maintes fois l'apercevoir dans les Chroniques de Savoie. Chez elles tous les princes sont invariablement parfaits et moult dévots. Leur rédacteur definitif obéit à un plan fixe et bien arrêté, celui de légitimer, de rendre en quelque sorte inviolables, grâce à une exposition de faits d'autant plus artificieuse qu'elle paraît plus naturelle, des conquêtes faites au nord, au sud, à l'orient, à l'occident, à l'aide des événemens favorables que la froide politique des princes savait exploiter. Les anciens comtes de Savoie avaient dans leur ligne de conduite une netteté de vues, un parti pris de se baser selon l'occasion bien plus sur des faits changeants et variables

que sur des principes, qui font parfois pousser un cri d'étonnement. Il y a dans leur gouvernement quelque chose de cet instinct d'industrie, de gain, d'ordre et de conservation qui distingue presque tous les enfans de ces âpres montagnes. Les enfants de la Savoie vont là ou ils savent qu'il y a quelque chose à faire, un pécule à amasser, aujourd'hui à Milan, demain à Paris ou à Londres. De même les princes de Savoie changent d'alliances avec une merveilleuse facilité. Un temps ils sont avec l'Empereur; un peu après avec le roi d'Angleterre contre le roi de France; plus tard avec le roi de France contre les Anglais.

Il arrive un jour où cela se paie, où le terrain commence à céder sous les pas du politique à bascule. Mais en attendant on a vécu des siècles, on s'est agrandi, on a été constamment en montant. D'aventurier on s'est fait comte, de comte duc et de duc Roi. Mais l'échelle hiérarchique des princes de la terre n'a qu'un nombre bien limité d'échelons. Aussi n'est-il pas tout à fait inutile de savoir parfois s'arrêter à temps dans cette ascension périlleuse "). Au reste, hâtons nous de le re

90) La politique actuelle du gouvernement Piémontais paraît aussi loyale que genéreuse et droite. Ce que nous disons n'a donc qu'une portée tout à fait rétrospective. Loin de nous la moindre allusion fâcheuse contre un cabinet avec lequel la Suisse a les raisons les plus majeures, les plus impérieuses de marcher d'accord. Mais on ne pourra en vouloir à celui qui s'occupe d'histoire de montrer, les documens à la main, d'où pourrait surgir un danger, le cas échéant. En 1845 voici le langage que tenait, dans un rapport officiel au roi Charles Albert, le comte Solar de la Marguerite, ministre des affaires étrangères à Turin:

Et moi aussi, Sire, je souhaite pour mon souverain cet agrandissement de pouvoir et de domaines que les ancètres de Votre Majesté ont su si glorieusement obtenir en saisissant les circonstances que la Providence leur a offertes. Je ne nourris point ce désir comme une chose qui ne doive se réaliser que dans les siècles futurs. Je vois des chances non éloignées qui peuvent ajouter de nouveaux fleurons à Votre couronne, Sire. Je vois la Suisse déchirée par des dissensions intestines, le Vallais, les conservateurs du Canton de Vaud, les habitans des Communes Genevoises détachés de la Savoie tournant leurs regards vers Votre Majesté, et lorsqu'ils verraient croûler l'édifice de

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