Ainsi, passez, ô tributaires ! Humbles vassaux, grands feudataires, Glaneurs des misères humaines, Portez vos gerbes à la mort. Passez, ô races condamnées ! Qui prend les fruits de vos journées, Ici, le faucheur redoutable Il règne sur le promontoire Garde les portes de la vie Et le seuil de l'éternité. Nous n'hésitons pas à le proclamer: les meilleurs poètes pourraient envier ces pages, qui semblent détachées du livre d'Ezechiel. Deux vers seuls ont éveillé des doutes dans notre esprit; l'auteur nous pardonnera de les lui communiquer. Le vrai talent est de bonne composition et ne se fache jamais contre la critique; il a tant de quoi la faire taire. Voici ces vers: Sautez, sautez, ô sauterelles ! Agitez-vous dans vos sillons. En faisant cet appel à l'insecte des champs, l'auteur, on le voit, a voulu faire comprendre que devant la mort les grands de la terre ne sont que faiblesse et néant. La pensée est vraie, la comparaison est juste ; mais cette image des sauterelles ne va pas au milieu des cercueils; elle vous jette brusquement hors de la sphère des sombres idées dans laquelle vous roulez: c'est, lorsque le tonnerre gronde, faire entendre le son d'un chalumeau. Nous voici arrivés à la seconde partie du poème, intitulée Les Tombeaux. Jusqu'ici l'abbaye d'Hautecombe a peut-être été trop effacée par la personne de l'auteur; mais les cercueils, ce sont les véritables richesses du cloître, et il est difficile de penser à soi devant les grands noms inscrits sur les pierres qui couvrent ces glorieux sépulcres. Avant de quitter les funèbres caveaux où il a eu de si étranges visions, le poète rappelle le cénobite et lui demande : Dans ces marbres glacés Rois, guerriers, demi-dieux, quels hommes sont passés? Comment ils sont venus dormir au monastère, Quels grands noms les nommait chez les fils de la terre; Sur quel autel posé le glaive ou le bourdon? Toutes ces questions sont bien naturelles en face des tombeaux de nos princes, et vous pensez que le cicérone des morts va se hâter de satisfaire à votre pressante curiosité. Mais les poètes ont de bizarres caprices leur catéchisme n'est pas composé de demandes et de réponses. Aussi, bien loin de faire de suite l'histoire des preux qui reposent dans l'enceinte sacrée, Le moine s'appuyant au marbre tumulaire, Je ne sais quel frisson crispa ses cheveux blancs, - Mon Dieu, tu confondras la race de l'impie, Ce début est grand; il ouvre devant vous une perspective immense. C'est une vaste arène où le conquérant va s'élever sur des monceaux de cadavres, et tomber ensuite chargé d'opprobres et de malédictions entre les mains d'un Dieu vengeur. Il faut lire en entier dans le poème ce morceau inspiré par une chaleureuse indignation, et qui sans doute, dans la pensée du poète, a été placé là comme l'ombre au tableau touchant qu'il allait faire du règne de nos rois. Ici cependant nous nous permettrons encore de donner un avertissement à l'auteur. Parmi les images qu'il a jetées à profusion pour flétrir les oppresseurs du monde, il en est quelques-unes qui, prises trop bas, sont repoussantes dans leur hideuse nudité. Nous n'aimons pas .......... ce glaive aux flancs des nations, Les saignant au baquet des révolutions. Ne croit-on pas lire les affreux détails d'un assassinat trop fameux ? Nous répudions aussi ces vers: Lassé de vaincre et de prostituer, Il s'arrête (le tyran), il n'a plus un seul homme à tuer. Le mot tuer est trop cru; cela sent presque l'abat toir. Que le poète y prenne donc garde..... qu'il nous laisse à la fenêtre et ne nous place pas dans la rue, les pieds dans la boue et quelquefois dans le sang. Ce genre n'est malheureusement que trop employé de nos jours, et notre auteur est assez riche de son propre fonds pour ne pas y joindre un alliage impur. Ecoutons-le en effet dans la peinture qu'il trace des vertus et des hauts-faits de nos princes: le style est toujours à la hauteur de la pensée, et chaque vers trempé au feu des Muses, charme le cœur en plaisant à l'esprit. Gloire à ces rois-pasteurs, aimés de ta justice! Ceux que le peuple a pu nommer du nom de père, |